12 avril 2024
Cour d'appel de Rouen
RG n° 22/00177

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 22/00177 - N° Portalis DBV2-V-B7G-I7LJ





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 12 AVRIL 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



20/00685

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 07 Décembre 2021





APPELANTE :



Madame [Z] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN











INTIMEE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE RED

[Adresse 2]

[Localité 3]



représenté par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN

























COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Mme DUBUC, Greffière





DEBATS :



A l'audience publique du 06 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 avril 2024





ARRET :



CONTRADICTOIRE



Prononcé le 12 Avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.




* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE



Le 7 novembre 2019, Mme [Z] [Y] a adressé à la caisse primaire d'assurance-maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 5] (la caisse) une déclaration d'accident du travail pour des faits qui seraient survenus le 2 octobre 2019. Le certificat médical initial, daté du 24 décembre 2019, faisait état d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel, en lien avec une première constatation médicale du 7 octobre 2019.



L'employeur a formulé des réserves et la caisse a procédé à une instruction.



Par décision du 23 mars 2020, la caisse a refusé de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident déclaré.



Mme [Y] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse et a poursuivi sa contestation devant le tribunal judiciaire de Rouen, en l'absence de décision explicite de la commission dans le délai.



Par jugement du 7 décembre 2021, le tribunal a :

- écarté les pièces n° 5, 8, 9 et 10, transmises par Mme [Y] après la clôture de l'instruction de la caisse,

- débouté cette dernière de ses demandes,

- condamné Mme [Y] aux dépens.



Celle-ci a relevé appel de cette décision le 13 janvier 2022.



EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Par conclusions remises le 27 novembre 2023, soutenues oralement à l'audience, Mme [Y] demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- juger que les pièces 5, 8, 9 et 10 sont recevables,

- juger que son accident du 2 octobre 2019 constitue un accident du travail avec toutes conséquences de droit,

- condamner la caisse aux dépens et à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle expose qu'elle a été embauchée en février 2010 par une association exerçant une activité d'accueil de la petite enfance en qualité d'infirmière ; qu'en juin 2012, elle a été promue infirmière responsable adjointe ; que le 2 octobre 2019, elle avait une réunion de service avec la directrice générale de l'association, avec sa supérieure hiérarchique directe et trois salariées qui se sont plaintes de son management ; qu'à cette occasion des propos extrêmement durs ont été tenus à son encontre, à tel point qu'elle s'est mise à pleurer et a demandé à sortir de la pièce ; qu'elle a été particulièrement choquée et qu'à l'issue de la réunion, elle a indiqué à sa supérieure hiérarchique qu'elle souhaitait quitter son poste pour aller consulter son médecin ; que celui-ci lui a précisé ne pouvoir la recevoir avant le lundi 7 octobre, date à laquelle il a établi un arrêt de travail et lui a prescrit des anxiolytiques et des antidépresseurs.

Mme [Y] considère que les trois éléments caractérisant un accident du travail sont réunis en présence d'un fait accidentel précisément daté du 2 octobre 2019 dont la preuve est rapportée, d'un effet psychologique immédiat qui constitue une lésion et de la survenance de l'accident au temps et lieu de travail.



Par conclusions remises le 26 février 2024, soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de confirmer le jugement.



Elle fait valoir que l'arrêt de travail de 7 octobre 2019 a été prescrit au titre du risque maladie ; que la déclaration d'accident du travail a été établie plus d'un mois après le fait accidentel allégué et que le certificat médical initial a été établi cinq jours après ce fait, de sorte qu'il est également tardif. Elle considère que cette tardiveté fait perdre à l'assurée le bénéfice de la présomption d'imputabilité. Elle fait observer que le certificat médical initial rectificatif mentionne une date d'accident du travail au 7 octobre 2019, alors que l'assurée ne travaillait pas ce jour là, étant en arrêt de travail au titre de l'assurance-maladie. S'agissant de la journée du 2 octobre 2019, la caisse considère que le fait pour l'assurée d'apprendre par ses supérieurs hiérarchiques que trois salariées s'étaient plaintes la veille de son mode de management ne constitue pas un fait accidentel, au motif qu'il s'agit de la mise en 'uvre du pouvoir de direction de l'employeur et de l'expression des salariés dans l'entreprise, dans des conditions normales. Elle ajoute que le fait pour l'assurée d'être bouleversée par cette annonce et de se mettre à pleurer ne saurait à lui seul emporter la qualification d'événement accidentel soudain intervenu sur le temps et au lieu du travail, ayant entraîné une lésion psychologique. Elle précise que la salariée avait déjà reçu des reproches sur son comportement et estime qu'elle a « craqué » en présence de nouveaux reproches, alors qu'elle était déjà fragilisée par des difficultés relationnelles antérieures difficiles. Elle invoque enfin l'absence de témoignage direct relatif au prétendu accident.



Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Il appartient au juge de statuer sur le fond du litige dont il est saisi compte tenu des éléments de fait et de preuve produits par les parties, ce dont il résulte qu'il convient de tenir compte des pièces produites par l'appelante.



1. Sur la matérialité d'un accident du travail le 2 octobre 2019



Selon l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle ou psychologique, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.



Il appartient au salarié d'établir, autrement que par ses seules allégations, la matérialité d'un accident survenu au temps et au lieu de travail.



Une déclaration d'accident du travail qui n'est pas établie dans les jours suivant les faits n'a pas pour effet de faire perdre à l'assuré la présomption d'imputabilité, si les conditions de celle-ci sont réunies.



Il ressort des déclarations de Mme [P], directrice de la crèche et de Mme [X], directrice générale, lors de l'enquête de la caisse, que le 1er octobre 2019, trois salariées de l'équipe se sont plaintes du comportement de Mme [Y] auprès de la responsable des ressources humaines ; que le lendemain, Mme [P] en a informé l'assurée ; qu'elle a décidé avec Mme [X] de recevoir chacune des trois salariées ; que Mme [Y] a demandé à participer aux entretiens.

La première salariée entendue a exprimé son ressenti et ce qu'elle reprochait à Mme [Y]. Ces deux personnes se sont mises à pleurer. Mme [X] a indiqué que les échanges avaient été « très forts » sur le ressenti par rapport à Mme [Y], que la salariée entendue a évoqué un harcèlement et que cela a été « très dur » pour l'une et l'autre.

La deuxième salariée n'a pas souhaité que l'appelante assiste à l'entretien, de sorte qu'elle a quitté la pièce.

La troisième personne s'est exprimée avec les mêmes propos que la première, indiquant vouloir démissionner si Mme [Y] restait dans la structure.



Il est constant que Mme [Y] a été placée en arrêt de travail au titre de la maladie, à compter du lundi 7 octobre 2019 et que le certificat médical initial du 24 décembre 2019, indiquant qu'il est rectificatif, vise la date du 7 octobre comme étant celle de l'accident du travail.



Toutefois, c'est bien un accident du 2 octobre qui a été déclaré par la salariée et son médecin certifie qu'elle lui a téléphoné à cette date (qui était un mercredi) pour un premier rendez-vous disponible le 7. A cette occasion, il lui a été prescrit un anxiolytique puis, le 18 octobre, un antidépresseur.



Mme [P] a indiqué à la caisse que dès le 3 octobre Mme [Y] était en arrêt. Il ressort de son bulletin de salaire qu'en réalité elle était absente pour congés payés les 3 et 4 octobre, soit jusqu'à la fin de semaine précédant son arrêt de travail du 7. Mme [Y] n'a donc pas repris le travail à l'issue de la journée du 2 octobre.



Le compagnon de l'appelante atteste avoir reçu un appel téléphonique de sa part, le 2 octobre et qu'elle était en pleurs. Il ajoute l'avoir retrouvée dans un état très inquiétant.



Il s'évince de l'ensemble de ces éléments qu'une réunion a eu lieu le 2 octobre 2019, au cours de laquelle Mme [Y] s'est vu reprocher par des salariées de son équipe son type de management, ce qui constitue un fait soudain survenu au temps et lieu de travail, et qu'il s'en est suivi une lésion psychologique, constituée par un syndrome anxio-dépressif, constatée dans un temps rapproché. Le lien entre cette lésion et le fait accidentel résulte des constatations du compagnon de l'assurée et de sa prise de rendez-vous avec son médecin le jour même des faits.



Le jugement est en conséquence infirmé.



2. Sur les frais du procès



La caisse qui perd le procès est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [Y] ses frais non compris dans les dépens. La caisse est dès lors condamnée à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Statuant par décision contradictoire et en dernier ressort :



Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 7 décembre 2021 ;



Y ajoutant :



Dit que Mme [Z] [Y] a été victime d'un accident du travail le 2 octobre 2019 que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 5] devra prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels ;



Condamne la caisse aux dépens de première instance et d'appel ;



La condamne à payer à Mme [Y] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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