27 mars 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 23/05976

Pôle 2 - Chambre 7

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 27 MARS 2024



(n° 10 , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05976 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHMFS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2023 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 20/02238





APPELANTE



Madame [I] [K]

[Adresse 7]

[Localité 4]

née le [Date naissance 2] 1987 à [Localité 5] (PAYS-BAS)



Assistée de Maître Antoine GITTON de la SELAS SELAS Antoine GITTON Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : L0096 avocat plaidant et postulant



INTIMEE



Organisme AGENCE FRANCE-PRESSE (AFP) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 775 658 354



Représentée par Maître Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047 avocat plaidant et postulant





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 28 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-Michel AUBAC, Président de chambre

Mme Anne RIVIERE, Assesseur

Mme Anne CHAPLY, Assesseur

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jean-Michel AUBAC dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Lauryne VARCIN





ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Jean-Michel AUBAC, Président de chambre et par Lauryne VARCIN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.




LES FAITS :



1. Par acte d'huissier du 11 février 2020, Mme [K] a fait citer l'Agence France Presse (AFP) devant le tribunal judiciaire de Paris afin de la voir condamner à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts - en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à son droit à l'image, à raison de la publication de photographies la représentant aux côtés de [G] [X], recadrées et détournées de leur contexte de fixation initial - et celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre la publication sous astreinte de la décision à intervenir.



2. Par jugement du 11 janvier 2023, le tribunal a débouté Mme [K] de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



3. Mme [K] a interjeté appel de ce jugement le 1er avril 2023.



4. Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 19 décembre 2023, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de condamner l'intimée au paiement de la somme de 15 000 euros du chef des atteintes à sa vie privée et à son droit à l'image, de celle de 15 000 euros du chef du préjudice causé par la faute délictuelle commise et de celle de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles de défense. Elle demande en outre la publication sous astreinte du dispositif de la décision en page d'accueil du site www.afpforum.com, outre la condamnation de l'intimée aux entiers dépens.



5. Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, l'intimée demande à la cour de déclarer l'appelante irrecevable en ses demandes nouvelles présentées en cause d'appel, de la débouter de l'ensemble de ses demandes et de la condamner aux dépens.



6. La clôture a été prononcée le 31 janvier 2024 et l'affaire a été plaidée à l'audience du 28 février 2024.






SUR CE,



o sur la demande tendant à voir déclarer irrecevables les demandes nouvelles soumises à la cour :



7. L'intimée conclut à l'irrecevabilité des demandes soumises à la cour sur le fondement de l'atteinte à la vie privée et de la faute délictuelle, dès lors qu'en première instance, elle n'invoquait qu'une atteinte à son droit à l'image.



8. Mais, aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.





9. Les demandes présentées en cause d'appel ne sauraient donc être déclarées irrecevables dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges.





- sur les demandes de l'appelante :



o Sur l'atteinte au droit à l'image et au respect de la vie privée du fait de la publication de photographies dans la banque d'images de l'AFP :



10. Le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l'image d'une personne, d'une part, et le droit à la liberté d'expression, d'autre part, ont la même valeur normative.



11. Il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ses droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime.



12. Il résulte de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme que, pour procéder à la mise en balance des trois en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement, antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies.



13. À l'appui de ses demandes, Mme [K] fait valoir que l'intimée a porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l'image dès lors qu'elle a diffusé, sans son autorisation, laquelle était exclusivement limitée à la promotion du film " Taxi 5 ", les photographies la représentant dans une relation de proximité avec [G] [X], étant précisé que ces photographies - qui ont été recadrées et tronquées - ont été mises en ligne quatre jours après le dépôt de plainte déposée le 22 mai 2018 pour viol.



14. Mais, par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a exactement retenu qu'aucune atteinte au droit à l'image n'était démontrée.



15. En effet, les premiers juges ont exactement retenu, en premier lieu, qu'en acceptant d'être photographiées lors de la première du film " Taxi 5 ", l'appelante a implicitement consenti à l'utilisation ultérieure des photographies, en deuxième lieu, qu'il n'est nullement établi que le recadrage des photographies avait pour objet de laisser croire à une complicité entre Mme [K] et M. [X], en troisième lieu, que les circonstances de la captation des photographies sont précisées sur le site AFP Forum par la légende associée et, enfin que les images ne sont pas évocatrices d'une complicité de nature à suggérer des relations autres que professionnelles.



16. Il sera par ailleurs relevé que, dans ses conclusions, l'appelante reconnaît que " rien ne permet de spéculer avec certitude, à la seule observation des photos, sur une éventuelle liaison entre eux ", se contentant d'affirmer que " rien ne permet de supposer l'inverse " et que " la photographie et sa légende n'excluent pas que [G] [X] et [I] [K] soient arrivés en "couple" à l'avant-première de TAXI 5 ".



17. D'où il suit qu'aucune faute fondée sur une atteinte au droit à l'image ou au respect de la vie privée n'est caractérisée.



o Sur la faute à raison de la diffusion d'une photographie en illustration d'une dépêche diffusée le 7 octobre 2019.



18. Le 7 octobre 2019, l'intimée a diffusé une dépêche intitulée " I've never raped a woman, says French Director [X] ", intégralement rédigée en langue anglaise et illustrée par la photographie suivante :































19. Si aucune traduction de la dépêche n'avait été produite en première instance, l'appelante verse en cause d'appel la traduction libre suivante, qui n'est pas contestée par l'intimée :



" [Localité 6] (AFP) Lundi le réalisateur de cinéma français a nié avoir violé ou drogué une jeune actrice - la première fois que le créateur du " Cinquième Élément " a évoqué en public les allégations sexuelles à son encontre.



" Un juge a rouvert l'enquête pour viol à l'encontre du magnat du cinéma vendredi, 8 mois après que le Parquet parisien a classé sans suite l'affaire dénoncée par l'actrice belgo-néerlandaise [I] [K], qui a prétendu que [X] l'avait violée à plusieurs reprises sur une période de deux ans.



" Elle est l'une des neuf femmes qui ont déclaré avoir été agressées ou harcelées par le puissant réalisateur et producteur.



" [K], 28 ans, a des petits rôles dans son film " TAXI 5 " et " [E] et la cité des mille planètes ".



" [X] a admis avoir eu une relation avec [K] mais a rejeté ses accusations comme fantaisistes.



" Cette affaire est un mensonge de A à Z. Je n'ai pas violé cette femme, je n'ai jamais violé de femme dans ma vie, a-t-il déclaré à BFM TV.



" Je n'ai jamais levé la main sur une femme, je n'ai jamais menacé une femme' Je n'ai jamais drogué cette femme comme cela a été dit. C'est un mensonge " dit-il au cours de cette interview qui sera diffusée en intégralité mardi.



- " J'ai fait des erreurs "



" Le créateur de succès comme " Nikita ", dont les ennuis judiciaires ont coïncidé avec un enchaînement d'échec au box-office, a aussi nié avoir jamais harcelé des femmes ou les avoir retenues contre leur volonté.



" Cependant, [X], 60 ans, dit qu'il a entretenu une liaison avec [I] [K] et qu'il a commis " quelques erreurs ".



" J'ai trahi ma femme et mes enfants. Cela ne s'est pas produit une fois mais plusieurs fois au cours de nos 20 ans de mariage " a-t-il ajouté.



" [K] est allée à la police pour la première fois en mai 2018 après avoir passé la nuit avec [G] [X] dans un hôtel de luxe à [Localité 6].



" Deux mois plus tard, elle dit qu'elle a été violée quatre fois au cours des deux années au cours desquelles elle a été " sous une relation d'emprise professionnelle " avec le réalisateur.





" Elle a dit qu'elle avait craint pour sa carrière si elle se plaignait.



" La police a questionné [X] sur les accusations en octobre 2018.



" Une actrice a déclaré plus tard au Ministère Public qu'elle a dû fuir sur " ses mains et ses genoux " une audition dans le bureau de [X] en 2002.



" Une source proche de la nouvelle enquête a déclaré qu'une enquête préliminaire sur des accusations portées par une autre femme sont toujours en cours ".



20. Mme [K] fait valoir qu'en choisissant de montrer faussement M. [X] en couple avec elle pour illustrer un article relatif à sa plainte pour viol, l'AFP porte encore atteinte à la fois à son droit à la vie privée, mais encore à son droit à l'image et a commis une faute délictuelle distincte, qui ne ressort pas de la diffamation, en alléguant faussement qu'elle a passé la nuit avec M. [X] dans un hôtel de luxe.



21. L'intimée s'oppose aux demandes de l'appelante, faisant valoir que la dépêche mise en cause, évoque une affaire judiciaire concernant des faits de viol, impliquant deux personnes publiques, ayant des relations professionnelles notoires, que l'illustration n'a vocation qu'à identifier les protagonistes, que les faits à l'origine de la plainte avaient déjà été largement évoqués tant par la presse que par Mme [K] elle-même, et que si le terme de nuit est imprécis, il ne porte pas atteinte en lui-même à la vie privée, au regard des informations déjà publiques.



22. Par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont exactement retenu que la matérialité de la publication était démontrée.



23. La cour relève que la dépêche s'inscrit dans un débat d'intérêt général relatif aux comportements à connotation sexuelle et non consentis dans le cadre de relations professionnelles, notamment dans le domaine du cinéma.



24. En l'espèce, il ne peut se déduire de l'examen de la seule photographie une quelconque proximité entre les parties et l'usage de celle-ci, pour les motifs déjà indiqués aux points 14 à 17, ne saurait, à lui seul, porter atteinte au droit à l'image de l'intimée ou à son droit au respect de la vie privée.



25. Toutefois, l'utilisation de cette photographie ne peut être dissociée du contenu de la dépêche, notamment en ce qu'il y est mentionné que " [K] est allée à la police la première fois en mai 2018 après avoir passé la nuit avec [G] [X] dans un hôtel de luxe parisien " (" [K] first went to the police in May 2018 after spending the night with [X] in a luxury [Localité 6] hotel "), propos immédiatement suivis de " deux mois plus tard, elle dit qu'elle a été violée quatre fois au cours des deux années au cours desquelles elle a été "sous une relation d'emprise professionnelle" avec le réalisateur ".



26. La rédaction de la dépêche laisse entendre que ce n'est que plusieurs mois après avoir passé toute une nuit avec M. [X], que l'appelante a décidé de porter plainte contre lui.



27. Or, Mme [K] avait soutenu n'être arrivée à l'hôtel Bristol qu'à 0 h 50, pour un rendez-vous professionnel, et avoir quitté précipitamment l'établissement dès 2 h 18, après avoir été victime d'un viol.



28. Si la dépêche ne comporte aucun propos de nature à porter atteinte à l'honneur ou la considération de l'appelante, elle remet en cause la sincérité de ses déclarations et laisse entendre que la version donnée par M. [X] apparaît plus crédible en mentionnant que Mme [K] aurait passé toute la nuit à l'hôtel.







29. Par ailleurs, le choix de la photographie recadrée où les deux parties apparaissent souriantes côte à côte vient renforcer la crédibilité de la version donnée par M. [X] et jette ainsi le discrédit sur celle de Mme [K].



30. Dans ces conditions il s'ensuit que l'AFP a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle.





o Sur le préjudice de Mme [K] :



31. L'appelante fait falloir qu'elle se trouve toujours dans un état dépressif, souffre d'un stress post-traumatique et a été discréditée auprès du public et de ses proches. Elle précise avoir été déclarée en incapacité de travail à hauteur de 66 % du 18 mai 2018 au 31 mars 2024.



32. Toutefois, il n'est nullement justifié d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et la publication de la dépêche du 7 octobre 2018.



33. En conséquence, il n'est justifié que d'un préjudice moral qu'il convient d'évaluer à trois mille euros.



34. L'intimée sera donc condamnée au paiement de cette somme et l'appelante déboutée du surplus de ses demandes.





o sur les demandes accessoires :



Il est équitable de condamner l'AFP à payer à l'appelante une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



L'intimée sera également condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la SELAS AGA, avocat au barreau de Paris.





PAR CES MOTIFS,



LA COUR



Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,



Infirme le jugement entrepris ;



Statuant à nouveau,



Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par l'intimée ;



Dit que l'AGENCE FRANCE PRESSE a commis une faute envers Mme [K] et a engagé par conséquent sa responsabilité délictuelle ;



Condamne l'AGENCE FRANCE PRESSE à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, ainsi qu'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;





Condamne l'AGENCE FRANCE PRESSE aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la SELAS AGA, avocat au barreau de Paris.







Le greffier, Le Président,

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