19 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-81.792

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00327

Titres et sommaires

ACTION CIVILE - Partie civile - Citation directe - Recevabilité - Conditions - Personne physique - Justification de ressources - Nécessité (non)

Il se déduit de l'article 392-1 du code de procédure pénale que, contrairement à celle délivrée à la requête d'une personne morale à but lucratif, la citation délivrée à la requête d'une personne physique ne peut être déclarée irrecevable au seul motif que cette dernière n'a pas produit de justificatifs permettant de déterminer le montant de la consignation. Dans ce cas, il appartient au tribunal correctionnel de fixer ce montant au regard des éléments de procédure et des éventuelles pièces produites. Encourt ainsi la censure l'arrêt qui, pour déclarer irrecevables les citations adressées à la requête des parties civiles, énonce que ces dernières, personnes physiques, non bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, n'ont pas, comme elles le devaient, justifié de leurs ressources, la simple déclaration orale faite par leur avocat selon laquelle elles pourraient faire face à des amendes civiles de 15 000 euros ne pouvant se substituer aux exigences légales

Texte de la décision

N° E 23-81.792 F-B

N° 00327


ODVS
19 MARS 2024


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 MARS 2024



MM. [G] [J], [N] [T] et [O] [Y], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 22 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [R] [L] du chef de diffamation publique envers un particulier, a déclaré irrecevables leurs citations directes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [G] [J], [N] [T] et [O] [Y], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,


la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par actes d'huissier du 15 avril 2022, M. [R] [L] a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel, en sa qualité de directeur de la publication, par MM. [G] [J], [N] [T] et [O] [Y], du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison de propos tenus à leur égard sur la chaine YouTube « Made in Azerbaidjian » entre janvier et mars 2022.

3. Par jugement du 8 juin 2022, le tribunal correctionnel a constaté l'irrecevabilité des citations directes en l'absence de justificatifs de ressources produits par les parties civiles.

4. Ces dernières ont relevé appel du jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré irrecevable la citation directe de MM. [J], [Y] et [T] à l'encontre de M. [L], alors :

« 1°/ que d'une part, il résulte du premier alinéa de l'article 392-1 du code de procédure pénale que lorsque l'action de la partie civile n'est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel fixe, en fonction des ressources de celle-ci, le montant de la consignation qu'elle doit, si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la citation directe ; que cette consignation garantit le paiement de l'amende civile dont le montant maximal est de 15.000 euros, susceptible d'être prononcée en application du dernier alinéa du même article ; qu'il résulte de la lettre comme de la portée de ce texte que le tribunal a l'obligation de fixer le montant de la consignation et le délai imparti pour la régler ; que cette fixation doit intervenir quand bien même l'auteur de la citation ne verserait pas de justificatif de ses revenus, lorsque celui-ci est une personne physique, et par opposition à une personne morale à but lucratif pour laquelle « la détermination du montant de la consignation » est expressément subordonnée à la production du bilan et du compte de résultat, et ce « sous peine de non-recevabilité de la citation directe », en vertu de l'alinéa 2 de l'article 392-1 du code de procédure pénale ; qu'a méconnu les articles 392-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel qui a jugé que les parties civiles devaient « justifier de leur ressource afin que le tribunal correctionnel puisse fixer le montant de la consignation due » (arrêt attaqué, p. 6) »

Réponse de la Cour

Vu l'article 392-1 du code de procédure pénale :

6. Selon ce texte, lorsque l'action de la partie civile n'est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel fixe, en fonction des ressources de la partie civile, le montant de la consignation que celle-ci doit, si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la citation directe.

7. Lorsque la partie civile est une personne morale à but lucratif, elle doit, sous peine d'irrecevabilité de la citation directe, produire au tribunal son bilan et son compte de résultat afin de permettre la détermination du montant de la consignation.

8. Il s'en déduit que, contrairement à celle délivrée à la requête d'une personne morale à but lucratif, la citation délivrée à la requête d'une personne physique ne peut être déclarée irrecevable au seul motif que cette dernière n'a pas produit de justificatifs permettant de déterminer le montant de la consignation. Dans ce cas, il appartient au tribunal correctionnel de fixer ce montant au regard des éléments de procédure et des éventuelles pièces produites.

9. En l'espèce, pour confirmer le jugement et déclarer irrecevables les citations adressées à leur requête, l'arrêt attaqué énonce que les parties civiles, personnes physiques, non bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, n'ont pas, comme elles le devaient, justifié de leurs ressources, la simple déclaration orale faite par leur avocat selon laquelle elles pourraient faire face à des amendes civiles de 15 000 euros ne pouvant se substituer aux exigences légales.

10. Les juges ajoutent que les parties civiles ne sauraient invoquer une atteinte à leur droit d'accéder à la justice dès lors que celle-ci résulte de leur carence à répondre aux exigences de la loi.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second grief.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-quatre.

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