3 avril 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 18/02914

1/7 actions de groupe

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/7 actions de groupe


N° RG 18/02914 -
N° Portalis 352J-W-B7C-CMPM2

N° MINUTE :


Assignation du :
05 Mars 2018















JUGEMENT
rendu le 03 Avril 2024
DEMANDERESSE

Association Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir (UFC-Que Choisir)
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Hélène FERON-POLONI de la SCP LECOQ VALLON & FERON-POLONI, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #L0187


DÉFENDERESSE

S.A Natixis Investment Managers International
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Dan BENGUIDUI et Maître Denis CHEMLA de la LLP ALLEN & OVERY LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0022










Décision du 03 Avril 2024
1/7 actions de groupe
N° RG 18/02914 - N° Portalis 352J-W-B7C-CMPM2

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Gilles MALFRE, 1er vice-président adjoint,
Président de formation,

Madame Béatrice CHARLIER-BONATTI, vice-présidente
Madame Anne-Cécile SOULARD, vice-présidente,
Assesseurs,

assisté de Samir NESRI, Greffier

DEBATS

A l’audience du 31 Janvier 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
- Signé par Monsieur Gilles MALFRE, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



La société NATIXIS ASSET MANAGEMENT devenue OSTRUM ASSET MANAGEMENT, puis NATIXIS INVESTMENT MANAGERS INTERNATIONAL (la société NIMI) est une société de gestion de portefeuille agréée par l'Autorité des Marchés Financiers (l'AMF).

Elle conçoit et gère des fonds à formules constitués sous forme d’organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) ou sous forme de fonds d’investissements alternatifs (FIA).

Ces fonds garantissent à l'investisseur un objectif financier défini à l'avance dans le contrat, par application d'une formule de calcul indexée sur les marchés financiers. Pour les 111 fonds à formule en litige, le souscripteur a l'assurance, à l'échéance du fonds, de récupérer, hors commission de souscription, l'intégralité du capital investi, majoré du produit de la formule, soit un certain pourcentage de la performance d'un panier d'actions ou d'un indice donné.

Ces 111 fonds sont constitués de deux parties :
- un panier d'actifs figurant au bilan du fonds, pour garantir à l'échéance le capital investi ;
- hors bilan, un « swap » de performance, conclu entre le fonds et une contrepartie bancaire, pour délivrer au fonds la formule promise aux swaps porteurs à l'échéance. En échange, le fonds verse périodiquement à la contrepartie bancaire un flux variable.

Pour chacun des fonds, la société NIMI a conclu une convention de garantie par laquelle le garant s'engage à combler l'éventuel écart entre la valeur liquidative du fonds à l'échéance et la valeur liquidative garantie. Le coût de cette garantie est intégré aux frais de gestion.



Outre cette garantie contractuelle, la société NIMI a constitué une marge de sécurité exigée par le garant des fonds, un « coussin », dont l'objet affiché est de couvrir le risque de marché et le risque de taille pendant la phase de lancement, puis, pendant la vie des fonds, de couvrir les risques réglementaires, opérationnels ou fiscaux.

La principale composante de ce « coussin » est la marge de structuration. S'y ajoutent les commissions de rachat acquises au fonds, nettes du coût de réajustement des swaps. Cette marge de structuration est la différence entre les flux reçus par le fonds provenant du swap de performance et les flux versés par le fonds à la contrepartie bancaire. Elle alimente l'actif net du fonds durant la vie de celui-ci.

À l'échéance, le reliquat de la marge de structuration, correspondant à la différence entre la valeur liquidative à l'échéance et la valeur liquidative garantie, est débité de l'actif net et crédité dans un compte de dette du fonds.

Au cours de la vie du fonds, les porteurs peuvent en sortir. Les commissions dues par les porteurs en cas de rachat sont de 4 % de la valeur liquidative des parts remboursées. Elles sont pour moitié acquises au fonds et pour moitié réparties entre la société de gestion de portefeuille et le réseau de distribution du fonds. Elles sont présentées comme servant à compenser les frais supportés par le fonds pour désinvestir les avoirs confiés.

Le montant des commissions de rachat acquises au fonds qui reste après déduction des coûts liés au désinvestissement, constitue les commissions de rachat nettes des coûts d'ajustement. Elles sont inscrites à l'actif net du fonds, puis en sont débitées pour être créditées sur un compte de dette du fonds.

À l'échéance, s'il existe un écart entre la valeur liquidative et la valeur liquidative garantie que la marge de structuration n'a pas suffi à combler, les commissions de rachat nettes sont basculées à l'actif net du fonds afin de combler cet écart, sans avoir à faire appel au garant.

Dans le cas contraire, les sommes en cause restent inscrites en compte de dette.

Le 3 février 2015, le secrétaire général de l'AMF a procédé à un contrôle portant sur le respect par la société NIMI de ses obligations professionnelles. Le contrôle a porté sur les 133 fonds structurés et gérés par la société et a donné lieu à l'établissement d'un rapport, le 16 novembre 2015.

Par une décision du 31 mai 2016, le collège de l'AMF a notifié à la société deux séries de griefs : la première relative aux commissions de rachat acquises aux fonds et la seconde au prélèvement à l'échéance de la différence issue de la marge de structuration.

La commission des sanctions, par décision du 25 juillet 2017, a prononcé à l'encontre de la société NIMI une sanction financière d'un montant de 35 millions d’euros assortie d’un avertissement. La société NIMI a introduit devant le Conseil d’État, un recours de plein contentieux contre cette décision du 25 juillet 2017.




C'est dans ces conditions que l’association UFC-QUE CHOISIR-UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS-QUE CHOISIR (l'association UFC-QUE CHOISIR), par une assignation du 5 mars 2018, a recherché la responsabilité de la société NIMI à l’égard de souscripteurs de parts de ces fonds, sur le fondement des articles L. 623-1 et suivants du code de la consommation.

Dans cet acte introductif d'instance, l'association UFC-QUE CHOISIR estime que les fautes disciplinaires suivantes sont susceptibles de constituer une faute civile, à savoir :
- le prélèvement par la société NIMI de commissions de rachats acquises aux fonds, qui, si elles avaient été maintenues à l’actif des fonds, auraient augmenté la valeur liquidative des parts des fonds, de sorte que cette société a manqué à son obligation d’agir dans le seul intérêt des porteurs, et a délivré une information parcellaire, inexacte et trompeuse ;
- le prélèvement par la société NIMI de la différence issue de la marge de structuration.

L’association entend permettre aux consommateurs « qui ont procédé ou vu être procédé à la cession anticipée des fonds concernés », de déterminer leur préjudice correspondant à la différence entre la valeur liquidative pratiquée et celle recalculée par réintégration des commissions de rachats nettes et des frais de gestion indûment perçus.

Par ordonnance du 3 avril 2019, le juge de la mise en état a rejeté la demande de transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 621-12-1 du code monétaire et financier, relatif à la possibilité, pour l’AMF, de transmettre à la juridiction saisie d’une action en réparation d’un préjudice, qui en fait la demande, les procès-verbaux et rapports d’enquête et de contrôle qu’elle détient et dont la production est utile au litige.

Par un arrêt du 6 novembre 2019, le Conseil d’État a ramené la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société NIMI par la commission des sanctions de l'AMF à la somme de 20 millions d’euros et a rejeté les conclusions de la requérante pour le surplus.

Par ordonnance du 13 janvier 2021, le juge de la mise en état a dit que :
- l’AMF devra transmettre à la juridiction copie des procès-verbaux et des rapports d'enquête ou de contrôle dressés par cette autorité dans le cadre des poursuites ayant abouti à la décision de sanction du 25 juillet 2017 et dont elle considérera la production utile à la solution du litige ;
- les informations relatives aux coordonnées et à la situation de famille des personnes entendues feront l’objet d’une occultation par le greffe, dans l’hypothèse où l’AMF n’y aurait pas elle-même procédé ;
- le greffe avisera sans délai les parties de la transmission des pièces par l’AMF et leur communiquera la liste desdites pièces ;
- ces pièces seront provisoirement conservées au greffe pendant le délai d’un mois suivant l’avis transmis aux parties ;
- en l’absence de demande adressée au juge de la mise en état émanant de la société NIMI, tendant à les voir écarter des débats et répondant aux dispositions des articles R. 153-3 et suivants du code de commerce, ces pièces seront transmises à l’association UFC- QUE CHOISIR à l’issue du délai d’un mois précité ;


- et a renvoyé l’affaire à la mise en état.

Par ordonnance du 5 janvier 2022, le juge de la mise en état a :
- écarté des débats les pièces suivantes :
* annexes 3, 4, 5, 6, 7 (échange de courriels du 1er mars 2013), 8, 9 et 10 du procès-verbal d’audition de [W] du 24 avril 2015 ;
* annexes 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13 et 14 du procès-verbal d’audition de M. [W] du 5 mai 2015 ;
- dit que les pièces suivantes seront communiquées dans leur version non confidentielle, telle que remise par la société NIMI :
* rapport de contrôle de l’AMF, (pièce 1 de NIMI) ;
* procès-verbal d’audition de M. [R] du 21 avril 2015 et ses annexes 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 et 12 biffées ;
* procès-verbal d’audition de M. [W] du 24 avril 2015 et ses annexes 2 et 11, étant précisé que l’annexe 1 qui correspond aux ordres de mission donnés par l’AMF est déjà communiquée concernant M. [R] et ne le sera pas de nouveau ;
* procès-verbal d’audition du M. [W] du 5 mai 2015 et son annexe 2, étant précisé que l’annexe 1 qui correspond aux ordres de mission donnés par l’AMF est déjà communiquée concernant M. [R] et ne le sera pas de nouveau ;
* procès-verbal d’audition et de restitution des constats du 22 juillet 2015 : (pièce 5 de NIMI) ;
* procès-verbal d’audition de M. [K] et ses annexes 2, 3, 7 ;

* annexes 48 et 48 bis au rapport de contrôle, lesquelles devront également être transmises sous forme de tableau Excel par voie informatique ;
La SCP Lecoq-Vallon et Maître Feron Poloni prendront contact avec le greffe pour venir récupérer les deux dossiers sous côte bleue communiqués par NIMI ;
- dit que la société NIMI transmettra à son adversaire les autres pièces reçues de l’AMF, dans le mois suivant la date de la présente décision, à savoir :
* annexes 1, 9, 11, 13 à 15 au procès-verbal de M. [R] ;
* annexes : 8 et 9 du procès-verbal de M. [W] du 5 mai 2015 ;
* annexes 4, 5, 6, 8 à 11 du procès-verbal d’audition de M. [K] ;
* annexe 28 : prospectus (dossier de fichiers) ;
* annexe 46 : rapports annuels (dossier de fichiers) ;
*annexe 38 : fiche de constat sur les schémas comptables ;
* annexe 38 bis : schéma comptable (feuille de calcul) ;
* annexe 63:VL Robusta 3 (feuille de calcul) ;
- dit que le CD Rom sera conservé par le greffe jusqu’à ce qu’à l’expiration des voies de recours à l’encontre du jugement rendu au fond, et que, passé ce délai, soit il sera détruit en l’absence d’appel portant sur l’absence de communication de certaines pièces, partiellement ou intégralement, soit il sera transmis à la cour d’appel ;

- et a renvoyé le dossier à la mise en état.

Par conclusions du 2 octobre 2023, l’association UFC-QUE CHOISIR demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de la déclarer recevable et bien fondée en son action et de débouter la société NIMI de ses exceptions et prétentions principales et subsidiaires. En conséquence, à titre principal, elle entend que la partie adverse soit condamnée à payer, à titre de dommages-intérêts :





- à chaque porteur de parts de l’un des 89 fonds (selon le tableau repris au dispositif des conclusions, colonne « Nom du fonds »), en fonction du nombre de parts détenues par lui au terme du fonds, le montant en euros des « Commissions de rachat nettes acquises au fonds » que s’est appropriées la société NIMI (selon le tableau repris au dispositif des conclusions tableau, colonne « commissions de rachat nettes acquises au fonds ») ;
- à chaque porteur de parts de l’un des 19 fonds (selon le tableau repris au dispositif des conclusions, colonne « Nom du fonds »), en fonction du nombre de parts détenues par lui lors de la transformation du fonds, le montant en euros des « Commissions de rachat nettes acquises au fonds » que s’est appropriées la société NIMI (selon tableau repris au dispositif des conclusions, colonne « Commissions de rachat nettes acquises au fonds ») ;
- à chaque porteur de parts qui a cédé de manière anticipée sa participation dans l’un des 111 fonds, en fonction du nombre de parts détenues par lui lors de sa sortie anticipée, le montant en euros des « Commissions de rachat nettes acquises au fonds » que s’est illicitement appropriées la Société NIMI ;
- à chaque porteur de parts de l'un des 18 fonds (selon le tableau repris au dispositif des conclusions) le montant du préjudice supplémentaire subi par ce porteur au titre du dépassement du taux maximum des frais de gestion annuel tel qu’il a été identifié par les annexes 48 et 48 bis du rapport d’enquête de l’AMF dans la colonne intitulée « Impact porteur » et qui n’est pas déjà couvert par les dommages-intérêts réparant l’appropriation illicite des « Commissions de rachat nettes acquises au fonds » ;
L’association UFC-QUE CHOISIR demande au tribunal d'assortir toutes les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la signification de l’acte introductif d’instance et d'ordonner la capitalisation de ces intérêts.
En toute hypothèse, la requérante sollicite:
- qu'il soit ordonné toute mesure d’information du jugement à intervenir à destination des personnes susceptibles d’appartenir au groupe de consommateurs défini, par la publication de la décision à intervenir dans les quotidiens LE PARISIEN, LE FIGARO, LE MONDE, le magazine LE PARTICULIER, les sites internet du groupe NIMI, des BANQUES POPULAIRES et des CAISSES D’EPARGNE, ainsi que par des messages radiophoniques et télévisuels réguliers pendant 2 mois dont le paiement sera à la charge de la société NIMI, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision ;
- qu'il soit fixé à six mois à compter de l’achèvement des mesures de publicité ordonnées le délai dont disposeront les consommateurs pour adhérer au groupe afin d’obtenir la réparation de leur préjudice, les modalités d’adhésion au groupe faisant l'objet d'un envoi d’une LRAR adressée par les porteurs à la société NIMI dont le siège social est situé [Adresse 2], avec envoi concomitant de la copie de ce courrier à l’Association UFC QUE CHOISIR située [Adresse 1] ;
- qu'il soit fixé un délai maximal d’un mois à compter de la réception de la LRAR que le porteur aura adressé à la société NIMI pour que cette dernière lui règle les dommages-intérêts qui lui sont dus ;
- que la société NIMI soit condamnée à lui payer la somme de 250 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont une somme de 200 000 euros réglée dès le prononcé de la condamnation à titre de provision, conformément à l’article L. 623-12 du code de la consommation.


Par conclusions du 2 octobre 2023, la société NIMI demande au tribunal, à titre principal, de déclarer irrecevable l’action de groupe introduite par l’association UFC-QUE CHOISIR, à titre subsidiaire, de débouter cette association de ses demandes, en ce compris celles formulées au titre des mesures de publicité du jugement à intervenir, des modalités d’adhésion au groupe et des délais d’indemnisation des porteurs, sollicitant en outre la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2023, pour une audience de plaidoirie fixée au 31 janvier 2024.


SUR CE

À titre liminaire, il est rappelé que les investisseurs ont souscrit aux fonds à formule, soit dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie, ce qui vise en l'espèce 61% des cas, soit directement auprès de la société NIMI. L’association UFC-QUE CHOISIR précise à cet égard que parmi les cas individuels de consommateurs qu'elle présente, huit relèvent de la première hypothèse et deux de la seconde.

Sur la recevabilité de l'action de groupe :

La présente action de groupe se fonde sur l’article L. 623-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige et issue de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018, qui dispose que :

« Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l'article L. 811-1 peut agir devant une juridiction civile afin d'obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d'un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales, relevant ou non du présent code, ou contractuelles :
1° A l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ainsi que dans le cadre de la location d'un bien immobilier ;
2° Ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne »

Il résulte de cette disposition qu'il appartient à l'association requérante de rapporter la preuve d'un manquement de la société NIMI à ses obligations légales ou bien contractuelles à l'occasion de la fourniture de services, ce manquement ayant été la cause de préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique.

1. La société NIMI fait valoir que l'association UFC-QUE CHOISIR se fonde sur des manquements multiples.

La défenderesse relève que l'association allègue du non-respect des termes du prospectus diffusé pour la commercialisation des fonds, au titre de ses obligations contractuelles, tout en reprochant également à la société NIMI la violation de ses obligations légales prévues par le code monétaire et financier ainsi que le règlement général de l'AMF, en particulier, les dispositions de l’article L. 533-12 I du code monétaire et financier en vigueur du 1er novembre 2007 au 3 janvier 2018 et des articles 411-113 (en vigueur du 21 octobre 2011 au 16 avril 2016) et 422-71 du règlement général de l'AMF.

À cet égard, l'association UFC-QUE CHOISIR évoque effectivement à plusieurs reprises la violation des obligations contractuelles de la société NIMI, en ce que les termes du prospectus diffusé n'ont pas été respectés, soulignant que cette inexécution contractuelle a causé un préjudice aux souscripteurs des parts des fonds litigieux, qu’ils soient directement porteurs de ces parts ou titulaires d’unités de compte via un contrat d’assurance vie.

Cependant, la violation de ces obligations contractuelles est présentée, soit d'une manière subsidiaire, l'association soutenant à titre principal qu'il est caractérisé une violation des obligations légales (pages 21 et 40 de ses conclusions), soit sur le même plan, la requérante reprochant à la société NIMI des manquements à la fois légaux et contractuels (page 26 des conclusions).

Or, l’article L. 623-1 susvisé impose à l'association de fonder son action sur un manquement résultant de la violation par le professionnel, soit de ses obligations légales, soit de ses obligations contractuelles, ce qu'elle ne caractérise pas en l'espèce puisqu'alléguant divers manquements légaux et/ou contractuels, sans indiquer clairement sur quelle obligation elle entend fonder son action de groupe.

Par ailleurs, comme précédemment rappelé, dans 61% des cas, les épargnants ont investi dans les fonds par l'intermédiaire d'un contrat d'assurance-vie.

Dans ces cas, comme le souligne justement la société NIMI, c'est l’assureur qui investit dans le fonds et en porte les parts, qui constituent le support de référence des unités de compte du contrat d’assurance-vie dont l’assuré est titulaire.

La société défenderesse en conclut qu'il n'existe pas de lien contractuel entre elle et ces épargnants, ajoutant que les manquements allégués quant aux informations contenues dans le prospectus des fonds à formule revêtent une nature précontractuelle, en ce qu'ils n'ont pas donné lieu par la suite à l'établissement d'un contrat.

L'association considère que ce prospectus a une valeur contractuelle dès lors qu’il est suffisamment précis et détaillé pour avoir exercé une influence déterminante sur le consentement du cocontractant, alors que ce document stipule que les commissions de rachat nettes et les marges de structuration étaient acquises aux fonds et donc, in fine, aux porteurs.

Elle en déduit qu'il s’agit d’un engagement contractuel pris par la société NIMI à l’égard des porteurs des parts des fonds.

Toutefois, dans les hypothèses, plus que majoritaires, relevées par la défenderesse, il ne saurait être discuté qu'il n'existe pas de lien contractuel entre la société NIMI et les épargnants puisque ce lien contractuel n'existe qu'avec l'assureur.







Il en résulte que la violation alléguée de l'obligation précontractuelle d’information, au titre du prospectus, n'est pas de nature contractuelle, lorsque, comme au cas d'espèce, il n'existe pas par la suite de relations contractuelles entre les parties, de sorte que cette violation reste de nature délictuelle.

Par conséquent, dans 61% des cas, les manquements allégués ne peuvent pas se rattacher à la fourniture de services, à défaut de lien contractuel entre les épargnants et la société NIMI.

2. La défenderesse relève que les conséquences des manquements allégués ne sont ni identiques ni similaires et vise plusieurs situations différentes dans lesquelles se trouvent les porteurs des fonds à formule concernés par la présente action :

- certains des fonds visés ont été liquidés à l’échéance de la formule, tandis que d’autres ont été transformés, outre que même dans la catégorie des porteurs des fonds transformés, la situation est différente puisque, selon les cas, la marge de structuration a pu ou non être prélevée, en tout ou partie ;

- d’autres porteurs ont cédé leurs parts de manière anticipée, à leur valeur liquidative courante ;

- pour certains fonds, sur les prélèvements critiqués, il n'y a eu aucun dépassement du taux de frais de gestion indiqué dans le prospectus (parmi les 111 fonds visés seuls 18 ont fait l’objet d’un dépassement du taux annuel de frais de gestion constaté par la mission de contrôle de l’AMF, aux termes de ses annexes 48 et 48bis, tandis que pour les 93 autres, il n'y a eu aucun dépassement de cette nature) ;

- le dépassement du taux annuel de frais de gestion a été constaté à l’échéance des fonds, alors que certains des porteurs en étaient sortis par anticipation ;

- 66 des 111 fonds visés étaient en cours et n'ont pas fait l’objet des prélèvements contestés.

Sur ce point, l'association se contente de répliquer que les porteurs des fonds sortis de manière anticipée ou à l’échéance des fonds ou restés dans les fonds transformés, ont tous subi un préjudice du fait de la captation illicite commise par la société NIMI, de flux financiers acquis aux fonds.

Pour autant, elle vise au dispositif de ses conclusions quatre chefs de demandes distincts, visant à réparer les dommages qu’auraient subis des investisseurs, mais qui relèvent manifestement de situations différentes :

- les porteurs de parts de 89 fonds détenus au terme du fonds, pour les commissions de rachat nettes acquises au fonds ;

- les porteurs de parts de 19 fonds détenus lors de la transformation du fonds, pour les commissions de rachat nettes acquises au fonds ;

- les porteurs de parts de 111 fonds cédés de manière anticipée, pour les commissions de rachat nettes acquises au fonds ;



- les porteurs de parts de 18 fonds, pour le dépassement du taux maximum des frais de gestion annuel.

L'association ne présente donc pas un groupe de consommateurs placés dans une situation similaire ou identique.

3. La société NIMI fait en outre valoir qu'elle ne fournit pas de services, au sens de l'article L. 623-1 du code de la consommation.

Elle rappelle que l’obligation essentielle dont elle est débitrice à l’égard des porteurs des fonds à formule est une obligation de payer et non une obligation de faire.

Elle souligne à cet égard que si les choix stratégiques et arbitrages opérés par une société de gestion sont au cœur de l’activité de gestion collective d’OPCVM ou de FIA, tel n’est pas le cas en présence de fonds à formule qui reposent sur une gestion passive, qu'en effet, ces fonds se caractérisent par une garantie en capital associée à un rendement à terme, ces caractéristiques étant assurées à l’origine, par une formule mathématique, une stratégie et une ingénierie contractuelles incarnées par les contrats financiers négociés ab initio, de sorte qu'elle n'est pas soumise à une simple obligation de moyens, mais à une obligation de résultat dont l’objet est de régler la valeur liquidative garantie aux porteurs, à l’échéance.

L'association UFC-QUE CHOISIR estime au contraire que la société NIMI est une société de gestion, dont l'obligation principale est une obligation de faire consistant à gérer des fonds, dans l’intérêt des porteurs des parts de ces fonds, ce qui ne constitue pas une gestion passive, de sorte qu'il doit être considéré qu'elle effectue des prestations de service.

Elle ajoute que la société perçoit à ce titre des frais de gestion et de fonctionnement de la part des fonds et que l’obligation de payer n'est que secondaire puisqu’elle n’intervient qu’à l’échéance du fonds, cette obligation impliquant nécessairement l’obligation de gestion qui en est le préalable. Elle relève que l'audition de M. [W], « head of investment solutions and services », lors de l’enquête à la barre le 24 mai 2019, dans le cadre du recours devant le Conseil d’État, confirme, au contraire, l'existence d'une gestion active de la société NIMI.

Il est rappelé sur ce point qu'un contrat de fourniture de services est celui qui permet de réaliser une prestation de services, le consommateur se procurant des services à des fins non professionnelles. Il comprend comme obligation essentielle une obligation de faire, le débiteur de cette obligation s'engageant, à titre principal, à effectuer une activité déterminée créatrice d'utilité économique.

Or, en l'espèce, la spécificité des fonds à formule repose sur une garantie, à l'échéance, de la réalisation d'un objectif financier préalablement défini, la société NIMI étant tenue de restituer le capital net investi. Cette société est donc uniquement débitrice d'une obligation de payer, ce qui constitue l'obligation principale à sa charge.







C'est la raison pour laquelle l'engagement pris est garanti par un établissement de crédit, pour assurer le versement de la valeur liquidative à l’échéance. Cet engagement souscrit par la société de gestion à l’égard des porteurs de fonds à formule est déterminant et indissociable de la qualification de fonds à formule.

Contrairement à ce que soutient l'association requérante, l'audition de M. [W] n'est pas de nature à remettre en cause cette gestion passive effectuée par la société NIMI. En effet, les opérations financières qu'il évoque ont pour seul objectif d’assurer le paiement de la valeur liquidative garantie à l’échéance, sans qu'il n'ait présenté ces opérations comme étant essentielles.

Dès lors, il ne peut pas être considéré que la société NIMI, pour les fonds en cause, réalise une fourniture de services telle que visée à l’article L. 623-1 du code de la consommation.

Il résulte des éléments précédemment retenus que l'association UFC-QUE CHOISIR ne peut qu'être déclarée irrecevable en son action.

Sur les autres demandes :

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, l'association UFC-QUE CHOISIR sera condamnée au paiement d'une somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Dit l’association UFC-QUE CHOISIR-UNION FEDERALE DES CONSOMMATEURS-QUE CHOISIR irrecevable en son action ;

La condamne aux dépens, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SA NATIXIS INVESTMENT MANAGERS INTERNATIONAL la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Fait et jugé à Paris le 03 Avril 2024

Le GreffierLe Président


S. NESRIG. MALFRE

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.