3 avril 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-16.937

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00392

Titres et sommaires

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL - Usages et engagements unilatéraux - Engagement unilatéral - Engagement unilatéral à durée déterminée - Cessation des effets au terme fixé - Information des salariés et des représentants du personnel - Employeur - Obligation (non)

Un engagement unilatéral à durée déterminée cesse de produire effet au terme fixé sans que l'employeur soit tenu de procéder à l'information des salariés concernés et des représentants du personnel

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 avril 2024




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 392 F-B

Pourvoi n° Q 22-16.937




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 AVRIL 2024

La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 22-16.937 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ au CHSCT [Localité 4], dont le siège est [Adresse 2],

2°/ au syndicat Sud postaux 95, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du CHSCT [Localité 4], après débats en l'audience publique du 6 mars 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Déchéance du pourvoi soulevée en défense

Vu les articles 978 et 654, alinéa 2, du code de procédure civile :

1. Il résulte du premier de ces textes qu'à peine de déchéance du pourvoi, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.

2. Selon le second, la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

3. La société La Poste (La Poste) a formé, le 27 mai 2022, un pourvoi contre un arrêt rendu le 31 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles dans une affaire l'opposant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site de [Localité 4] (le CHSCT). Elle a déposé, le 27 septembre 2022, au greffe de la Cour de cassation, un mémoire ampliatif qu'elle a fait signifier le 11 octobre 2022 au CHSCT. Celui-ci soulève la nullité de cette signification faite à M. [I], responsable des ressources humaines, et non à son représentant expressément désigné au cours de la procédure.

4. Toutefois, le procès-verbal de signification à personne morale mentionne que copie de l'acte a été remise à M. [I], employé, qui a déclaré être habilité à recevoir l'acte. La signification pouvait, dans ces circonstances, être faite à personne, sans que le commissaire de justice n'ait à vérifier l'exactitude de cette déclaration.

5. Il en résulte que le mémoire ampliatif a été valablement signifié dans les délais requis, que la déchéance du pourvoi n'est pas encourue et que le mémoire en défense, déposé après l'expiration du délai prévu par l'article 982 du code de procédure civile, n'est pas recevable.

Faits et procédure

6. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 mars 2022), statuant en matière de référé, dans le contexte de la mise en oeuvre de réorganisations successives de l'activité postale pour faire face à la crise sanitaire consécutive à l'épidémie de Covid-19, La Poste a organisé une réunion le 1er septembre 2020, dont l'ordre du jour était l'information du CHSCT « sur l'évolution des mesures de prévention mises en place, dans le cadre de l'organisation transitoire, à compter du 28 septembre 2020 ». Souhaitant de nouveau faire évoluer l'organisation du travail au sein de l'établissement de [Localité 4], La Poste a informé le CHSCT, le 11 janvier 2021, de la tenue d'une réunion le 19 janvier suivant, avec pour ordre du jour la consultation des élus sur la « présentation de l'organisation [Localité 4] du 23 février 2021 ». Au cours de cette réunion, s'estimant insuffisamment informés, les membres du CHSCT ont décidé de recourir à une expertise confiée au cabinet Cedaet. La Poste a informé le CHSCT de la tenue d'une réunion de consultation le 11 mars 2021, date de restitution du rapport d'expertise, et dont l'ordre du jour était la « présentation de l'organisation de [Localité 4] du 23 février 2021 ».

7. Par acte d'huissier de justice délivré le 11 mars 2021, le CHSCT et le syndicat Sud postaux 95 ont saisi le président du tribunal judiciaire aux fins d'obtenir principalement qu'il soit fait interdiction à La Poste de mettre en oeuvre son projet d'évolution de l'organisation du site de [Localité 4] avant le 28 septembre 2022.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. La Poste fait grief à l'arrêt d'ordonner la suspension de la mise en œuvre du projet de réorganisation du site de [Localité 4] jusqu'au 28 septembre 2022, alors :

« 1°/ que la norme issue d'une manifestation de volonté claire et non équivoque de l'employeur ne constitue pas un usage d'entreprise mais un engagement unilatéral obligatoire dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu à l'appui de sa décision que : ''La société La Poste produit un Bulletin ressources humaines du 28 mars 2013 intitulé « méthode de conduite du changement : alerte sociale », valable du 22 janvier 2013 au 21 janvier 2016, qui rappelle que : « pour tous les projets impactant l'organisation et le fonctionnement des services, (...) Un délai de 2 années entières doit impérativement s'écouler entre deux projets consécutifs.'' Ces dispositions ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : ''les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises. Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020.'' Si la société La Poste indique qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020 mentionnée dans le bulletin des ressources humaines précité, elle ne justifie cependant d'aucune démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique. Or, cet engagement est général, constant et fixe, puisqu'il est appliqué de façon ininterrompue a minima depuis 2013 et c'est à juste titre que les intimés indiquent qu'il peut être qualifié d'usage, auquel il ne peut être mis fin qu'après information des représentants du personnel, information des salariés concernés de manière individuelle et après un délai de prévenance suffisant » ; qu'en retenant la qualification d'usage quand il ressortait de ses propres constatations que l'obligation de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations ne procédait pas d'une pratique mais bien d'une manifestation de volonté explicite de l'employeur expressément reconduite à l'arrivée du terme par engagement exprimé au bulletin des ressources humaines de La Poste, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1104 du code civil ;

2°/ que l'engagement unilatéral n'est obligatoire que dans les conditions qu'il a fixées ; que l'engagement unilatéral à durée déterminée prend fin à la date fixée pour son expiration, sauf manifestation par l'employeur de sa volonté de le reconduire ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que les dispositions du BRH de La Poste l'engageant à respecter un délai de deux ans minimum entre deux réorganisations ''ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises. Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020'' ; qu'en rejetant cependant, pour déclarer que la méconnaissance de cet engagement unilatéral caractérisait un trouble manifestement illicite, le moyen pris par La Poste de ce '' ... qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020 mentionnée dans le bulletin des ressources humaines précité'', motif pris de l'absence de « démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique » pour en déduire que ''La Poste reste tenue de son engagement unilatéral de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations'' quand l'engagement unilatéral avait pris fin de plein droit et sans formalité à la date de son expiration le 31 décembre 2020, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1103 et 1104 du code civil :

9. En vertu du premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

10. Selon le second, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

11. Pour ordonner la suspension de la mise en œuvre du projet de réorganisation du site de [Localité 4] jusqu'au 28 septembre 2022, l'arrêt énonce que La Poste produit un « bulletin ressources humaines » du 28 mars 2013 intitulé "méthode de conduite du changement : alerte sociale", valable du 22 janvier 2013 au 21 janvier 2016, qui rappelle que : « pour tous les projets impactant l'organisation et le fonctionnement des services, (...) Un délai de deux années entières doit impérativement s'écouler entre deux projets consécutifs ».

12. L'arrêt ajoute que ces dispositions ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : « les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises. Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020 ».

13. L'arrêt relève que si La Poste indique qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020, elle ne justifie cependant d'aucune démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique.

14. L'arrêt retient que cet engagement est général, constant et fixe, puisqu'il est appliqué de façon ininterrompue a minima depuis 2013, en sorte qu'il peut être qualifié d'usage, auquel il ne peut être mis fin qu'après information des représentants du personnel, information des salariés concernés de manière individuelle et après un délai de prévenance suffisant.

15. L'arrêt en déduit que, dès lors qu'il est constant qu'aucune de ces formalités n'a été respectée, La Poste reste tenue de son engagement unilatéral de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations.

16. En statuant ainsi, alors qu'un engagement unilatéral à durée déterminée cesse de produire effet au terme fixé sans que l'employeur soit tenu de procéder à l'information des salariés concernés et des représentants du personnel et qu'il résultait de ses constatations que l'obligation de respecter un délai de deux années entre deux projets concernant l'organisation et le fonctionnement des services était prévue par le bulletin ressources humaines du 28 mars 2013, successivement reconduit jusqu'au bulletin ressources humaines du 20 décembre 2019 ayant mis un terme à cet engagement au 31 décembre 2020, ce dont il résultait que La Poste pouvait mettre en oeuvre un projet de réorganisation en février 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne La Poste aux dépens ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille vingt-quatre.

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