28 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.797

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C200276

Titres et sommaires

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Texte de la décision

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 mars 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 276 FS-B

Pourvoi n° Q 22-12.797




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 MARS 2024

1°/ M. [S] [X]

2°/ Mme [M] [E], épouse [X],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Q 22-12.797 contre l'arrêt n° RG 20/17726 rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 10), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [K] [Y],

2°/ à Mme [C] [O], épouse [Y],

tous deux domiciliés [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

M. et Mme [Y] ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat de M. et Mme [X], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Grandemange, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 novembre 2021), par décision du 19 juin 2019, une commission de surendettement a déclaré recevable la demande de M. et Mme [X] tendant au traitement de leur situation financière.

2. Le 7 août 2019, M. et Mme [Y] ont pris, sur autorisation d'un juge de l'exécution, une inscription hypothécaire provisoire sur le bien immobilier appartenant à M. et Mme [X].

3. Saisi d'une contestation par ces derniers, le juge de l'exécution les a déboutés de leur demande d'annulation de l'hypothèque judiciaire provisoire mais l'a cantonnée.

4. Par déclaration du 8 décembre 2020, M. et Mme [X] ont interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande tendant à voir déclarer irrecevable la contestation de la mesure d'hypothèque judiciaire provisoire par M. et Mme [X], alors « qu'il résulte de l'article L. 761-2 du code de la consommation que la commission est seule compétente pour saisir le juge des contentieux de la protection d'une demande d'annulation de tout acte effectué en violation des articles L. 722-2 et L. 722-5 ; que cette compétence est exclusive d'une saisine du juge de l'exécution par le débiteur d'une demande identique ; qu'en retenant en l'espèce que si l'article L. 722-5 du code de la consommation instaure, comme corollaire aux suspensions et interdiction, dans le cadre de la procédure de surendettement, des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur, l'interdiction pour celui-ci d'aggraver son insolvabilité, en revanche, aucune disposition légale n'emporte un dessaisissement du débiteur pour agir en justice, similaire à celui prévu à l'égard du débiteur placé en liquidation judiciaire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 761-2 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

7. Il résulte de l'article L. 761-2 du code de la consommation que tout acte effectué en violation de l'article L. 722-2 du même code, posant le principe de l'interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur, peut être annulé par le juge des contentieux de la protection, à la demande de la commission de surendettement, présentée pendant le délai d'un an à compter de l'acte ou du paiement de la créance.

8. Aux termes des deux premiers alinéa de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre.

9. Il résulte de l'ensemble de ces textes que la faculté pour la commission de surendettement de saisir le juge des contentieux de la protection à fin d'annulation de la mesure ne fait pas obstacle au droit du débiteur de contester une mesure conservatoire devant le juge de l'exécution.

10. Ayant constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que M. et Mme [X] disposent d'un intérêt légitime à voir ordonner la mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire et retenu à bon droit qu'aucune disposition légale n'emporte, dans la procédure de surendettement, le dessaisissement du débiteur pour agir en justice, la cour d'appel a fait une exacte application des textes susvisés.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi incident éventuel

Enoncé du moyen

12. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande tendant à voir déclarer inopposable la décision de recevabilité de la commission de surendettement à l'égard des intimés, alors « que si à peine d'irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès leurs conclusions mentionnées aux articles 908 à 910 du code de procédure civile, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, une fin de non-recevoir, qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond de l'affaire et qui n'est donc pas une prétention sur le fond, peut être présentée
pour la première fois dans le dernier jeu de conclusions récapitulatives d'appel ; qu'en jugeant que les prétentions des intimés tendant à se voir déclarer inopposable la décision de la commission de surendettement déclarant recevable la demande des appelants ne constituait pas une simple réplique aux dernières conclusions et pièces des appelants mais une prétention à part entière, en l'espèce une fin de non-recevoir qui aurait dû être formulée dès les premières conclusions d'intimés, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 910-4 du code de procédure civile, ensemble l'article 122 du même code. »

Réponse de la Cour

13. Aux termes de l'article 910-4, alinéa 1er, du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

14. Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

15. La demande d'un créancier tendant à voir constater l'inopposabilité d'une décision de la commission de surendettement ayant déclaré un débiteur recevable à une procédure de surendettement, qui tend à voir écarter les effets d'une telle décision à son égard, ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 susvisé, mais une prétention au fond, qui relève des dispositions de l'article 910-4 précité.

16. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt qui a déclaré irrecevable la demande faute de respecter les conditions de l'article 910-4, se trouve légalement justifié de ce chef.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. M. et Mme [X] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande d'annulation de l'inscription d'une hypothèque judiciaire conservatoire prise sur leur bien immobilier sis [Adresse 2], cadastré [Cadastre 3], au profit de M. et Mme [Y] pour la somme de 51 932 euros, alors « que l'article L. 722-5 du code de la consommation prohibe toute prise de sûreté ou de garantie sur un bien d'un débiteur postérieurement à la suspension des mesures d'exécution consécutive à la recevabilité d'un dossier de surendettement du débiteur ; que cet article impose une interdiction générale de telles sûretés ou garanties sans limiter son application aux seuls actes pris par le débiteur ; qu'au cas présent, il est constant que, par ordonnance sur requête en date du 2 juillet 2019, une hypothèque judiciaire conservatoire a été accordée à M. et Mme [Y] sur un bien du patrimoine de M. et Mme [X], soit postérieurement à la décision en date du 19 juin 2019 prise par la commission de surendettement de [Localité 4] déclarant leur procédure de surendettement recevable ; que pour rejeter la demande d'annulation de l'hypothèque conservatoire articulée par M. et Mme [X], la cour d'appel a retenu que l'interdiction était limitée aux seules sûretés et garanties accordées par le débiteur et que l'article L. 722-5 du code de la consommation n'interdisait pas la constitution d'une hypothèque conservatoire judiciaire à la demande d'un créancier ; que ces motifs sont contraires tant à la lettre de l'article L. 722-5 du code de la consommation mais également aux objectifs du législateur en ce qu'ils permettent l'acquisition par ce créancier d'un droit de préférence sur un bien du débiteur postérieurement à la décision de recevabilité ; qu'en rejetant la demande d'annulation de l'hypothèque accordée, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 722-2 et 722-5 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 722-2 et l'article L. 722-5, alinéa 1er, du code de la consommation :

18. Aux termes du premier de ces textes, la recevabilité de la demande emporte suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur ainsi que des cessions de rémunération consenties par celui-ci et portant sur les dettes autres qu'alimentaires.

19. Selon le second, la suspension et l'interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre des biens du débiteur emportent interdiction pour celui-ci de faire tout acte qui aggraverait son insolvabilité, de payer, en tout ou partie, une créance autre qu'alimentaire, y compris les découverts mentionnés aux 10° et 11° de l'article L. 311-1, née antérieurement à la suspension ou à l'interdiction, de désintéresser les cautions qui acquitteraient des créances nées antérieurement à la suspension ou à l'interdiction, de faire un acte de disposition étranger à la gestion normale du patrimoine ; elles emportent aussi interdiction de prendre toute garantie ou sûreté.

20. Il résulte de la combinaison de ces textes que lorsque la décision de recevabilité à la procédure de surendettement a été prononcée, il est interdit au créancier de prendre toute garantie, sûreté ou mesure conservatoire sur les biens du débiteur.

21. Pour rejeter la demande d'annulation de l'hypothèque judiciaire provisoire, l'arrêt retient, d'une part, que les dispositions de l'article L. 722-2 du code de la consommation ne s'appliquent qu'aux mesures d'exécution forcée, qui ont pour effet d'emporter diminution du patrimoine du débiteur et non pas aux mesures conservatoires qui ne produisent pas un tel effet et tendent à la constitution d'une simple garantie au profit du créancier, et d'autre part que l'interdiction de prendre toute garantie ou sûreté édictée par l'article L. 722-5 du même code s'applique au seul débiteur et non pas au créancier.

22. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a confirmé le jugement en tant qu'il a débouté M. et Mme [X] de leur demande de nullité de l'inscription hypothécaire provisoire prise sur leur bien immobilier sis [Adresse 2], cadastré [Cadastre 3], au profit de M. et Mme [Y] pour la somme de 75 000 euros et qu'il l'a cantonnée à la somme de 51 932 euros, l'arrêt rendu le 4 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. et Mme [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [Y] et les condamne à payer à M. et Mme [X] la somme globale de 1 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars deux mille vingt-quatre.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.