6 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-11.016

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00271

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Licenciement disciplinaire - Faute du salarié - Faute grave - Caractérisation - Cas - Agissements du salarié dans sa vie personnelle - Conditions - Manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail - Applications diverses - Portée

Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée de sorte qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Doit être approuvé l'arrêt de la cour d'appel qui retient que l'employeur ne peut, pour procéder au licenciement d'un salarié, se fonder sur le contenu de messages, qui, même s'ils avaient été envoyés au moyen de la messagerie professionnelle, relèvent de la vie personnelle du salarié dès lors, d'une part, que ces messages s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés, à l'intérieur d'un groupe de personnes, et n'avaient pas vocation à devenir publics, d'autre part, que les opinions exprimées par le salarié n'avaient eu aucune incidence sur son emploi ou ses relations avec les usagers ou ses collègues et qu'il n'est pas établi qu'ils auraient été connus en dehors du cadre privé

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Respect de la vie privée - Domaine d'application - Contrat de travail - Droit du salarié au respect de l'intimité de sa vie privée - Etendue - Effets - Exclusion - Licenciement disciplinaire fondé sur un motif tiré de la vie personnelle du salarié - Conditions - Détermination - Cas - Portée

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mars 2024




Rejet


M. SOULARD, premier président



Arrêt n° 271 FS-B

Pourvoi n° D 22-11.016






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MARS 2024

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn-et-Garonne, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-11.016 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2021 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [Y] [K], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à Pôle Emploi, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn-et-Garonne, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de Mme [K], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Sommer, président, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Douxami, Panetta, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des premier président, président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 26 novembre 2021), Mme [K] a été engagée, en qualité de technicienne de prestations, par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Tarn-et-Garonne, à compter du 1er février 1981.

2. Contestant son licenciement, prononcé pour faute grave par lettre du 16 mars 2017, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La CPAM du Tarn-et-Garonne fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement n'était justifié ni par une faute grave ni par une faute simple constitutive d'une cause réelle et sérieuse, de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre de salaire pendant la mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à hauteur de 3 mois, alors :

« 1°/ que l'exercice de la liberté d'expression, qui comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ; que les salariés d'une caisse de sécurité sociale sont soumis aux principes de neutralité et de laïcité du service public ; qu'en conséquence, ils ne peuvent pas, sans commettre une faute grave, ou à tout le moins une faute constitutive d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, utiliser la messagerie mise à leur disposition par l'organisme de sécurité sociale employeur pour diffuser, auprès d'autres agents, des propos racistes ou xénophobes, le règlement intérieur de la CPAM et la charte d'utilisation de la messagerie électronique interdisant au surplus expressément tout propos raciste ou discriminatoire comme la provocation à la discrimination, à la haine notamment raciale, ou à la violence ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la décision attaquée que la salariée avait envoyé, avec son courriel professionnel, des messages au "caractère manifestement raciste et xénophobe" adressés à d'autres salariés de la CPAM ; qu'en écartant la qualification de faute grave en affirmant que si la salariée était tenue d'un devoir de neutralité dans le cadre de ses fonctions, elle pouvait user de sa liberté d'expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé, les courriels litigieux ayant été adressés dans le cadre d'échanges privés à l'intérieur d'un groupe sans avoir vocation à devenir publics, si bien que la salariée n'aurait tenu aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

2°/ que le fait pour un salarié d'utiliser la messagerie électronique que l'employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d'identifier l'employeur, un courriel contenant des propos racistes ou xénophobes est constitutif d'une faute grave, ou à tout le moins d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en l'espèce, il était constant que la salariée avait envoyé avec son courriel professionnel, des messages au "caractère manifestement raciste et xénophobe" destinés au moins à deux autres salariés de la CPAM ; qu'en écartant la qualification de faute grave au prétexte que les courriels litigieux avaient été adressés dans le cadre d'échanges privés à l'intérieur d'un groupe sans avoir vocation à devenir publics, la salariée ne tenant selon elle aucun propos raciste ou xénophobe dans la sphère professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée.

5. Il en résulte qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Ass. plén., 22 décembre 2023, n° 21-11.330, publié).

6. La cour d'appel a d'abord constaté que les messages litigieux s'inscrivaient dans le cadre d'échanges privés à l'intérieur d'un groupe de personnes, qui n'avaient pas vocation à devenir publics et n'avaient été connus par l'employeur que suite à une erreur d'envoi de l'un des destinataires.

7. Elle a ensuite relevé que la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces courriels auraient eu une incidence sur son emploi ou dans ses relations avec les usagers ou les collègues et que l'employeur ne versait aucun élément tendant à prouver que les écrits de l'intéressée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l'extérieur de la CPAM du Tarn-et-Garonne et de la CPAM de la Haute-Garonne et que son image aurait été atteinte, de sorte que le moyen tiré du principe de neutralité découlant du principe de laïcité applicable aux agents qui participent à une mission de service public, invoqué par la première branche, est inopérant.

8. Elle a enfin retenu que, si l'article 26 du règlement intérieur interdisait aux salariés d'utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements appartenant à la caisse, y compris dans le domaine de l'informatique, un salarié pouvait toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu'il n'en abusait pas et, qu'en l'espèce, l'envoi de neuf messages privés en l'espace de onze mois ne saurait être jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.

9. Elle en a exactement déduit que l'employeur ne pouvait, pour procéder au licenciement de la salariée, se fonder sur le contenu des messages litigieux, qui relevaient de sa vie personnelle.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn-et-Garonne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn-et-Garonne et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le premier président en son audience publique du six mars deux mille vingt-quatre.

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