5 mars 2024
Cour d'appel de Pau
RG n° 23/00257

1ère Chambre

Texte de la décision

AB/CD



Numéro 24/00791





COUR D'APPEL DE PAU

1ère Chambre







ARRÊT DU 05/03/2024







Dossier : N° RG 23/00257 - N° Portalis DBVV-V-B7H-

INWW





Nature affaire :



Actions en opposition à poursuites relatives à d'autres droits et contributions







Affaire :



DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES



C/



SARL SEPADUR



























Grosse délivrée le :



à :

















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 05 Mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.







* * * * *





APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 08 Janvier 2024, devant :



Madame BLANCHARD, magistrate chargée du rapport,



assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l'appel des causes,





Madame BLANCHARD, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :



Madame FAURE, Présidente

Madame BLANCHARD, Conseillère

Madame REHM, Magistrate honoraire





qui en ont délibéré conformément à la loi.

















dans l'affaire opposant :









APPELANTE :





LA DIRECTION REGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES représentée par la Directrice Régionale des Finances Publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du Département des Bouches-du-Rhône qui élit domicile en ses bureaux

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 1]



Représentée et assistée de Maître MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU











INTIMEE :





SARL SEPADUR immatriculée au RCS de RENNES sous le numéro 799 239 736, agissant poursuites et diligences de ses gérants, domiciliés ès qualités audit siège social

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Maître COTO, avocat au barreau de BAYONNE

Assistée de Maître KERMARREC, avocat au barreau de RENNES























sur appel de la décision

en date du 12 DECEMBRE 2022

rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BAYONNE

RG numéro : 21/00342


EXPOSE DU LITIGE :



Le 30 décembre 2013, la SARL BAB ALUMINIUM a vendu à la SARL SEPADUR, dont l'activité est marchand de biens, un bâtiment à usage industriel, situé à [Localité 4], moyennant un prix de 1 240 000 €.



La SARL SEPADUR s'est engagée à revendre le bien dans le délai de 5 ans, soit le 30 décembre 2018 au plus tard, pour bénéficier de l'exonération des droits et taxes de mutation prévue par l'article 1115 alinéa 1 du code général des impôts.



Dès le 31 décembre 2013, la SARL SEPADUR a donné le bien à bail commercial à la SARL BAB ALUMINIUM, moyennant un loyer annuel de 144 000 € HT.



La SARL BAB ALUMINIUM a été placée en redressement judiciaire le 11 juin 2015, puis en liquidation judiciaire le 28 octobre 2016.



Elle a saisi le tribunal de grande instance de Bayonne, devenu tribunal judiciaire, le 30 décembre 2015 d'une demande de nullité de la vente de l'immeuble, demande rejetée par jugement du 23 mars 2020 confirmé par arrêt du 12 avril 2022.



Par ailleurs, par ordonnance de référé du 23 août 2016, la résiliation du bail pour non-paiement des loyers a été constatée, et l'expulsion de la SARL BAB ALUMINIUM a été ordonnée.



Constatant que le bien n'avait pas été revendu dans le délai prévu par les dispositions de l'article 1115 du CGI, l'administration fiscale a considéré que la SARL SEPADUR devait être déchue du régime fiscal favorable qu'elles instituent et l'a informée le 1er avril 2019 de son intention d'opérer une rectification, pour un montant de 66 186 € dont 54 251 € de droits complémentaires et 11 935 € d'intérêts de retard.



Le recours contre cette proposition de rectification a été rejeté le 15 décembre 2020.



Par acte d'huissier du 4 février 2021, la SARL SEPADUR a assigné le DIRECTEUR DEPARTEMENTAL des FINANCES PUBLIQUES DES PYRENEES ATLANTIQUES et le DIRECTEUR REGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES DE PROVENCE ALPES COTE D'AZUR et des BOUCHES DU RHÔNE devant le tribunal judiciaire de Bayonne aux fins suivantes :



- annuler la décision de rejet de l'ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES DES PYRENEES ATLANTIQUES du 15 décembre 2020 à l'encontre de sa réclamation contentieuse du 3 mars 2020,

- prononcer corrélativement, sur la base de sa réclamation contentieuse, le dégrèvement des rappels de droits d'enregistrements consécutifs à la déchéance du régime de faveur,

- condamner I'Etat au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.





Par jugement réputé contradictoire du 12 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Bayonne a :



- annulé la décision de rejet du DIRECTEUR DEPARTEMENTAL des FINANCES PUBLIQUES DES PYRENEES ATLANTIQUES du 15 décembre 2020 à l'encontre de sa réclamation contentieuse du 3 mars 2020,

- prononcé corrélativement, sur la base de la réclamation contentieuse de la SARL SEPADUR, le dégrèvement des rappels de droits d'enregistrement consécutifs à la déchéance du régime de faveur,

- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les défendeurs aux dépens.



Le tribunal a considéré que la société SEPADUR avait été dans l'impossibilité de revendre l'immeuble en raison de l'action en nullité de la vente initiée par la société BAB ALUMINIUM, et donc que le dégrèvement devait être maintenu.



Par déclaration au greffe du 23 janvier 2023, l'administration des finances publiques a relevé appel de cette décision, critiquant le jugement en toutes ses dispositions.





Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2023, auxquelles il est expressément fait référence, l'administration des finances publiques, appelante, demande à la cour de :



- infirmer le jugement du 12 décembre 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Bayonne ;



Et statuant à nouveau,



- confirmer la décision de rejet du 15 décembre 2020 ;

- reconnaître le rappel fondé en droit et en fait ;

- condamner la société SEPADUR aux entiers dépens d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit ;

- condamner la société SEPADUR à verser à l'État la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



L'administration des finances publiques fait valoir au soutien de son appel :



- que la société SEPADUR ne s'est pas trouvée dans l'impossibilité absolue de revendre le bien dans les cinq ans de l'achat, de sorte que la rectification est justifiée et les droits de mutation sont dus,

- que seule la force majeure aurait permis de maintenir l'exonération au profit de la société SEPADUR, or celle-ci ne justifie pas d'un cas de force majeure durant l'intégralité du délai de 5 ans,

- qu'en effet, entre l'acquisition de l'immeuble le 30 décembre 2013 et l'assignation à la requête de la société BAB ALUMINIUM en nullité de la vente le 30 décembre 2015, il s'est écoulé deux ans,

- que la société SEPADUR a signé un bail commercial avec sa venderesse compte tenu du souhait de cette dernière de continuer à exercer dans les lieux, et ce faisant, elle s'exposait à des difficultés pour revendre dans le délai imparti, d'autant qu'elle connaissait la mauvaise situation financière de la société BAB ALUMINIUM,

- qu'il n'y a donc aucune imprévisibilité ni extériorité de la situation, permettant d'invoquer la force majeure.





Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 avril 2023, auxquelles il est expressément fait référence, la société SEPADUR, intimée, demande à la cour de :



- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bayonne (1ère chambre) le 12 décembre 2022 en toutes ses dispositions,

- condamner l'État à verser à SEPADUR, la somme de 5 000 €, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'État aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Grégory COTO, avocat inscrit au barreau de Bayonne, en application de l'article 699 du code de procédure civile.



La société SEPADUR fait valoir :



- qu'il résulte de la chronologie des faits qu'elle était dans l'impossibilité de revendre avant le 30 décembre 2018, compte tenu de la procédure au fond relative à la nullité de la vente de l'immeuble, alors même qu'elle souhaitait accepter l'offre d'achat que lui avait présentée la société ALGOA,

- qu'en effet l'action en nullité intentée par sa venderesse était imprévisible, irrésistible et extérieure, ce qui constitue un cas de force majeure,



- qu'en outre la société BAB ALUMINIUM a cessé de payer les loyers 9 mois après la prise à bail, ce qui état un obstacle à la vente du bien occupé par un locataire impécunieux, dès avant l'assignation en nullité de la vente.





L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 décembre 2023.






MOTIFS :





L'article 1115 du code général des impôts dispose :



"Sous réserve des dispositions de l'article 1020, les acquisitions d'immeubles, de fonds de commerce ainsi que d'actions ou parts de sociétés immobilières réalisées par des personnes assujetties au sens de l'article 256 A sont exonérées des droits et taxes de mutation quand l'acquéreur prend l'engagement de revendre dans un délai de cinq ans."



Lorsque l'acquéreur ne revend pas le bien dans le délai imparti, il est déchu du bénéfice de l'exonération fiscale de faveur, mais l'administration maintient cette exonération s'il justifie de l'impossibilité de respecter son engagement de revente dans le délai légal par suite d'un cas de force majeure, c'est-à-dire d'une cause extérieure, imprévisible et irrésistible.



En l'espèce, il est constant que la SARL SEPADUR n'a pas revendu le bien immobilier acquis de la SARL BAB ALUMINIUM dans le délai de cinq ans de son achat, alors qu'elle a bénéficié de dispositions fiscales dérogatoires au droit commun sur le fondement de l'article précité, sous cette condition de revente.



Il est également constant que l'achat dudit bien immobilier s'inscrivait dans le cadre d'une opération de refinancement de l'une des filiales du groupe Mirsud ; ainsi la SARL BAB ALUMINIUM vendait le bâtiment à usage commercial dont elle était propriétaire et dans lequel elle exerçait son activité, mais se voyait consentir par l'acquéreur un bail commercial sur ce bien dès le lendemain de sa vente pour continuer à exercer cette activité. L'acquéreur effectuait ainsi un investissement en comptant sur la rentabilité des loyers, le taux de rendement s'élevant à 11,6 % compte tenu du prix d'achat et du montant du loyer.



Une telle opération, parfaitement licite et courante, ne faisait pas obstacle en elle-même à la stipulation dans l'acte de vente d'un engagement de revente du bien dans les cinq anspar l'acquéreur, même s'il est exact comme l'indique l'Administration des Finances Publiques que cet acquéreur prenait le risque d'une revente moins avantageuse ou plus difficile si le bien était occupé.



En revanche, la SARL SEPADUR explique qu'il résulte de la chronologie des événements suivants un cas de force majeure l'ayant placée dans l'impossibilité absolue de revendre le bien immobilier dans le délai de cinq ans stipulé à l'acte.



Il est établi par des pièces produites que :



- la SARL BAB ALUMINIUM a cessé de payer les loyers et charges relatifs à l'immeuble à compter du quatrième trimestre 2014, c'est-à-dire seulement neuf mois après l'acquisition de l'immeuble par la SARL SEPADUR ; il n'est pas discutable que dès cette date la SARL SEPADUR s'est trouvée en difficulté pour revendre l'immeuble alors occupé par un locataire ne réglant pas les loyers ;



- dès le 11 juin 2015, soit 18 mois après l'acquisition, la SARL BAB ALUMINIUM, locataire, a été placée en redressement judiciaire, puis à compter du 28 octobre 2016, en liquidation judiciaire ;





- la SARL SEPADUR a effectué les diligences nécessaires dès le 4 décembre 2015 pour obtenir la libération des lieux, puisqu'elle a assigné sa locataire en paiement des loyers et charges exigibles postérieurement au jugement de redressement judiciaire et en résiliation du bail commercial ; elle a également confié un mandat de vente de l'immeuble à l'agence Defoly Immobilier le 4 décembre 2015, ce qui manifeste son intention de respecter les stipulations fiscales précitées ; elle a obtenu l'expulsion de la SARL BAB ALUMINIUM par ordonnance du 5 janvier 2016 mais n'a pu récupérer les clés de l'immeuble que le 23 décembre 2016 ;



- entre-temps, dès le 30 décembre 2015, la SARL BAB ALUMINIUM a fait assigner la SARL SEPADUR aux fins de voir prononcer la nullité de la vente de l'immeuble ; à compter de cette date toute revente était impossible étant précisé que l'assignation en nullité de la vente a été publiée le 22 février 2016 ; par ailleurs cette demande de nullité de la vente a été rejetée par jugement du 23 mars 2020 mais la SARL BAB ALUMINIUM a relevé appel de cette décision de sorte que le litige n'a trouvé de solution définitive que par arrêt de la cour d'appel de Pau du 12 avril 2022 confirmant le jugement entrepris, de sorte que jusqu'à cette date, la SARL SEPADUR justifie s'être trouvée dans l'impossibilité de revendre l'immeuble étant rappelé que la date limite de revente était fixée au 30 décembre 2018.



Par ailleurs, il n'est pas établi, comme le prétend l'Administration des Finances Publiques, que la SARL SEPADUR avait connaissance des difficultés financières de la SARL BAB ALUMINIUM dès l'acquisition du bien immobilier, en effet la SARL SEPADUR, marchand de biens, ne fait pas partie du groupe Mirsud, et n'avait aucun intérêt à consentir un bail commercial au loyer annuel de 144'000 € avec un locataire dont elle aurait connu auparavant l'impécuniosité ; en réalité seule la santé financière de ce groupe avait été évoqué par son gérant, et l'opération de refinancement consistant à vendre des biens immobiliers tout en restant locataire ne concernait pas la trésorerie de l'acquéreur ; cette circonstance ne saurait permettre à la cour d'écarter le critère d'imprévisibilité relatif à la force majeure. La SARL SEPADUR ne pouvait davantage anticiper l'action en nullité de la vente engagée par la SARL BAB ALUMINIUM, et rendant le bien indisponible durant plusieurs années.



Dans ces conditions, la cour estime comme le premier juge que la SARL SEPADUR s'est trouvée confrontée à des circonstances extérieures, imprévisibles et irrésistibles caractérisant la force majeure, faisant obstacle à la revente du bien avant le 30 décembre 2018.



Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris sur les frais irrépétibles et les dépens.



L'Administration des Finances Publiques, succombante en son recours, sera condamnée à supporter les dépens d'appel tels que prévus par l'article R 207-1 du livre des procédures fiscales, dont distraction au profit de Maître Grégory Coto, avocat inscrit au Barreau de Bayonne, en application de l'article 699 du code de procédure civile.



Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant cette cour.





PAR CES MOTIFS :





La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,



y ajoutant,









Condamne l'Administration des Finances Publiques aux dépens d'appel tels que prévus par l'article R 207-1 du livre des procédures fiscales, dont distraction au profit de Maître Grégory Coto, avocat inscrit au Barreau de Bayonne, en application de l'article 699 du code de procédure civile.



Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.



LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,











Carole DEBON Caroline FAURE

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