27 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-21.200

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00165

Titres et sommaires

BANQUE

Dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 mars 2024




Cassation


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 165 FS-B

Pourvoi n° Y 22-21.200




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 MARS 2024

La société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société coopérative de banque à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 22-21.200 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la cour d'appel de Metz (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Systran Software Inc., société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (États-Unis), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Systran Software Inc., et l'avis de Mme Henry, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Riffaud, Mmes Fèvre, Guillou, M. Bedouet, Mmes Schmidt, de Lacaussade, M. Thomas, Mme Tréfigny, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Champ, M. Boutié, Mme Coricon, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 7 juillet 2022), entre novembre et décembre 2016, le compte ouvert dans les livres de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) au nom de la société Systran Software Inc. (la société) a été débité de diverses sommes en exécution de quatre ordres de virements transmis par courrier électronique, au profit de comptes situés à l'étranger.

2. Le 4 août 2017, soutenant qu'elle n'avait pas consenti à ces virements et que les ordres de virement ainsi que l'ordre de clôture d'un compte à terme, dont le versement du solde sur le compte courant de la société avait permis l'exécution d'un des ordres de virement, avaient été adressés par un tiers ayant piraté la messagerie électronique de M. [R], son dirigeant, la société a assigné la banque pour obtenir sa condamnation à lui restituer les sommes versées en exécution de ces ordres et à lui payer des dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur les premier et troisième moyens, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son premier moyen, la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société la somme de 199 834,54 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par les quatre virements, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement prévu par la directive 2007/64/CE était d'application exclusive dans les rapports entre le prestataire et l'utilisateur ; qu'il s'en évince que la responsabilité du prestataire de services de paiement à raison du manquement à l'une de ses obligations ne peut être recherchée que sur le fondement des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, qui ont transposé cette directive en droit français ; que, pour condamner la banque à verser à la société la somme de 199 834,54 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par les quatre virements litigieux, la cour d'appel a jugé que sa responsabilité était engagée sur le fondement du droit commun pour manquement à son devoir de vigilance ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1147, devenue 1231-1 du code civil, par fausse application. »

5. Par son troisième moyen, la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la clôture du compte à terme, alors « que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement prévu par la directive 2007/64/CE était d'application exclusive dans les rapports entre le prestataire et l'utilisateur ; qu'il s'en évince que la responsabilité du prestataire de services de paiement à raison du manquement à l'une de ses obligations ne peut être recherchée que sur le fondement des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, qui ont transposé cette directive en droit français ; que, pour condamner la banque à verser à la société la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la clôture du compte à terme, avec intérêts au taux légal à compter du 15 décembre 2016, la cour d'appel a jugé que sa responsabilité était engagée sur le fondement du droit commun pour manquement à son devoir de vigilance ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1147, devenue 1231-1, du code civil par fausse application. »

Réponse de la Cour

Recevabilité des moyens

6. La société soulève l'irrecevabilité des moyens en ce qu'ils seraient nouveaux et contraires à ce que la banque a soutenu devant la cour d'appel.

7. Cependant, d'une part, les moyens, qui ne se réfèrent à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, sont de pur droit. D'autre part, la banque s'étant bornée en appel à contester avoir commis quelque faute que ce soit, les moyens ne sont pas contraires à la position qu'elle avait prise devant les juges du fond.

8. Les moyens sont donc recevables.

Bien-fondé des moyens

Vu les articles 1231-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier :

9. La responsabilité contractuelle de droit commun prévue résultant du premier de ces textes n'est pas applicable en présence d'un régime de responsabilité exclusif.

10. Dans son arrêt du 16 mars 2023, Beobank (C-351/21), la Cour de justice a interprété en ces termes les article 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE :

« 37 [...] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l'article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu'aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l'objet d'une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d'un même fait générateur qu'un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l'utilisateur de services de paiement d'engager cette responsabilité sur le fondement d'autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] points 42 et 46).

38 En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu'à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l'effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, [...] point 45). »

11. Il s'ensuit que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 précités, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.

12. Pour condamner, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, la banque à verser à la société certaines sommes en réparation des préjudices résultant de l'exécution des ordres de virement et de transfert litigieux, l'arrêt retient qu'il ressort des éléments de preuve sérieux et concordants que M. [R] n'était pas à l'origine des ordres qui ont été exécutés et qu'en les exécutant, tandis qu'ils présentaient des anomalies apparentes, la banque a manqué à son devoir contractuel de vigilance.

13. En statuant ainsi, alors que le titulaire des comptes contestait être l'auteur des ordres de transfert des fonds litigieux, ce dont il se déduisait que la responsabilité de la banque ne pouvait être recherchée que sur le fondement de l'article L. 133-18 du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la société Systran Software Inc. aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé.

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