21 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-18.089

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C200222

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Aggravation - Action en réparation - Prescription - Autonomie - Portée

S'il résulte de l'article 2226 du code civil que l'action en indemnisation de l'aggravation du préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu'un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l'aggravation, une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage a été reconnue

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Aggravation - Aggravation postérieure - Demande en réparation - Recevabilité - Conditions - Détermination

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 mars 2024




Rejet


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 222 F-B

Pourvoi n° S 22-18.089



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 MARS 2024

M. [I] [S], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 22-18.089 contre l'arrêt rendu le 3 mai 2022 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la SNCF voyageurs, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités,

2°/ à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits et obligations de la caisse RSI Auvergne agissant pour le compte de la caisse RSI Aquitaine,

3°/ à la société RAM-GAMEX, dont le siège est [Adresse 2],

4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits et obligations de la société RAM-GAMEX à la suite de la fusion du 20 janvier 2020,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [S], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la SNCF voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 3 mai 2022), le 16 mai 1980, M. [S] a chuté alors qu'il tentait de monter dans un train. Il a subi, notamment, l'amputation de sa jambe droite et de son bras droit, diverses fractures, ainsi que l'amputation distale de deux orteils du pied gauche.

2. Un rapport d'expertise médicale du 30 mars 1987 a fixé la date de consolidation de son état de santé au 31 décembre 1982.

3. En 2001, M. [S] a assigné la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF), en responsabilité et indemnisation.

4. Par un jugement irrévocable du 1er octobre 2003, un tribunal de grande instance a déclaré irrecevable l'action de M. [S], considérant qu'elle était prescrite.

5. Invoquant notamment une aggravation de son état de santé survenue en 2008, M. [S] a assigné la SNCF, en mai 2010, en présence du RSI Aquitaine et de la société RAM-GAMEX, en responsabilité et indemnisation de son entier préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, réunis

Enoncé des moyens

7. M. [S] fait grief à l'arrêt, dans le premier moyen, de déclarer irrecevable l'action qu'il avait formée afin d'obtenir réparation des nouveaux préjudices dont il n'avait pas sollicité réparation dans l'instance initiale ayant donné lieu au jugement du 1er octobre 2003, alors :

« 1°/ qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les conclusions des parties ; qu'il résulte des conclusions de M. [S] qui a précisément sollicité la réparation d'un préjudice nouveau consistant dans sa contamination par le virus de l'hépatite C en raison des transfusions qui lui avaient été massivement administrées à la suite de son accident ; qu'en affirmant que M. [S] n'identifiait pas les préjudices initiaux qui n'étaient pas inclus dans la demande faisant l'objet de la procédure initiale, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, en violation du principe précité et de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les conclusions des parties ; que le tribunal de grande instance de Bordeaux, par jugement du 1er octobre 2003, a statué sur les demandes tendant à l'allocation des indemnités de 20 000 euros au titre des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation, de 150 679,20 euros au titre de la tierce personne, de 300 000 euros au titre de l'incapacité physique permanente, de 14 230 euros au titre de l'incapacité totale de travail, de 25 000 euros au titre du pretium doloris, de 25 000 euros au titre du préjudice esthétique, de 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément et de 100 000 euros au titre du préjudice moral, ainsi qu'à l'instauration d'une expertise pour évaluer le préjudice lié aux frais médicaux, tandis que la cour d'appel de Bordeaux était bien saisie d'une demande différente par M. [S] qui sollicitait une provision de 100 000 euros et l'instauration d'une expertise ; qu'en considérant qu'elle était saisie de demandes identiques à celles portées devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. [S], en violation du principe précité et de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que l'autorité de chose jugée ne peut être opposée à des demandes qui, tendant à la réparation d'éléments de préjudice non inclus dans la demande initiale, avaient un objet différent, peu important que la victime ait ignoré le chef de préjudice qui fait l'objet de la demande complémentaire ; qu'il s'ensuit que l'irrecevabilité de la demande initiale n'interdit pas à la victime d'agir en réparation d'un préjudice qui n'y était pas inclus ; qu'en décidant que M. [S] ne pouvait pas arguer de demandes d'indemnisation nouvelles au titre du préjudice initial qui n'auraient pas été tranchées par le tribunal dès lors que son action en responsabilité avait été déclarée irrecevable comme prescrite, la cour d'appel a violé l'ancien article 1351 devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile. »

8. M. [S] fait grief à l'arrêt, dans le second moyen, de déclarer irrecevable l'action qu'il avait formée afin d'obtenir réparation de l'aggravation des préjudices dont il avait sollicité l'indemnisation dans l'instance initiale ayant donné lieu au jugement du 1er octobre 2003, alors « que l'aggravation est un dommage nouveau, donnant naissance à un droit à réparation distinct, lui-même susceptible d'être mis en oeuvre par l'effet d'une action autonome dont l'exercice n'est pas subordonné à la condition que la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé aient pu être déterminés ; qu'en opposant à M. [S] que son préjudice initial, ni la responsabilité de son auteur n'avaient été déterminés à l'origine, la cour d'appel a violé l'article 1351 devenu l'article 1355 du code civil, ensemble les articles 122 et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

9. D'une part, il résulte des articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée a lieu à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.

10. D'autre part, s'il résulte de l'article 2226 du code civil que l'action en indemnisation de l'aggravation d'un préjudice corporel est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, en ce qu'un nouveau délai de prescription recommence à courir à compter de la consolidation de l'aggravation, une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l'auteur prétendu du dommage a été reconnue.

11. L'arrêt constate, d'abord, qu'un jugement irrévocable a déclaré prescrite l'action engagée par M. [S] tendant à voir la SNCF déclarée responsable de l'accident du 16 mai 1980.

12. Il relève, ensuite, qu'en raison de cette prescription, la responsabilité de la SNCF n'avait pas été établie et le préjudice initial n'avait pas été déterminé antérieurement à l'introduction de l'action en aggravation.

13. Il en déduit exactement que l'action en responsabilité et indemnisation tant du préjudice initial, que du préjudice aggravé, est irrecevable comme portant atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 1er octobre 2003 qui a déclaré l'action prescrite.

14. Le premier moyen, qui est inopérant en ses deux premières branches, comme s'attaquant à des motifs surabondants, et le second moyen sont, dès lors, mal fondés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille vingt-quatre.

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