4 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-10.579

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00180

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES

Texte de la décision

COMM.

MB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 avril 2024




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 180 FS-B

Pourvoi n° G 21-10.579








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
______________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 AVRIL 2024

Le comptable de la direction des créances spéciales du trésor chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-10.579 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 3), dans le litige l'opposant à M. [Z] [H], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du comptable de la direction des créances spéciales du trésor chargé du recouvrement, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [H], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Ducloz, M. Alt, Mme de Lacaussade, M. Thomas, Mme Tréfigny, conseillers, Mmes Vigneras, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 octobre 2020), le 10 novembre 2017, l'administration fiscale a, en exécution d'une demande d'assistance internationale au recouvrement formulée par le Royaume-Uni, délivré à M. [H] une mise en demeure tenant lieu de commandement de payer une certaine somme correspondant à des allégements fiscaux, dont il avait bénéficié au Royaume-Uni entre avril 2004 et avril 2005, remis en cause par la législation de cet Etat en 2014.

2. Le 16 mars 2018, M. [H] a, après avoir contesté le commandement de payer, assigné l'administration fiscale afin de le voir annuler.

Sur le moyen relevé d'office

Vu l'article R. 283 C-3 du livre des procédures fiscales, transposant l'article 14 de la directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 du Conseil concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (la directive recouvrement) et le principe de confiance mutuelle :

3. Selon ce texte, toute contestation relative à la créance, au titre exécutoire établi par l'Etat membre requérant ou à l'instrument informatisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée devant l'instance compétente de l'Etat membre requérant et toute contestation relative aux mesures exécutoires prises par l'Etat membre requis ou à la validité de la notification, par ce même Etat membre, de la créance, du titre exécutoire ou de l'instrument uniformisé permettant l'adoption de mesures exécutoires dans l'Etat membre requis est portée par son destinataire devant l'instance compétente de l'Etat membre requis.

4. Lorsqu'ils mettent en oeuvre les dispositions de la directive recouvrement, les Etats membres font une application directe du droit de l'Union.

5. Interprétant la directive recouvrement, la Cour de justice de l'Union européenne juge que, s'il relève en principe de la compétence exclusive des instances de l'Etat membre où l'autorité requérante a son siège de connaître du bien-fondé des contestations portant sur la créance ou le titre exécutoire, à titre exceptionnel, les instances de l'Etat membre où l'autorité requise a son siège sont habilitées à vérifier si l'exécution dudit titre serait de nature à porter atteinte notamment à l'ordre public de ce dernier Etat membre et, le cas échéant, à refuser d'accorder l'assistance en tout ou en partie ou à la subordonner au respect de certaines conditions (arrêts du 14 janvier 2010, Kyrian, C-233/08, point 42 ; du 26 avril 2018, Donnellan, C-34/17, point 47, et du 24 février 2021, Silcompa, C-95/19, point 76).

6. Elle juge encore que l'assistance prévue par la directive recouvrement est, ainsi que l'intitulé et divers considérants de cette dernière l'indiquent, qualifiée de « mutuelle », ce qui implique, notamment, qu'il appartient à l'autorité requérante de créer, avant qu'elle présente une demande de recouvrement, les conditions dans lesquelles l'autorité requise pourra utilement, et en conformité avec les principes fondamentaux du droit de l'Union, accorder son assistance (arrêt Donnellan précité, point 61).

7. Pour ordonner la mainlevée de la mise en demeure tenant lieu de commandement de payer, l'arrêt, après avoir énoncé que le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle qu'en matière répressive et que si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif impérieux d'intérêt général qui ne peut se réduire à un intérêt financier, retient que le législateur britannique a supprimé de manière rétroactive les allègements fiscaux dont M. [H] a bénéficié en poursuivant un intérêt uniquement financier et en déduit que l'administration fiscale aurait dû refuser d'accueillir la demande d'assistance au recouvrement présentée par le Royaume-Uni comme portant atteinte à l'ordre public français.

8. Or, ni l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 1er de son 1er protocole additionnel ni l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union ne font de la non-rétroactivité d'une loi fiscale non répressive un principe d'ordre public, pas plus que le Conseil constitutionnel ne lui reconnaît de valeur constitutionnelle, de sorte que le recouvrement, par l'administration fiscale française, d'une créance fondée sur une loi étrangère rétroactive qui pouvait être contestée par son redevable devant les juridictions de l'Etat requérant, ne peut être refusé pour ce seul motif.

9. En statuant comme elle a fait, alors que le principe de non-rétroactivité d'une loi fiscale non répressive n'est pas de ceux qui permettent à l'autorité requise de refuser son assistance en ce qu'il ne porte pas atteinte à l'ordre public français, la cour d'appel a violé les textes et les principes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. [H] aux dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-quatre.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.