4 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.127

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00181

Titres et sommaires

BOURSE - Autorité des marchés financiers (AMF) - Franchissement de seuil - Déclaration d'intention - Objet - Equity swaps

Il résulte de la combinaison des articles L. 233-9, I, 4° bis, du code de commerce et 231-44 et 231-47 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), que les « equity swaps » à dénouement en numéraire, qui ont, pour leur titulaire, des effets économiques similaires à la possession des actions sous-jacentes, sont assimilés à ces actions pour l'application du dernier de ces textes. Il s'en déduit à bon droit que le déclarant doit préciser à l'AMF s'il a l'intention d'apporter à l'offre préalablement déposée non seulement les actions qu'il a déjà acquises mais aussi, en cohérence avec sa déclaration d'intention de poursuivre ses acquisitions, les actions qu'il est susceptible d'acquérir pendant la période d'offre à la suite du dénouement de ses « equity swaps » par le rachat des actions préalablement acquises en couverture par la banque contrepartie


BOURSE - Autorité des marchés financiers (AMF) - Pouvoirs - Sanctions - Entrave - Applications diverses - Demande de communication d'information ou de documents présentée à une autorité étrangère

Il résulte de la combinaison de l'article L. 621-15, II, f), du code monétaire et financier, alors applicable, et de l'article 9 de l'Accord multilatéral de l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières que, indépendamment de l'appréciation de la régularité des actes au regard des règles de procédure applicables devant l'autorité requise, l'AMF est compétente pour sanctionner, sur le fondement de l'article L. 625-15, II, f), susvisé, toute personne apportant une entrave à l'enquête qu'elle a ouverte, peu important que cette entrave se manifeste à l'occasion d'une demande de communication d'information ou de documents présentée à une autorité étrangère, dans le cadre de la coopération internationale


BOURSE - Autorité des marchés financiers (AMF) - Pouvoirs - Sanctions - Entrave - Conditions - Elément intentionnel (non)

Le manquement d'entrave, au sens de l'article L. 621-15, II, f), du code monétaire et financier, alors applicable, qui a par nature un caractère objectif, peut être retenu sans qu'il soit nécessaire de démontrer que la personne concernée a délibérément cherché à faire obstacle à une enquête ouverte par l'AMF

Texte de la décision

COMM.

MB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 181 FS-B

Pourvoi n° V 22-19.127




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 AVRIL 2024

1°/ la société Elliott Advisors (UK) Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 3] (Royaume-Uni),

2°/ la société Elliott Capital Advisors LP, société de l'état du Delaware, dont le siège est [Adresse 2] (Etats-Unis),

ont formé le pourvoi n° V 22-19.127 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :

1°/ au procureur général près de la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01,

2°/ à l'Autorité des marchés financiers, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, sept moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller doyen, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Elliott Advisors UK Limited, de la société Elliott Capital Advisors LP, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitent présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller doyen rapporteur, Mme Graff-Daudret, Mme Daubigney, Mme Ducloz, M. Alt, Mme de Lacaussade, M. Thomas, Mme Tréfigny, conseillers, Mme Vigneras, Mme Lefeuvre, Mme Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mars 2022), le 28 avril 2015, la société XPO Logistic Inc. (la société XPO) a annoncé avoir conclu un contrat de cession d'actions portant sur 66,71 % du capital de la société Norbert Dentressangle (la société NDSA), ainsi qu'un accord relatif à une offre publique d'achat simplifié (OPAS) portant sur les actions restantes, et précisé son intention de procéder à un retrait obligatoire des titres NDSA si, à l'issue de la clôture de l'offre, elle avait acquis plus de 95 % du capital de cette société.

2. Le 29 avril 2015, l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) en a informé le marché, marquant ainsi le début de la période de pré-offre.

3. Le 23 juin 2015, l'AMF a déclaré le projet d'OPAS conforme et l'offre a eu lieu du 26 juin au 17 juillet 2015.

4. Entre le 15 mai et le 23 juillet 2015, les sociétés Elliott Advisors UK Limited (la société EAUK) et Elliott Capital Advisors LP (la société ECA), agissant pour le compte du fonds d'investissement du groupe Elliott, ont procédé à l'achat d'actions NDSA et d'instruments dérivés portant sur les actions NDSA. Elles ont, à cette occasion, procédé à des déclarations de franchissement de seuil, à des déclarations d'acquisition en période d'offre et à des déclarations d'intention.

5. Soutenant, en se fondant sur un rapport d'enquête effectué sur l'information financière et le marché du titre NDSA, que les sociétés EAUK et ECA ne s'étaient pas conformées aux obligations déclaratives prévues aux articles 223-14, 231-46 et 231-47 du règlement général de l'AMF, le collège de l'AMF leur a notifié les griefs de déclarations inexactes de la nature des instruments financiers acquis, de déclaration tardive de leur intention de ne pas apporter leurs titres à l'OPAS, et d'entrave à l'enquête.

6. Par une décision n° 3 du 17 avril 2020, la commission des sanctions de l'AMF a retenu ces griefs et a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de chacune de ces sociétés.

Examen des moyens

Sur les premier et septième moyens


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Les sociétés EAUK et ECA font grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions n° 3 du 17 avril 2020 en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par ces sociétés, en application de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis, mais non en ce qu'elle a retenu que le manquement de déclaration inexacte de franchissement de seuil était caractérisé à leur encontre, alors :

« 1°/ que, si les articles L. 233-7, L. 233-9 du code de commerce et 233-14 (223-14) du règlement général de l'AMF, dans leurs versions applicables, instituent une obligation de déclaration de franchissement de seuil s'étendant aux instruments dérivés ayant un effet économique similaire" à la possession d'actions et imposent aux déclarants d'indiquer les principales caractéristiques" de ces instruments tout en renvoyant, s'agissant de la forme" de cette déclaration, à un modèle-type" figurant en annexe d'une instruction de l'AMF, ces dispositions législatives et réglementaires n'instituent strictement aucune obligation de préciser la prétendue qualification exacte des instruments dérivés acquis ; qu'en l'espèce, en jugeant néanmoins, pour retenir le manquement de déclaration inexacte de franchissement de seuil à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que les déclarations réalisées en application de l'article L. 233-7 du code de commerce doivent préciser la nature de l'instrument dérivé acquis", la cour d'appel a violé les articles L. 233-7, L. 233-9 du code de commerce et 233-14 du règlement général de l'AMF ;

2°/ qu'il ressort du principe de légalité des délits et des peines notamment consacré par l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les dispositions prévoyant une sanction à caractère de punition doivent posséder une assise textuelle claire et être suffisamment prévisibles ; qu'en l'espèce, en jugeant pour la première fois, pour retenir le manquement de déclaration inexacte de franchissement de seuil à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que ces dernières étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle-type [figurant en annexe de l'instruction AMF n° 2008-02], lu conjointement avec l'article 233-14, V, 3° du RGAMF (auquel ce document fait expressément référence) ainsi qu'avec l'article L. 233-7, II, du code de commerce (sur la base duquel se fonde ledit article du règlement général de l'AMF, d'évaluer à un degré raisonnable […] les risques encourus en cas de déclaration inexacte de franchissement de seuil quant à la nature de l'accord ou de l'instrument financier concerné", la cour d'appel a méconnu la portée du principe de légalité des délits et des peines et a violé l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

9. Selon l'article L. 233-9, I, 4° bis, du code de commerce, pour le calcul des seuils énoncés au I de l'article L. 233-7 de ce code, sont assimilées aux actions mentionnées par ce texte les actions déjà émises sur lesquelles porte tout accord ou instrument financier mentionné à l'article L. 211-1 du code monétaire et financier, ayant un effet économique similaire à la possession de ces actions et donnant droit à un règlement en espèces.

10. Selon l'article 223-14, V, du règlement général de l'AMF, lorsque le 4° bis du I de l'article L. 233-9 du code de commerce est applicable, la déclaration de franchissement de l'un des seuils énoncés à l'article L. 233-7, I, de ce code comporte, en outre, une description de chaque type d'accord ou d'instrument financier réglé en espèces, précisant notamment les principales caractéristiques de l'instrument ou de l'accord. La déclaration prend la forme du modèle type de déclaration prévu dans une instruction de l'AMF.

11. D'une part, ayant exactement retenu que la description de chaque type d'accord ou d'instrument financier, sur la base de ses principales caractéristiques, vise nécessairement à en déterminer la nature et, partant, à désigner cet accord ou cet instrument financier, l'arrêt en déduit à bon droit que l'instruction AMF n° 2008-02, à laquelle renvoie l'article 223-14 du règlement général de l'AMF susvisé, et le modèle type de déclaration figurant en annexe de cette instruction, qui précisent que la déclaration doit notamment comporter la désignation des accords ou instruments concernés, se bornent à préciser l'obligation énoncée à l'article 223-14 sans aller au-delà de son interprétation, dans le respect des limites assignées aux instructions de l'AMF par l'article L. 621-6 du code monétaire et financier.

12. D'autre part, après avoir énoncé à bon droit que la combinaison des dispositions du modèle type n° 1, et de l'article 223-14, V, 3° du règlement général de l'AMF, lequel prévoit que la déclaration prend la forme du modèle type prévu dans une instruction de l'AMF, constitue une base juridique suffisante au regard du principe de légalité des délits et des peines, l'arrêt retient exactement que les sociétés EAUK et ECA, professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle type n° 1, lu conjointement avec l'article 223-14, V, 3°, du règlement général de l'AMF, ainsi qu'avec l'article L. 233-7, II, du code de commerce, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte de franchissement de seuil quant à la nature de l'accord ou de l'instrument financier concerné.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

14. Les sociétés EAUK et ECA font grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions n° 3 du 17 avril 2020 en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par ces sociétés, en application de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis, mais non en ce qu'elle a retenu que le manquement de déclaration inexacte des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique était caractérisé à leur encontre, alors :

« 1°/ que si les articles L. 233-7 du code de commerce et 231-46 du règlement général de l'AMF, dans leur version applicable, instaurent une obligation de déclarer les opérations sur instruments financiers ayant un effet économique similaire" à la possession des titres visés par une offre publique, tout en renvoyant, s'agissant de la forme" de cette déclaration, à un modèle-type" prévu par instruction de l'AMF, ces dispositions législatives et réglementaires n'instituent en revanche strictement aucune obligation de préciser la prétendue qualification exacte des instruments dérivés acquis ; qu'en l'espèce, en jugeant néanmoins, pour retenir le manquement de déclaration inexacte d'opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que si les dispositions de l'article 231-46 du règlement général de l'AMF n'incluent pas expressément la nature ou la description de l'accord ou de l'instrument financier dans la liste des éléments devant être précisés dans la déclaration, il n'en demeure pas moins que cette exigence découle implicitement mais nécessairement de l'objet et du périmètre de cette obligation déclarative", la cour d'appel a violé les articles L. 233-7 du code de commerce et 231-46 du règlement général de l'AMF ;

2°/ qu'il ressort du principe de légalité des délits et des peines notamment consacré par l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que les dispositions prévoyant une sanction à caractère de punition doivent posséder une assise textuelle claire et être suffisamment prévisibles ; qu'en l'espèce, en jugeant, pour retenir le manquement de déclaration inexacte d'opérations réalisées à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que ces dernières étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle-type figurant en annexe de l'instruction AMF n° 2009-08, lequel se réfère expressément à l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte du type d'instrument dérivé à dénouement en espèces concerné par des opérations réalisées dans le cadre d'une OPA", la cour d'appel a méconnu la portée du principe de légalité des délits et des peines et a violé l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte de l'article 231-46 du règlement général de l'AMF que les personnes tenues à déclaration d'acquisitions en période d'offre visées par ce texte doivent déclarer à l'AMF l'achat de tout instrument financier ou la conclusion de tout accord ayant un effet économique similaire à la possession des titres visés par l'offre, quel que soit son mode de dénouement, et que les déclarations doivent prendre la forme du modèle type défini dans une instruction de l'AMF.

16. D'une part, l'arrêt retient qu'il résulte du libellé de cet article que ces déclarations doivent prendre la forme d'un modèle type défini dans une instruction de l'AMF, ce qui confère à cette dernière un caractère impératif, et qu'il résulte du libellé du modèle type de déclaration n° 2 de l'instruction 2009-08 que cette déclaration doit indiquer, notamment, le « type d'instrument dérivé à dénouement en espèces », en précisant s'il s'agit, par exemple, de « contrats futures ou forward », d'« equity swap » ou de « contract-for-difference (CFD) ».

17. L'arrêt en déduit à bon droit que cette rubrique de l'instruction, portant sur le type d'instrument concerné, se borne à préciser la portée de l'obligation déclarative prescrite par l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, auquel ladite rubrique fait expressément référence, sans aller au-delà de l'interprétation de ce règlement, à laquelle les instructions de l'AMF doivent se limiter, conformément à l'article L. 621-6 du code monétaire et financier.

18. D'autre part, l'arrêt relève que, comme il est dit au point 16, le modèle type n° 2 de la déclaration figurant en annexe de l'instruction 2009-08, auquel renvoie de manière impérative l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, comporte une rubrique selon laquelle le déclarant doit mentionner le type d'instrument dérivé à dénouement en espèces, et constate qu'il résulte de la série de déclarations effectuées en application de ce texte, figurant à l'annexe 3-2 du rapport d'enquête, que tous les déclarants, notamment la société ECA, ont mentionné, dans leurs déclarations, le type des instruments dérivés à dénouement en espèces qu'ils avaient acquis, à savoir des CFD et des « equity swaps ». L'arrêt en déduit que, dans ce contexte, la caractérisation d'un manquement à l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, en cas de déclaration inexacte portant sur le type d'instrument dérivé à dénouement en espèces était raisonnablement prévisible et cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative prescrite par l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, eu égard à l'importance de l'objectif de bonne information du marché dans le cadre d'une OPA.

19. En cet état, c'est à bon droit que l'arrêt retient que les sociétés EAUK et ECA, en tant que professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle type n° 2, lequel se réfère expressément à l'article 231-46 du règlement général de l'AMF, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte du type d'instrument dérivé à dénouement en espèces concerné par des opérations réalisées dans le cadre d'une OPA.

20. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

21. Les sociétés EAUK et ECA font grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions n° 3 du 17 avril 2020 en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par ces sociétés, en application de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis, mais non en ce qu'elle a retenu que les manquements de déclaration inexacte de franchissement de seuil et de déclaration inexacte des opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique étaient caractérisés à leur encontre, alors « qu'une incrimination ne saurait reposer sur des notions qui, dépourvues de toute définition juridique, ne permettent pas aux personnes concernées d'évaluer à un degré raisonnable les conséquences pouvant résulter de leurs actes ou abstentions ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour retenir les manquements de déclaration inexacte de franchissement de seuil et de déclaration inexacte d'opérations réalisées dans le cadre d'une offre publique à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, sur une prétendue différence de nature entre les CFD et les equity swaps, lorsqu'elle avait constaté qu' il n'existe pas en droit français de définition des equity swaps et des CFD", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 233-7, L. 233-9 du code de commerce, 233-14 et 231-46 du règlement général de l'AMF, ensemble le principe conventionnel de légalité des délits et des peines. »

Réponse de la Cour

22. Après avoir analysé les documents sur la base desquels les instruments financiers ayant fait l'objet de déclarations de franchissement de seuil et d'acquisitions en période de pré-offre et d'offre ont été acquis, ainsi que différents documents se rapportant à ces instruments financiers, l'arrêt constate que chaque opération réalisée constitue une « swap transaction » au sens de l'International Swaps Derivatives Association (ISDA).

23. L'arrêt constate en outre qu'il résulte des déclarations faites à l'AMF par la Banque of America (BoA), contrepartie des fonds Elliott dans les instruments financiers ayant pour sous-jacent des titres NDSA, portant sur les opérations réalisées quasi quotidiennement sur le titre NDSA entre le 17 juin et le 2 juillet 2015, que les instruments dérivés, tant acquis que vendus par ladite banque, sont désignés comme étant des « equity swaps ». Il retient qu'il ressort de la confrontation de ces déclarations avec celles effectuées par la société ECA, portant sur les opérations réalisées pendant la même période, que le nombre d'instruments achetés pour le compte des fonds Elliott, déclarés comme étant des CFD, à règlement en espèces et arrivant à échéance le 29 janvier 2016, est proche de celui des instruments vendus le jour même par la banque, déclarés comme étant des « equity swaps », à règlement en espèces et arrivant à la même date d'échéance.

24. L'arrêt ajoute que les notices d'opérations sur les titres NDSA transmises aux fonds Elliott et aux sociétés EAUK et ECA par la BoA les 26 juin et 1er juillet 2015 font état de transactions en « equity swaps », et qu'il en est de même d'une synthèse des opérations effectuées entre le 5 mai et le 2 juillet 2015 transmise le 15 février 2016 par la BoA à la société EAUK.

25. L'arrêt relève enfin que, dans un courriel interne du 28 juin 2015, la société EAUK indique que « comme pour GDN [NDSA], on enregistre des swaps et on communique notre position en CFD », et en déduit que cette société, qui avait connaissance de la qualification « d'equity swaps » retenue par la BoA dans sa première notice d'information du 26 juin 2015, avait nécessairement conscience de réaliser des transactions en « equity swaps » sur le titre NDSA, tout en indiquant, en toute connaissance de cause, que ces déclarations seraient déclarées à l'AMF comme étant des CFD.

26. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, dont il résulte, qu'en dépit de l'absence de définition juridique des CFD et des « equity swaps », les sociétés EAUK et ECA avaient acquis des instruments financiers usuellement qualifiés d'« equity swaps » dans le monde de la finance, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a considéré que les déclarations des 15 mai et 24 juin 2015 étaient inexactes.

27. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

28. Les sociétés EAUK et ECA font grief à l'arrêt de réformer la décision de la commission des sanctions n° 3 du 17 avril 2020 en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par ces sociétés, en application de l'article 231-47 du RGAMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis mais non en ce qu'elle a retenu que le manquement de déclaration d'intention tardive était caractérisé à leur encontre, alors :

« 1°/ que l'article 231-47 du RGAMF prévoit l'obligation, pour les investisseurs ayant accru leur participation dans le cadre d'une offre publique aussi bien par l'achat d'actions que par l'acquisition d'instruments dérivés leur conférant une exposition économique similaire, de déclarer, le cas échéant, leur intention d'apporter les titres acquis" à cette offre, sans prévoir que cette obligation déclarative concerne en outre l'éventuel dénouement d'instruments financiers ou accords ayant un effet économique similaire à la possession de ces titres" ; qu'en l'espèce, en jugeant néanmoins, pour retenir le manquement de déclaration d'intention tardive à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que les equity swaps réglés en espèces (c'est-à-dire à dénouement en numéraire), dès lors qu'ils ont pour leur titulaire des effets économiques similaires à la possession des actions sous-jacentes, sont assimilés auxdites actions pour l'application de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF", de sorte que le déclarant serait tenu de préciser s'il a l'intention d'apporter à l'offre préalablement déposée non seulement les actions qu'il a déjà acquises à ce jour, mais aussi, en cohérence avec sa déclaration d'intention de poursuivre ses acquisitions, les actions qu'il est susceptible d'acquérir pendant la période d'offre", la cour d'appel a violé l'article 231-47 du règlement général de l'AMF ;

2°/ qu'il ressort du principe de légalité des délits et des peines notamment consacré par l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les dispositions prévoyant une sanction à caractère de punition doivent posséder une assise textuelle claire et être suffisamment prévisibles ; qu'en l'espèce, en jugeant, pour retenir le manquement de déclaration d'intention tardive à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, que ces dernières étaient pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article 231-47 du RGAMF […], d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration tardive d'intention d'apporter ou non à l'offre les actions déjà acquises ou susceptibles d'être acquises pendant la période d'offre", la cour d'appel a méconnu la portée du principe de légalité des délits et des peines et a violé l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que l'obligation de déclaration d'intention prévue par l'article 231-47 du RGAMF, qui vise à assurer la bonne information du marché et la prévisibilité de l'issue d'une offre publique, suppose de la part du déclarant une prise de décision suffisamment arrêtée, serait-ce à titre provisoire ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour retenir le manquement de déclaration d'intention tardive à l'encontre des sociétés EAUK et ECA, sur l'affirmation suivant laquelle ni la naissance d'une intention, ni sa déclaration à l'AMF ne sont subordonnées à une quelconque prise de décision préalable", et en ne recherchant pas, en conséquence, si les sociétés EAUK et ECA avaient réellement arrêté une quelconque décision avant leur déclaration du 10 juillet 2015, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF. »

Réponse de la Cour

29. En premier lieu, l'arrêt énonce exactement qu'il résulte de la combinaison des articles L. 233-9, I, 4° bis, du code de commerce et 231-44 et 231-47 du règlement général de l'AMF, que les «equity swaps» à dénouement en numéraire, qui ont, pour leur titulaire, des effets économiques similaires à la possession des actions sous-jacentes, sont assimilés à ces actions pour l'application du dernier de ces textes. Il en déduit à bon droit que le déclarant doit préciser à l'AMF s'il a l'intention d'apporter à l'offre préalablement déposée non seulement les actions qu'il a déjà acquises mais aussi, en cohérence avec sa déclaration d'intention de poursuivre ses acquisitions, les actions qu'il est susceptible d'acquérir pendant la période d'offre à la suite du dénouement de ses « equity swaps » par le rachat des actions préalablement acquises en couverture par la banque contrepartie.

30. En deuxième lieu, après avoir énoncé qu'une intention est une disposition d'esprit par laquelle on envisage délibérément un objectif et qu'il s'agit d'un simple projet, d'un dessein, dont la conception repose sur l'appréciation d'une certaine situation, laquelle peut être évolutive, ce qui peut justifier l'émission de réserves lors de la déclaration d'intention ou la réalisation d'une nouvelle déclaration en cas de changement d'intention, l'arrêt en déduit exactement que la déclaration d'intention n'est pas subordonnée à une quelconque prise de décision préalable.
31. En dernier lieu, d'une part, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que le caractère inédit de la question posée ne constitue pas, en soi, une atteinte aux exigences d'accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue fait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles (CEDH, arrêt du 6 octobre 2011, M. Soros c/ France, n° 50425/06, § 58 ; arrêt du 6 mars 2012, Huhtamäki c/ Finlande, n° 54468/09, § 51). D'autre part, les dispositions de l'article L. 233-9, I, 4° bis du code de commerce, citées au point 9, qui assimilent les instruments dérivés à dénouement monétaire aux actions lorsqu'ils ont un effet économique similaire à la possession de ces actions, sont issues de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 et ont pour objectif d'améliorer la transparence et l'information des marchés financiers et d'éviter les cas de montée occulte au capital d'une société ou de « contrôle rampant ».

32. C'est dès lors à bon droit que l'arrêt retient que, si la question du périmètre de la déclaration d'intention prévue à l'article 231-47 du règlement général de l'AMF revêt un caractère inédit, du fait de l'introduction récente, à la date des faits reprochés, du principe d'assimilation des instruments dérivés aux actions, l'interprétation retenue de ce texte faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles au regard de son libellé, combiné à celui de l'article 231-44 du règlement général de l'AMF et de l'article L. 233-9 du code de commerce, et était cohérente avec la substance même du manquement à l'obligation déclarative prescrite par l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, eu égard à l'importance de l'objectif de bonne information du marché dans le cadre d'une OPA. L'arrêt en déduit exactement que les sociétés EAUK et ECA avaient été pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration tardive d'intention d'apporter ou non à l'offre les actions déjà acquises ou susceptibles d'être acquises pendant la période d'offre.

33. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

34. La société EAUK reproche à l'arrêt attaqué de réformer la décision de la commission des sanctions n° 3 du 17 avril 2020 en ce qu'elle a retenu que la déclaration réalisée le 15 mai 2015, par les sociétés EAUK et ECA, en application de l'article 231-47 du règlement général de l'AMF, était inexacte en ce qui concerne la nature des instruments dérivés acquis, mais non en ce qu'elle a retenu que le grief d'entrave à l'enquête était caractérisé à son encontre, alors :

« 1°/ que, dans le cadre de la coopération entre plusieurs autorités de régulation nationales, parties à l'Accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l'échange d'informations de l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières, l'enquête mise en œuvre par une autorité à la demande d'une autre autorité est régie par les règles de procédure de l'autorité requise, à l'exclusion de celles de l'autorité requérante ; que le manquement d'entrave au sens de l'article L. 621-15, II,f), du code monétaire et financier ne peut ainsi en aucun cas être caractérisé dans l'hypothèse où une personne se conforme pleinement aux demandes de son autorité nationale de régulation, dans le cadre d'une enquête régie par le droit de cette autorité, a fortiori en l'absence de tout avertissement préalable s'agissant du risque de se voir reprocher un tel manquement ; qu'en l'espèce, en jugeant néanmoins, pour retenir le manquement d'entrave à l'enquête contre la société EAUK, que, s'il est de jurisprudence constate que la régularité des actes d'enquête mis en œuvre par une autorité étrangère] s'apprécie […] au regard des règles de procédure de l'autorité requise […], ce principe de détermination de la loi de procédure applicable ne s'étend clairement pas aux règles de fond en matière d'entrave à l'enquête et ne remet nullement en cause la compétence de l'AMF, en tant qu'autorité requérante, pour sanctionner toute personne de ce chef, sur le fondement du droit français applicable", la cour d'appel a violé l'article L. 621-15, II, f), du code monétaire et financier, ensemble l'article 9, d), de l'Accord multilatéral précité ;

2°/ que le principe de légalité des délits et des peines impose que les manquements passibles de sanctions à caractère de punition soient clairement définis, la notion de droit" au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impliquant des conditions qualitatives d'accessibilité et de prévisibilité ; qu'en l'espèce, en retenant que la société EAUK ne pouvait ignorer qu'une enquête ouverte en France par l'AMF bénéficiait des dispositions du droit français réprimant les comportements d'entrave à l'enquête", la cour d'appel a méconnu la portée du principe de légalité des délits et des peines et a violé l'article 7, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que la caractérisation du manquement d'entrave suppose d'établir un élément intentionnel, consistant dans un refus" délibéré de coopérer à une enquête mise en œuvre par l'AMF ; qu'en l'espèce, en retenant que le manquement d'entrave aurait par nature un caractère objectif", et en ne recherchant pas, en conséquence, si la société EAUK avait eu l'intention ou même la conscience de faire obstacle à l'enquête en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-15, II, f), du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

35. Selon l'article L. 621-15, II, f), du code monétaire et financier, alors applicable, la commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre de toute personne qui, dans le cadre d'une enquête effectuée en application du I de l'article L. 621-9 de ce code, sur demande des enquêteurs et sous réserve de la préservation d'un secret légalement protégé et opposable à l'Autorité des marchés financiers, refuse de donner accès à un document, quel qu'en soit le support, et d'en fournir une copie, refuse de communiquer des informations ou de répondre à une convocation, ou refuse de donner accès à des locaux professionnels.

36. Selon l'article 9 de l'Accord multilatéral de l'Organisation internationale des commissions de valeurs mobilières, les informations et documents demandés dans le cadre de cet Accord sont recueillis conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l'Autorité requise, par les personnes qu'elle a désignées.

37. En premier lieu, il résulte de la combinaison de ces textes que, indépendamment de l'appréciation de la régularité des actes au regard des règles de procédure applicables devant l'autorité requise, l'AMF est compétente pour sanctionner, sur le fondement de l'article L. 625-15, II, f), susvisé, toute personne apportant une entrave à l'enquête qu'elle a ouverte, peu important que cette entrave se manifeste à l'occasion d'une demande de communication d'information ou de documents présentée à une autorité étrangère, dans le cadre de la coopération internationale.

38. En deuxième lieu, l'arrêt retient à bon droit que, si la question de la portée du manquement d'entrave, au sens de l'article L. 621-15, II, f), susvisé, revêtait, pendant la période des faits reprochés, un caractère relativement inédit, du fait de l'introduction récente de ce manquement en droit interne, il n'en demeure pas moins que l'interprétation retenue de ce texte faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles, au regard de son libellé, et était, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement, eu égard à la sanction administrative qui lui est attachée et à l'objectif d'assurer l'effet utile de ces dispositions, en vue de garantir le bon déroulement des enquêtes, en particulier lorsque celles-ci nécessitent de recourir à la coopération internationale. L'arrêt en déduit exactement que la société EAUK, professionnel averti du monde de la finance, était pleinement en mesure, à partir du libellé de l'article L. 621-15, II, f) susvisé, d'évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s'entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en fonction des suites qu'elle envisageait de réserver aux demandes de communication qui lui avaient été adressées par la Financial Conduct Authority sur requête de l'AMF.

39. En dernier lieu, l'arrêt énonce à bon droit que le manquement d'entrave, au sens de l'article L. 621-15, II, f) susvisé, qui a par nature un caractère objectif, peut être retenu sans qu'il soit nécessaire de démontrer que la personne concernée a délibérément cherché à faire obstacle à une enquête ouverte par l'AMF.

40. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Elliott Advisors UK Limited et Elliott Capital Advisors L.P. aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Elliott Advisors UK Limited et Elliott Capital Advisors LP à payer à l'Autorité des marchés financiers la somme globale de 5 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.

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