18 avril 2024
Cour d'appel de Douai
RG n° 23/04321

TROISIEME CHAMBRE

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 18/04/2024





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N° de MINUTE : 24/134

N° RG 23/04321 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VDVB



Ordonnance (N° 23/00241) rendue le 11 Juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTE



SA Axa France Iard agissant poursuites et diligence par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Thibaut Franceschini, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



INTIMÉE



Caisse Primaire d'Assurance Maladie de [Localité 6]-[Localité 7] site [Adresse 2] à [Localité 7], agissant par ses représentants légaux

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représentée par Me Benoît de Berny, avocat au barreau de Lille, avocat constitué



DÉBATS à l'audience publique du 22 février 2024 tenue par Yasmina Belkaid magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe



GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 9 février 2024







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Par acte du 8 février 2023, Mme [R] [L] Machado épouse [B] [L] a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille la société Axa France Iard, en sa qualité d'assureur de la société Hôpital privé de [Localité 8], aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice résultant de sa chute sur le parking verglacé dudit hôpital survenue le 2 mars 2018.



Par ordonnance en date du 9 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a, avant dire droit, notamment ordonné à Mme [R] [B] [L] d'appeler en intervention forcée aux fins de déclaration d'ordonnance commune, l'organisme social dont elle dépend.



Par conclusions d'intervention volontaire, la Cpam a demandé au juge des référés de condamner la société Axa France Iard à lui verser une provision de 40 295,83 euros correspondant à ses débours provisoires arrêtés au 16 mai 2023 ainsi qu'une provision de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion outre une indemnité au titre des frais irrépétibles.



Par une ordonnance rendue le 11 juillet 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille a notamment :

1. condamné la société Axa France Iard à verser à la Cpam de [Localité 6] [Localité 7] à titre de provision la somme de 40 295,83 euros correspondant à ses débours provisoires arrêtés au 16 mai 2023 ;

2. condamné la société Axa France Iard à verser à la Cpam de [Localité 6] [Localité 7] à titre de provision la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3. dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation de la société Axa France Iard à une amende civile ;

4. condamné la société Axa France Iard à verser à la Cpam de [Localité 6] [Localité 7] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

5. débouté la société Axa France Iard de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

6. condamné la société Axa France Iard aux dépens ;



Par déclaration au greffe du 27 septembre 2023, la société Axa France Iard a formé appel de cette ordonnance en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 2, 4 à 6 ci-dessus.



Aux termes de ses conclusions notifiées le 8 février 2024, la société Axa France Iard demande à la cour de :


la recevoir en ses écritures, les disant bien fondées

infirmer l'ordonnance de référé rendue le 11 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de Lille en ce qu'elle l'a :


condamnée à verser à la Cpam à titre de provision la somme de 40 295,83 euros correspondant à ses débours provisoires arrêtés au 16 mai 2023

condamné à verser à la Cpam à titre de provision la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

condamné à verser la Cpam la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile * condamnée aux dépens.





Statuant à nouveau :




débouter la Cpam de [Localité 6] [Localité 7] de toutes ses demandes, fins et conclusions dont sa demande de condamnation au versement d'une provision, ses demandes se heurtant à des contestations sérieuses ;

condamner la Cpam de [Localité 6] [Localité 7] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers frais et dépens tant d'instance que d'appel.




Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :


le relevé des débours non détaillé est insuffisant pour établir la preuve des sommes servies à la victime alors en outre qu'il a été établi par la Cpam elle-même

le décompte produit ne permet en effet d'identifier ni la nature des frais médicaux pris en charge ni leur imputabilité aux conséquences de l'accident alors que ces frais auraient pu être justifiés par d'autres pathologies présentées par la victime

la créance de la Cpam ne peut être justifiée que par la production de la liste de cotation des actes pris en charge auquel devra être annexée la transcription exacte de ces cotations

seules les factures des établissements de soin permettront d'attester des sommes réellement engagées par la caisse

la Cpam ne peut valablement invoquer la dématérialisation de ses relations avec les établissements de santé, alors qu'il lui appartient de justifier de sa créance

ces difficultés constituent une contestation sérieuse rendant le juge des référés incompétent pour statuer sur la demande de provision




Dans ses conclusions notifiées le 15 novembre 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 7] demande à la cour de :


débouter la société Axa France Iard de l'ensemble de ses demandes ;

confirmer l'ordonnance du 11 juillet 2023 en toutes ses dispositions ;

condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

condamner la société Axa France Iard aux dépens.




Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :


Axa a reconnu l'obligation de son assuré d'indemniser entièrement Mme [B] [L] et de lui allouer une indemnisation transactionnelle de sorte, qu'étant subrogée dans les droits de la victime, l'obligation à paiement de ses débours par le tiers responsable n'est pas sérieusement contestable

Mme [B] [L] ne présentait aucun état antérieur avant son accident du 2 mars 2018 et l'ensemble des soins est consécutif à cet accident





s'agissant de la preuve des débours, l'hôpital n'émet pas de factures traditionnelles et les relations avec les établissements de santé sont dématérialisées

la société Axa échoue à remettre en cause son relevé des débours

l'obligation à paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion n'est pas sérieusement contestable

la société Axa a transigé sans l'avertir avec la victime de sorte qu'elle sera condamnée à lui payer une pénalité de 40 %




Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.




MOTIFS



A titre liminaire, la cour rappelle qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif de sorte qu'elle n'est pas saisie de la demande de la Cpam tendant à la condamnation de la société Axa France Iard à lui payer une pénalité de 40 % pour avoir transigé avec la victime sans l'avertir, demande qui n'a pas été reprise dans le dispositif de ses écritures.



Sur les demandes de provisions

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.



La preuve d'une telle contestation sérieuse repose sur le débiteur de cette obligation.



L'appréciation du caractère sérieusement contestable porte à la fois sur le principe et le montant de la provision sollicitée.



La cour rappelle qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du requérant n'apparaît pas immédiatement vain, et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond, qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point, si les parties entendaient saisir le juge du fond ; qu'en conséquence, la contestation sérieuse est celle qui paraît susceptible de prospérer au fond.




Au titre des débours provisoires




La cour relève que la société Axa France Iard n'invoque aucunement une éventuelle absence de responsabilité de son assuré, l'hôpital privé de [Localité 8], dans la chute de Mme [B] [L], ni une éventuelle limitation du droit à indemnisation de cette dernière.



En réalité, ses contestations portent sur l'insuffisance du relevé des débours produit à justifier le principe et le montant de la provision sollicitée par la Cpam.



L'article L 454-1 du code de la sécurité sociale énonce que les caisses primaires d'assurance maladie sont tenues de servir à la victime ou à ses ayants droit les prestations et indemnités prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident, dans les conditions ci-après ; ce recours est également ouvert à l'Etat et aux institutions privées, lorsque la victime est pupille de l'éducation surveillée, dans les conditions définies par décret.



En application de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, la Cpam dispose d'un recours subrogatoire lui permettant d'obtenir le remboursement des prestations qu'elle a versées dans la limite de la part d'indemnité mise à la charge du tiers responsable. Ce recours s'exerce poste par poste sur les seules indemnités réparant les préjudices pris en charge par ses soins.



Il ressort de l'ordonnance rendue le 11 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille qu'à la suite de sa chute, Mme [B] [L] a présenté une fracture extra articulaire de l'extrémité distale du radius et une fracture articulaire de la palette humérale droite ayant nécessité une opération pour ostéosynthèse avec apposition de deux plaques vissées sur les extrémités inférieure de l'humérus et du radius.



La Cpam produit un relevé provisoire des prestations servies à la victime du 16 mai 2018 d'un montant total de 40 295,83 euros, qui vise l'accident du 2 mars 2018 de Mme [B] et qui se décompose comme suit :


frais hospitaliers du 2 mars au 29 novembre 2018 : 18 042,78 euros

frais médicaux du 2 mars 2018 au 10 mars 2020 : 6 018,75 euros

frais pharmaceutiques du 9 mars 2018 au 14 octobre 2019 : 732,27 euros

frais d'appareillage du 8 décembre 2018 au 26 février 2020 : 65,48 euros

frais de transport  du 2 mars 2018 au 10 mai 2019 :2 306,81 euros

indemnités journalières du 15 mars 2018 au 18 octobre 2019 : 11 304,37 euros

soins post consolidation: 69,90 euros

soins occasionnels : 1 755,47 euros




Toutefois, un tel état provisoire des débours n'est pas de nature à établir, d'une part, la nature des dépenses exposées par l'organisme social en l'absence de détail sur les prestations visées alors en outre qu'aucune facture ou prescription n'est produite et, d'autre part, leur imputabilité stricte à l'accident du 2 mars 2018 et ce d'autant plus que la Cpam ne produit aucune attestation d'imputabilité d'un médecin conseil permettant à la cour de vérifier si les soins et frais engagés sont bien liés au fait dommageable.



Si la Cpam est soumise aux règles de la comptabilité publique sous contrôle de la Cour des comptes et que ses décomptes sont vérifiés par un agent comptable sous sa responsabilité personnelle, il n'en demeure pas moins que, dans le cadre d'une procédure de référé-provision, il lui appartient de rapporter la preuve du principe et de l'étendue de l'obligation à paiement de l'assureur contre lequel elle exerce un recours subrogatoire.



En l'état de ces éléments, la demande de provision se heurte à une contestation sérieuse de sorte qu'il convient de débouter la Cpam de sa demande de paiement par provision de ses débours provisoires.



L'ordonnance critiquée sera donc infirmée de ce chef.




Au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion




En application de l'article L 376-1 du Code de la Sécurité Sociale, le tiers responsable est condamné à payer une indemnité forfaitaire en contrepartie des frais engagés par l'organisme national d'assurance maladie étant précisé que le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant minimum et maximum défini par arrêté.



Dès lors qu'il n'a pas été fait droit à la demande de provision au titre des débours provisoires, celle au titre de l'indemnité forfaire de gestion est devenue sans objet et sera en conséquence rejetée.



Au surplus, s'agissant d'une demande provisionnelle, il ne peut être fait droit à la demande d'indemnité prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

L'ordonnance querellée sera donc infirmée de ce chef.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Le sens du présent arrêt conduit d'une part à infirmer l'ordonnance attaquée sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile et, d'autre part, à condamner la Cpam, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la société Axa France Iard la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des procédures devant le premier juge et d'appel.



PAR CES MOTIFS



La cour,



Infirme l'ordonnance rendue le 11 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Lille en toutes ses dispositions soumises à la cour ;



Statuant à nouveau et y ajoutant ;



Rejette les demandes de provisions formées par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 7] au titre des débours provisoires arrêtés au 16 mai 2023 et de l'indemnité forfaitaire de gestion ;



Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 7] à payer les dépens de première instance et d'appel ;



Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 7] à payer à la société Axa France Iard la somme totale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et en cause d'appel.



Le Greffier Le Président







F. Dufossé G. Salomon

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