3 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-85.513

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00398

Titres et sommaires

ENQUETE - Techniques d'enquête - Fichiers - Habilitation - Production - Obligation - Cas - Fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) - Logiciel de rapprochement judiciaire ATRT

La seule mention en procédure de l'habilitation d'un enquêteur à consulter le fichier de traitement des antécédents judiciaires et à utiliser le logiciel de rapprochement judiciaire ATRT suffit à en établir la preuve. Si les articles 230-10 et 230-25 du code de procédure pénale prévoient que l'habilitation précise la nature des données auxquelles elle autorise l'accès, sa production est sans pertinence tant s'agissant du TAJ que s'agissant du logiciel ATRT. En effet, d'une part, en application de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale, les militaires des unités de la gendarmerie nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités ont accès, pour les besoins des enquêtes judiciaires, à la totalité des données enregistrées dans ce fichier. D'autre part, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 que les données exploitées par le logiciel mis en oeuvre sont nécessairement seulement celles obtenues au cours de la procédure en cours

Texte de la décision

N° Z 23-85.513 F-B

N° 00398


RB5
3 AVRIL 2024


REJET


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 AVRIL 2024


M. [T] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 24 août 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 20 novembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [T] [L], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite d'un renseignement anonyme, une enquête préliminaire concernant des infractions à la législation sur les stupéfiants a été ouverte.

3. A partir des premières informations communiquées, des réquisitions pour obtenir des images extraites de dispositifs de vidéosurveillance ont été remises à la société [1].

4. Les enquêteurs étant amenés à soupçonner la participation de M. [T] [L] à ce trafic, il a été procédé à des consultations du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) le concernant.

5. En outre, au regard des investigations diligentées, deux enquêteurs, MM. [Y] et [O], ont eu recours à un logiciel de rapprochement judiciaire dit application de traitement des relations transactionnelles (ATRT).

6. Le 19 mai 2022, une information a été ouverte contre personne non dénommée des chefs précités.

7. M. [L] a été mis en examen le 20 juin suivant.

8. Son avocat a déposé une requête en nullité de pièces de la procédure le 7 novembre 2022.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit non fondées les requêtes en nullité des 7 novembre et 15 décembre 2022, alors « que toute décision doit comporter les motifs propres à la justifier et le motif hypothétique équivaut au défaut de motif ; qu'en retenant, pour conclure au caractère volontaire de la remise des informations que la société requise « a pu » permettre aux enquêteurs d'exploiter le système de vidéosurveillance, la cour d'appel s'est prononcée par un motif hypothétique et a violé les dispositions de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. C'est à tort que la chambre de l'instruction a énoncé que la société [1] a été régulièrement requise pour remettre aux enquêteurs des informations issues de son système de vidéosurveillance pour la date du 13 février 2023, alors qu'elle a relevé que la réquisition visait une période postérieure au 1er mars 2023.

11. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que ces informations ont été remises volontairement aux officiers de police judiciaire, sans recours à un moyen coercitif, par les représentants du concessionnaire de cette autoroute.

12. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit non fondé le moyen de nullité pris de l'irrégularité des consultations du TAJ et des utilisations des logiciels de rapprochement judiciaire faute d'habilitation des agents ayant procédé à ces consultations, alors :

« 1°/ que ne peuvent accéder aux informations figurant au sein du traitement des antécédents judiciaires et ne peuvent mettre en œuvre un logiciel de rapprochement judiciaire que les personnels des services de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que les personnels de l'Etat investis par la loi d'attributions de police judiciaire qui bénéficient d'une habilitation spéciale, laquelle précise la nature et les données auxquelles elle autorise l'accès ; que le respect de cette condition suppose la production à la procédure de l'acte portant habilitation et comportant les précisions nécessaires quant aux données concernées dont bénéficiait l'agent qui a eu accès aux informations ou qui a mis en œuvre le logiciel de rapprochement ayant permis la transmission de données aux autorités d'enquête ou d'instruction, ou à tout le moins la production de tout élément attestant de l'existence de cette habilitation et de ce qu'elle s'étendait aux données ainsi transmises ; qu'en se fondant sur l'attestation du commandant de la section de recherche dont relevait le militaire ayant consulté les traitements en cause et mis en œuvre un logiciel de rapprochement judiciaire qui se limitait à certifier que l'intéressé bénéficiait d'une habilitation sans précision quant aux données concernées, la chambre de l'instruction a violé les articles 230-20 et 230-25 du code de procédure pénale ;

2°/ en tout état de cause, que l'existence d'une habilitation spéciale dont doit bénéficier l'agent ayant accédé aux informations figurant au sein du traitement des antécédents judiciaires ou ayant mis en œuvre un logiciel de rapprochement judiciaire ne peut être certifiée que par l'autorité compétente pour la délivrer ; que ne sont compétents pour délivrer cette habilitation que les agents mentionnés aux articles R. 40-28 et 40-39 du code de procédure pénale parmi lesquels ne figurent pas les commandants d'une section de recherche d'une brigade de gendarmerie nationale ; qu'en se fondant sur une attestation du commandant de la section de recherche dont relevait le militaire dont l'accès au traitement et l'utilisation du logiciel de rapprochement avait permis la transmission de données aux enquêteurs, la chambre de l'instruction a violé les dispositions précitées. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, en ce qu'il concerne les pièces D 14, D 45, D 53, D 54, D 55, D 60, D 61 et D 62

14. Le moyen, en ce qu'il concerne ces pièces, est inopérant pour les motifs qui suivent.

15. Le demandeur n'a ni établi ni même allégué que les investigations mentionnées dans ces procès-verbaux auraient porté atteinte à sa vie privée.

16. En conséquence, l'intéressé était dépourvu de qualité pour solliciter l'annulation de ces procès-verbaux.

Sur le moyen, en ce qu'il concerne les autres pièces, notamment D 8, D 18, D 22, D 24, D 46 et D 47

17. Il résulte de l'article 230-10 du code de procédure pénale que peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans l'un des traitements prévus par l'article 230-6 du même code, tel que le TAJ, notamment les personnels spécialement habilités des services de la police et de la gendarmerie nationales.

18. Selon l'article 230-25 de ce code, peuvent seuls utiliser les logiciels de rapprochement judiciaire les agents des services de la police et de la gendarmerie nationales chargés d'une mission de police judiciaire qui sont individuellement désignés et spécialement habilités.

19. La réalité de cette habilitation peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, et, conformément aux dispositions de l'article 15-5 du code de procédure pénale, l'absence de mention en procédure d'une telle habilitation n'emporte pas, par elle-même, nullité de cette procédure.

20. En conséquence, il appartient à la juridiction saisie d'un moyen en ce sens d'en vérifier la réalité pour s'assurer de la capacité de l'agent concerné à accéder audit traitement, en ordonnant, le cas échéant, un supplément d'information.

21. La seule mention, en procédure, de l'existence d'une telle habilitation suffit à en établir la preuve.

22. Si les textes susvisés prévoient que l'habilitation précise la nature des données auxquelles elle autorise l'accès, sa production est sans pertinence s'agissant tant du TAJ que du logiciel ATRT.

23. En effet, d'une part, en application de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale, les militaires des unités de la gendarmerie nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités ont accès, pour les besoins des enquêtes judiciaires, à la totalité des données enregistrées dans ce fichier.

24. D'autre part, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 que les données exploitées par le logiciel mis en oeuvre précité sont nécessairement seulement celles obtenues au cours de la procédure en cours.

25. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité pris de l'absence d'habilitation des agents ayant procédé à une consultation du TAJ et à l'utilisation du logiciel ATRT, l'arrêt attaqué énonce que ni les procès-verbaux de consultation du TAJ effectuée par M. [Y], ni les procès-verbaux d'utilisation du logiciel précité, rédigés par MM. [Y] et [O], ne portent mention de leurs habilitations.

26. Les juges relèvent que, sur complément d'information, le commandant de la section de recherches d'[Localité 2] a attesté que tous deux étaient habilités à procéder à de tels actes.

27. Ils ajoutent que la production de l'habilitation ne saurait être exigée en original, dès lors que son existence est établie et n'est pas contestable.

28. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les raisons mentionnées aux paragraphes 21 et 22.

29. Ainsi, le moyen doit être écarté.

30. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-quatre.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.