12 avril 2024
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 19/18835

Chambre 4-2

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 12 AVRIL 2024



N° 2024/068













Rôle N° RG 19/18835 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFI5W







EPIC UNION DES GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS





C/



[P] [Y]











Copie exécutoire délivrée

le : 12 avril 2024

à :



Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 311)



Me Alexandra MARY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 214)

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX EN PROVENCE en date du 12 Novembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 16/00886.





APPELANTE



EPIC UNION DES GROUPEMENTS D'ACHATS PUBLICS pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social, demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP MARTINE DESOMBRE & JULIEN DESOMBRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Camille BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, et M. [G] [C] (Juriste de l'entreprise) en vertu d'un pouvoir spécial





INTIME



Monsieur [P] [Y], demeurant [Adresse 2]



comparant en personne, assisté de Me Alexandra MARY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Pierre ESPLAS, avocat au barreau de TOULOUSE







*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR





En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller









Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2024, délibéré prorogé au 12 avril 2024







ARRÊT



Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 avril 2024



Signé par Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



***



























































M. [P] [Y] a été engagé le 1er mai 1992 sans contrat de travail écrit par l'Union des Groupements d'Achats Publics (l'UGAP ci-après), établissement public industriel et commercial exploitant la seule centrale d'achats publics en France sous la co-tutelle des ministères chargés du budget et de l'éducation nationale et disposant de 7 agences régionales ainsi que de 32 agences territoriales, dont celle de Tholonet auquel le salarié était rattaché.



Au dernier état de la relation contractuelle, M. [Y] occupait le poste de 'conseiller relation clients' pour un salaire mensuel moyen de 2.049 €.



Par une lettre remise contre décharge le 26 mai 2016, il a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 30 juin suivant au siège de l'établissement situé à Marne la Vallée en région parisienne, avec mise à pied conservatoire.



Il a été licencié pour faute grave par une lettre du 17 juin 2016 rédigée en ces termes :



« (...) A la fin du mois de mai 2016, nous avons pris connaissance de différentes correspondances que vous avez pu transmettre à certaines collègues de la direction territoriale, comportant des propos ou des images à connotation sexuelle :

- un courriel transmis à Madame [M] [B] comportant un smiley avec un c'ur (courriel du 12 avril 2016),

- un courriel transmis à Madame [M] [B] où vous lui avez transmis en grand format sa photo de profil affichée dans les réseaux sociaux en indiquant, en objet, « dreams are my reality » (courriel du 29 avril 2016),

- un courriel transmis à Madame [M] [D] et Madame [M] [B], par lequel vous avez transmis un dessin illustrant un crayon et un taille crayon et ayant pour objet une métaphore d'une relation sexuelle venant d'avoir lieu (courriel du 12 mai 2016),

- un courriel transmis à Madame [U] [J], à la suite d'un envoi tardif d'un courriel, où vous lui avez indiqué « fessée ' » (courriel du 18 mai 2016).



Nous avons par la suite découvert que ces correspondances étaient le reflet d'actes répétés à connotation sexuelle auprès de collègues de votre service.



Madame [M] [B] a ainsi pu faire état de nombreux propos ou comportements à connotation sexuelle ayant, au fur et à mesure du temps, rendu insupportable ses conditions de travail.



Celle-ci nous a notamment indiqué qu'en mai 2013, vous lui avez mis la main aux fesses.



A la fin de l'année 2014, Madame [M] [B] a reçu de votre part, sur son téléphone professionnel, de nombreux sms tendancieux. Cet élément a été confirmé par Madame [N] [X] indiquant avoir constaté les messages suivants : « Belle Sonia », « ma beauté », belle brune ».



Ces messages corroborent les propos de Madame [B] lorsqu'elle précise les expressions que vous utilisez pour la qualifier, notamment l'expression « belle brune ».



Il semble d'ailleurs que vous auriez apprécié lui transmettre d'autres messages sur son téléphone portable personnel. Vous vous êtes ainsi plaint le 20 mai 2016 auprès de collègues de travail de Madame [M] [B] de ne pas avoir son téléphone personnel.



Par ailleurs, le 18 mai 2016, Madame [M] [B] a été effrayée par votre attitude consistant à vous approcher d'elle pour la coller lorsqu'elle se rendait aux toilettes. Malgré le fait qu'elle vous ai repoussé en hurlant que vous n'aviez pas à faire cela, vous l'avez suivie jusqu'à la porte des toilettes.



C'est dans ce cadre que Madame [M] [B] ne sachant plus comment réagir à votre égard, s'est confiée à son responsable hiérarchique, Monsieur [I] [E], tout en lui indiquant qu'au prochain dérapage, elle irait porter plainte à la police.



Les propos de Madame [B] ont été depuis confirmés par Monsieur [E].



Le 19 mai 2016, vous avez interpellé le soir Madame [B] qui sortait de son cours d'anglais, par les termes suivants : « oh, belle brune,t'es toujours là ' ».

Cette dernière n'ose aujourd'hui plus remonter à son bureau après son cours d'anglais. Elle a ainsi demandé à son professeur d'anglais, Monsieur [F] de bien vouloir l'attendre lors des prochains cours d'anglais afin qu'ils partent ensemble.

Un courriel transmis le 20 mai 2016 a de nouveau été l'illustration d'une tentative d'approche de votre part auprès de Madame [B].



Plus généralement, Madame [B] s'est plainte de réflexions, propos se voulant humoristiques et gestes déplacés à son encontre.



Ainsi, à ce jour, Madame [B] ne se sent plus sereine à votre contact, a peur de se retrouver seule avec vous. Dès qu'elle le peut, elle quitte l'établissement pour éviter cette situation ou se fait accompagner à l'extérieur par une autre personne afin de ne pas se retrouver seule en votre présence. Vos différents agissements ont ainsi créé à son encontre une situation hostile et intimidante.



Un tel comportement caractérise un harcèlement sexuel qui ne saurait en aucun cas être toléré.



Il apparait que vous procédez à des actes similaires auprès de Madame [M] [D].



Cette dernière nous a ainsi précisé que vous lui aviez transmis de nombreux courriels à nature tendancieuse.



Par ailleurs, vous pouviez avoir une attitude discourtoise et grossière à son encontre ce qui avait notamment nécessité une intervention de la part de votre supérieur hiérarchique, Monsieur [K] [A].



Enfin, tout comme Madame [B], Madame [D], au regard de vos nombreuses réflexions et agissements déplacés, nous a précisés s'abstenir de rester tard le soir lorsque vous êtes présent dans les locaux de l'UGAP.



Ces faits sont graves. Ces deux collaboratrices ne peuvent ainsi plus rester dans les locaux de l'UGAP sans être effrayées de vous croiser.



Le courriel transmis le 18 mai 2016 à Madame [J], exposé ci-avant (« fessée »), au-delà du fait qu'il ne soit pas plus acceptable, laisse entendre que vous pourriez de nouveau répéter le comportement que vous avez avec Madame [B] et Madame [D] auprès de Madame [J].



Vous avez nié l'ensemble de ces éléments exposés lors de votre entretien préalable.

Vous avez notamment affirmé, par le biais de votre représentant, qu'à l'appui de ces témoignages, aucun élément n'avait été apporté lors de l'entretien.



Cela étant, les différents témoignages versés aux débats, et les différents courriels transmis ne laissent pas de doute sur vos agissements auprès des collègues de votre service.



Je vous rappelle que l'UGAP, à l'instar de tout employeur, est tenue à une obligation de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés.



En d'autres termes, nous avons le devoir de réagir en cas de constat de faits pouvant s'apparenter ou revêtir la qualification de harcèlement sexuel.



Les arguments que vous avez développés lors de l'entretien préalable n'étant pas de nature à modifier notre appréciation de la situation, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, et ce y compris durant une période de préavis (...) ».





M. [Y] a saisi le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence le 8 septembre 2016 pour contester cette décision.



Vu le jugement en date du 12 novembre 2019 qui, après avoir dit que le licenciement de M. [Y] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a :

- condamné l'UGAP à payer au salarié les sommes suivantes, sous le bénéfice de l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile :

- 2.064,30 € à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire à compter du 27 mai 2016 jusqu'au 17 juin 2016,

- 206,43 € au titre des congés payés y afférents,

- 15.924,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.592,46 au titre des congés payés y afférents,

- 27.130,80 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 70.700 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.180 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'à défaut d'exécution spontanée de la part de l'UGAP, le montant des sommes retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, par l'huissier de justice dans le cadre de l'exécution forcée des condamnations sera supporté directement et intégralement par le débiteur au lieu du créancier en sus de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné l'UGAP aux dépens,



Vu la déclaration d'appel de l'UGAP en date du 10 décembre 2019,



Vu l'appel incident régularisé par M. [Y] aux termes de ses premières conclusions en date du 20 mai 2020, limité au montant des 'dommages et intérêts' pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, demandant à se voir allouer une somme de 103.215 € correspondant à 35 mois de rémunération brute de ce chef, ainsi qu'au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 décembre 2023 pour l'UGAP qui demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et en substance de :

- A titre principal, dire que le licenciement de M. [Y] est justifié par une faute grave et débouter ce dernier de l'intégralité de ses demandes,

- A titre subsidiaire, limiter sa condamnation au versement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 18.738 €,

- En tout état de cause, débouter M. [Y] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- A titre reconventionnel, condamner M. [Y] à lui verser une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de première instance et la même somme pour ses frais irrépétibles en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens,



Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 décembre 2023 pour M. [Y], aux fins de voir :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a invalidé le licenciement attaqué et condamné l'UGAP au paiement des sommes suivantes :

- 2.064,30 € à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire à compter du 27 mai 2016 jusqu'à la date de son licenciement pour faute grave, soit le 17 juin 2016 (17 jours)

- 206,43 € au titre des congés payés y afférents,

- 15.924,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.592,46 € au titre des congés payés y afférents,

- 27.130,80 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1.180 € au titre de l'article 700 du CPC (procédure devant le CPH)

- le réformer pour le surplus en ce qu'il n'a condamné l'UGAP qu'au paiement de la somme de 70.700 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'UGAP au paiement de la somme de 103.215 € nets à titre de dommages et intérêts (35 mois de rémunération brute) pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner l'UGAP aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles engagés par lui en cause d'appel,

- dire et juger à défaut d'exécution spontanée de la part de l'UGAP de la présente décision, que le montant des sommes retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 par l'huissier de justice dans le cadre de l'exécution forcée des condamnations sera supporté directement et intégralement par le débiteur aux lieu et place du créancier en sus de l'article 700 du code de procédure civile,



Vu l'ordonnance de clôture en date du 2 janvier 2024,



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.



A l'issue de l'audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 22 mars 2024 par mise à disposition au greffe. Elles ont été informées par le greffe du prorogé du délibéré au 12 avril 2024.






SUR CE :





L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.



La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis. Elle justifie une mise à pied conservatoire.



Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties, il revient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié.

S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur ayant licencié un salarié pour faute grave, il profite au salarié.



Par ailleurs, selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



De même, selon l'article L.1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.



Le législateur exige non pas que le comportement soit 'de nature sexuelle' mais simplement 'à connotation sexuelle'.



La circulaire CRIM n°2012-15 du 7 août 2012 précise dans quels cas ces situations sont caractérisées :

- La première situation concerne 'les propos ou comportements ouvertement sexistes, grivois, obscènes, tels que des paroles ou écrits répétés constituant des provocations (...) commises en raison du sexe (...) de la victime'.

- La seconde hypothèse recouvre les 'cas dans lesquels, même si le comportement ne porte pas en lui-même atteinte à la dignité, il a pour conséquence de rendre insupportables les conditions de vie, de travail (...) de la victime. Ce peut être par exemple le cas lorsqu'une personne importune quotidiennement son ou sa collègue, en lui adressant sans cesse à cette fin des messages ou des objets à connotation sexuelle, alors que ce dernier ou cette dernière lui a demandé de cesser ce comportement'.



Ainsi, la définition légale du harcèlement sexuel place la dignité de la personne au centre du dispositif. Le texte requiert l'existence de propos ou comportements à connotation sexuelle qui créent ' à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante'.



Le sentiment et la sensation éprouvés par la victime sont donc au coeur de la définition du harcèlement moral : peu importe qu'un individu ne soit pas choqué ou importuné par des propos de nature sexuelle ou à connotation sexuelle. Le harcèlement est constitué dès lors qu'un individu ressent négativement les agissements et subit des propos ou actes non désirés.



La chambre sociale de la Cour de cassation qui exerce un contrôle sur la qualification de faute grave tout en jugeant qu'il revient aux juges du fond d'apprécier souverainement quels sont les faits qu'ils retiennent comme établis, admet que des faits de harcèlement moral de la part d'un salarié justifient le licenciement de ce dernier pour faute grave. Elle est également particulièrement stricte s'agissant des faits de harcèlement sexuel qui, lorsqu'ils caractérisés par les juges du fond, constituent nécessairement une faute grave si le licenciement est effectivement notifié pour faute grave.



En effet, l'article L.1152-4 du code du travail impose à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires 'en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral'.



Par ailleurs, si les articles L.1152-5 et L.1153-6 prévoient que tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel est passible d'une sanction disciplinaire, l'article L.1153-5 impose à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires 'en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel,(mais également) d'y mettre un terme et de les sanctionner'.



S'agissant de la preuve des faits invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, la Cour de cassation a rappelé le principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale et jugé que la règle probatoire prévue par l'article L.1154-1 du code du travail n'était pas applicable au litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral (Soc., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-11.437).



En l'espèce, après avoir reproduit l'intégralité de la pièce n°2 du salarié intitulée 'compte rendu de l'entretien préalable au licenciement rédigé par Mme [H]', le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence s'est fondé sur ce qu'il a décrit comme le contexte des relations de travail, en retenant notamment que certains salariés de l'entreprise n'étaient pas plus choqués que cela des propos grivois tenus par M. [Y] ou certains de ses collègues.



Les premiers juges ont également pris en considération l'absence d'enquête contradictoire et le défaut de saisine des représentants du personnel et notamment des délégués du personnel ou du CHSCT, avant de considérer que les 4 exemples cités dans la lettre de licenciement pris l'un après l'autre ne constituaient pas des faits de harcèlement sexuel et pouvaient relever de l'humour.



Cependant, si un compte rendu d'entretien préalable prenant la forme d'une attestation signée par un auteur susceptible d'être identifié dispose d'une valeur probante librement appréciée par les juges du fond, en l'espèce et comme l'objecte à juste titre l'UGAP appelante, le compte rendu dactylographié de l'entretien préalable au licenciement produit en pièce 2 par le salarié intimé n'est pas signé ni d'ailleurs accompagné de la pièce d'identité de la personne censée l'avoir rédigé. Cette pièce ne dispose donc d'aucune valeur probante et la cour ne peut prendre en considération ce qui y est relaté et dont l'authenticité n'est pas assurée.



Par ailleurs, aucun texte n'impose à l'employeur, préalablement à la convocation en entretien préalable au licenciement d'un salarié auquel des agissements de harcèlement sexuel est reproché, de réaliser une enquête dont les résultats seraient contradictoirement soumis au salarié lors de l'entretien préalable, ou de recueillir l'avis des délégués du personnel ou du CHSCT.



Le respect des droits de la défense n'impose pas que le salarié ait accès au dossier et aux éléments de preuve constitués contre lui avant l'entretien préalable au cours duquel (articles L.1232-2 et L.1232-4 du code du travail) l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié, assisté le cas échéant par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, en l'absence d'institutions représentatives dans l'entreprise, par un conseiller du salarié.



En l'espèce, il n'est pas discuté que le salarié était effectivement assisté de Mme [H] représentante CGT au CHSCT lors de l'entretien préalable du 3 juin 2016 et qu'à cette occasion, le salarié - qui souhaitait plutôt un départ par rupture conventionnelle- a pu s'expliquer sur les faits qui lui étaient reprochés.



D'autre part, au soutien de son appel et pour justifier des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, l'UGAP verse aux débats diverses attestations et pièces démontrant que cet employeur a procédé à des investigations avant d'engager de la procédure de licenciement et établissant la matérialité de comportements à connotation sexuelle de la part de M. [Y] à l'égard de plusieurs de ses collègues :



- un mail du 1er juin 2016 de Mme [D] indiquant que : « à plusieurs reprises M. [Y] m'a adressé, comme à d'autres destinataires, des courriels de nature tendancieuse à la majeure partie desquels j'ai préféré ne pas répondre »,



- un mail du salarié envoyant un smiley faisant les yeux doux et offrant un c'ur à Mme [B] qui le remerciait pour l'envoi de renseignements d'ordre professionnel le 12 avril 2016 en fin de journée,



- un mail envoyé le 28 juillet 2014 par M. [Y] à Mme [B] mentionnant en objet «FRB vierge et scannée ou scannée vierge » dans le texte était le suivant : «' mais vierge ! »,



- Une attestation manuscrite établie par Mme [M] [B] le 9 décembre 2016 relatant notamment « avoir subi une main aux fesses de façon délibérée et appuyée de la part de [P] [Y] en mai 2013 dans les escaliers de notre ancienne agence de [Localité 3] » et l'avoir à cette occasion prévenu que cela ne se reproduirait pas « et qu'il n'y aurait pas de 2e fois car à défaut gérer prévenir [L] [V] sur le champ », « avoir reçu entre-temps plusieurs SMS (montrer à une hiérarchique [N] [X]) de la part de [P] [Y], toujours à connotation sexuelle explicite, dont le contenu était toujours déplacé et tendancieux 'belle brune !', 'Beauté !' », « avoir reçu plusieurs SMS de [P] [Y] le mercredi 20 avril 2016 à la suite d'un rendez-vous à la CPAM 06 à [Localité 4] (... dont un) me félicitant 'Bravo' et l'autre me suggérant 'Reviens te reposer au bureau'», « avoir reçu un appel de [P][Y] le 21 avril 2016 alors que je rentrais de [Localité 4] (...) me propos(ant) de travailler davantage 'en équipe', prétextant que cela serait plus facile et plus intéressant (...), tout ét(ant) prétexte pour légitimer qu'il puisse retrouver avec moi ce qui m'inquiétait d'autant plus au regard de son comportement », « avoir repoussé violemment [P] [Y] le mercredi 18 mai 2016 alors que j'ouvrais la porte donnant dans le hall d'entrée du rez-de-chaussée pour aller aux toilettes, me retrouvant soudain nez à nez avec lui, se collant physiquement à moi (...et avoir) réagi en montant mon genou devant moi par réflexe de protection et défense en mettant les mains en avant pour le repousser en hurlant qu'il n'avait pas à faire cela, que cela me déplaisait fortement et qu'il devait arrêter tout de suite ! » ce qui ne l'avait pas empêché de continuer « à me parler de façon grivoise avec un sourire pervers, l'air de rien jusque devant la porte des toilettes dames 'Ben quoi, qu'est-ce qu'il y a ' Agréable, belle brune !' », « Furieuse, excédé et inquiète, j'ai décidé d'en parler immédiatement à mon hiérarchique [I] [E] (auquel j'ai indiqué) qu'au prochain dérapage de [P] [Y], je me protégerai en allant porter plaint à la police, puisque depuis des années je subissais (...) Ces blagues, ses réflexions, ses gestes, ses agissements déplacés », « cela allait trop loin, c'était plus que je ne pouvais en supporter », « le même jour, à la pause déjeuner au réfectoire, je déjeunais avec deux collègues (...), [P] [Y] nous a interrompu et demanda à une de mes collègues 'tu as le numéro de téléphone perso de [M], ah bon ' !' 'Ben pas moi !' puis il quitta le réfectoire contrarié de ne pas avoir obtenu mon numéro personnel », « avoir été interpellé verbalement par [P] [Y] le jeudi 19 mai 2016 après mon cours d'anglais dispensé sur mon lieu de travail de 17h30 à 19 h (' oh belle brune '! Tu es toujours la '!') ce à quoi je n'ai pas répondu, surprise et inquiète, me dépêchant de récupérer mes affaires pour partir », « avoir pris la décision d'alerter et de dénoncer les agissements de [P] [Y] à ma direction car je me sentais totalement déstabilisée à son contact, angoissée à l'idée de le croiser lorsque j'étais seule, inquiète de mes conditions de travail qui était devenues insupportables »,



- une attestation manuscrite de la part de Mme [N] [X] en date du 2 décembre 2016 confirmant que « fin 2014, [M] [B] (lui avait) fait lire des SMS que [P] [Y] lui avait adressés à de multiples reprises tout au long de l'année (lesquels) était tout à fait inappropriés dans un contexte professionnel », avoir « gardé en mémoire quelques mots plusieurs fois répétées notamment 'belle [M]', 'ma beauté', 'belle brune'», que sa collègue lui avait « indiqué à cette occasion que [P] [Y] lui avait mis la main aux fesses en 2013, qu'elle lui avait été clairement fait entendre que son comportement était inacceptable et avait menacé de le dire à la direction », faisant également état de l'inquiétude de sa collègue face à la persistance du comportement de M. [Y] et avoir décidé qu'il était de son devoir d'informer la hiérarchie après avoir trouvé [M] [B] « en état de stress et très angoissée à de multiples reprises » et notamment le jour « où elle (avait) fondu en larmes et (...) expliqué qu'elle ne se sentait plus en sécurité lorsqu'elle était amenée à rester tard et que la majorité des collègues du plateau sauf [P] [P] étaient partis », que la concernant, elle avait été très surprise que M. [Y] lui demande avec insistance « si (elle était) venue m'installer seule ou pas dans la région » à la fin de l'une des ses premières journées de prise de fonctions en novembre 2012, ce à quoi elle lui avait « répondu sèchement que cela ne le regardait pas »,



- une attestation manuscrite de Mme [U] [J] en date du 21 octobre 2016 confirmant l'épisode du 18 mai 2016 à la cafétéria de l'entreprise, au cours duquel M. [Y] avait cherché à obtenir le numéro de téléphone privé de [M] [B] auprès de Mme [T] [O] ainsi que d'elle-même,



- une attestation manuscrite de Mme [T] [O] en date du 31 octobre 2016 évoquant avoir été victime en 2006 de la part de M. [Y] de faits de harcèlement sexuel similaires à ceux dénoncés par Mme [B], précisant qu'elle avait choisi de ne pas rapporter ces faits à sa hiérarchie, à savoir que M. [Y] lui avait adressé « par mail, au travail, un film pornographique » alors que « rien ne laissait présager dans son message, la nature de la pièce jointe », précisant avoir « eu extrêmement honte », craignant que quelqu'un entre dans son bureau à ce moment précis, avoir à l'époque demandé explicitement à M. [Y] de cesser de lui « adresser ce genre d'horreur », avoir dû le recadrer à nouveau ultérieurement et même faire intervenir son mari, « outré par la teneur du mail transmis et son indifférence à (aux) propos de son épouse », avoir été informée des craintes de Mme [B] lorsqu'elle devait se se retrouver seule avec M. [Y] et confirmant que ce dernier avait tenté d'obtenir le numéro de sa collègue le 18 mai à la cafétéria,



- une attestation manuscrite de M. [I] [E] en date du 21 novembre 2016 relatant notamment que « le 25 mai 2016, [M] [B], très affectée, a(vait) souhaité (le) voir pour (l') alerter sur sa situation de détresse et d'effets relatifs à [P] [Y] », que cette salariée l'avait alerté qu'elle n'était pas la seule à avoir subi le comportement de son collègue, qu'il avait donc reçu [M] [D] qui avait indiqué avoir reçu des mails dont celui du 12 mai 2016 (taille-crayon), subir de la part de l'intéressé des remarques incessantes et déplacées sur ses habitudes vestimentaires et sur son physique et que Mme [U] [J] était également victime du comportement de M. [Y], qu'il avait donc reçu le même jour Mme [J] qui lui avait indiqué avoir reçu le 18 mars 2016 un message inapproprié de M. [Y] faisant allusion à une fessée, avoir préféré ne pas alerter la direction et demander à l'intéressé de cesser immédiatement ce genre de familiarité avec elle, qu'il avait également eu connaissance de l'envoi du film pornographique à Mme [T] [O] ainsi que du fait que le salarié avait suivi Mme [W] [R] en voiture après ces heures de travail jusqu'à chez elle, ce qu'il avait effrayée, mais au sujet de quoi elle ne souhaitait pas communiquer car ce fait s'était produit tout à ses débuts à l'agence et que depuis, elle était devenue professionnellement proche de M. [Y],



- une attestation de M. [K] [A] en date du 1er décembre 2016 relatant avoir « été témoin d'un comportement agressif et surprenant de la part de M. [Y] à l'encontre de Mme [D] » lorsqu'il avait « organisé en tant que hiérarchique une réunion fin mai, début juin 2016 dans le but de clarifier le rôle de chacun et de mettre fin à (un) différend », avoir été « très surpris par l'attitude de M. [Y], dont le comportement se révélait en profond décalage avec les discours lénifiants qu'il avait pu tenir » et lui avoir « indiqué tout le mal qu'(il pensait) de son attitude, inutilement agressive, vexatoire et humiliante, voire provocatrice, et à vrai dire totalement incompréhensible (...) », mais qui pouvait s'expliquer par la dénonciation des faits le mettant en cause auprès de la hiérarchie.



La cour observe que le salarié produit lui-même en pièces 8 et 9 l'émoticône (Smiley faisant les yeux doux et offrant un c'ur) qu'il avait envoyé à Mme [B] le 12 avril 2016 et le dessin suggestif d'une relation sexuelle (un crayon et un taille-crayon au lit) envoyé le 12 mai 2016 à Mme [B] et à Mme [D], semblant ne pas réaliser que ses envois - qualifiés de 'grivois', ou de mode de communication 'trivial empreint d'une certaine goujaterie', ou encore de 'blagounettes' - dépassaient largement un cadre professionnel et caractérisaient le harcèlement sexuel ressenti et parfaitement décrit par les collègues qui en étaient les victimes.



Au vu de ces éléments, la cour constate que M. [Y] a fait subir à ses collègues de travail sur plusieurs années un harcèlement sexuel constitutif d'une faute grave, et imposant à l'employeur de le mettre à pied dès qu'il avait eu connaissance des faits reprochés.



Par suite, le jugement entrepris sera infirmé et M. [Y] débouté de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires.







Sur les autres demandes :







Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [Y] supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamné à payer à l'UGAP une indemnité au titre des frais irrépétibles que cet établissement a dû exposer en première instance et en appel.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe :





- Infirme le jugement rendu le 12 novembre 2019 par le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



- Dit que le licenciement notifié à M. [P] [Y] le 17 juin 2016 pour des agissements à connotation sexuelle à l'encontre de plusieurs collègues repose sur une faute grave ;



- Déboute M. [P] [Y] de l'ensemble de ses demandes financières et indemnitaires ;



- Condamne M. [P] [Y] à payer à l'UGAP une indemnité de 3.000 € au titre de ses frais irrépétibles en première instance et en appel, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



- Condamne M. [P] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.





Le greffier Le président

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