5 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-81.316

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00242

Titres et sommaires

PRESSE - Procédure - Action publique - Mise en mouvement - Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Ministère public ou association se proposant par ses statuts de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination raciale ou religieuse

L'impossibilité pour la personne qui s'estime attaquée à raison de sa religion, alors qu'elle n'est pas personnellement et directement visée par les propos ou dessins, de mettre en mouvement l'action publique des chefs, d'une part, de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, infraction prévue à l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d'autre part, d'injure publique aggravée par les mêmes circonstances, délit prévu à l'article 33, alinéa 3, de ladite loi, est justifiée par la nécessité de limiter les atteintes à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne porte ainsi pas une atteinte excessive au droit à un procès équitable. En réservant au ministère public et à certaines associations la possibilité de mettre en mouvement l'action publique du chef de provocation à la discrimination, à la haine, à la violence à raison de la religion, le législateur a entendu, eu égard à la liberté de la presse et au droit à la liberté d'expression, limiter le risque de poursuites pénales abusives exercées par un membre du groupe visé à raison de son appartenance religieuse, groupe qu'il ne peut prétendre représenter en exerçant tous les droits reconnus à la partie civile au seul motif qu'il professerait la religion considérée. Les infractions prévues par ces textes, qui supposent que soit visée une personne au sens de loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne peuvent concerner le membre d'une collectivité dépourvue de personnalité juridique qui n'est pas suffisamment restreinte pour que chacun de ses membres puisse se sentir atteint

Texte de la décision

N° N 23-81.316 F-B

N° 00242


SL2
5 MARS 2024


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2024




M. [L] [P], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 9 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [E] [F] et la société [2] des chefs d'injure publique et provocation publique à la haine ou à la violence, en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion, a déclaré irrecevable sa constitution de partie civile.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [L] [P], les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [E] [F] et de la société [2], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [L] [P] a fait citer M. [E] [F] devant le tribunal correctionnel, en sa qualité d'auteur de propos et de dessins publiés dans le journal [1], le 2 septembre 2020, des chefs d'injure publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, et de provocation à la haine en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion.

3. Par jugement du 14 décembre 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [P] irrecevable en son action dirigée contre M. [F] et la société [2], en sa qualité de civilement responsable, au motif que les propos et dessins poursuivis ne le visaient pas personnellement.

4. M. [P] a relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen


5. Le moyen est devenu sans objet dès lors que, par décision du 5 septembre 2023, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en faisant droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée et l'a déclaré irrecevable en son action dirigée contre M. [F] et la société [2] des chefs d'injure publique à raison de l'appartenance à une religion et de provocation publique à la haine, à la discrimination ou à la violence à raison de la religion, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial et droit à un recours effectif ; que la cour d'appel a considéré, pour faire droit à l'exception d'irrecevabilité soulevée et déclarer irrecevable l'exposant de ses demandes, que, s'agissant de l'injure publique à raison de la religion, « les propos et dessins incriminés par la citation ne visent pas personnellement [L] [P], qui ni nommé, ni désigné, ni identifiable comme tel » et, s'agissant de la provocation publique à la haine, à la discrimination ou à la violence à raison de la religion, que « seuls le ministère public et les associations visées par l'article 48-1 » de la loi du 29 juillet 1881 peuvent se constituer partie civile ; qu'en statuant de la sorte quand elle relevait que la citation renvoyait à la communauté musulmane dont faisait partie l'exposant sans examiner s'il avait personnellement et directement souffert tout à la fois de l'injure publique et de la provocation publique à la haine qu'il dénonçait, la cour d'appel a porté une atteinte excessive au droit à un procès équitable et au droit à un recours effectif et a violé les articles 33 alinéa 3, 24 alinéa 7, 47, 48 et 48-1 alinéas 1 et 2, de la loi du 29 juillet 1881, articles 2, 2-1 alinéa 1 et 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la seule possibilité d'agir devant le juge civil, qui n'est pas de nature à compenser cette atteinte, étant radicalement inopérante. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de M. [P], l'arrêt attaqué énonce que, s'agissant de l'injure publique envers un groupe de personnes à raison de son appartenance à une religion, les propos et les dessins incriminés par la citation ne visent pas personnellement M. [P], qui n'est ni nommé, ni désigné, ni identifiable comme tel, les termes de la citation renvoyant à un groupe de personnes constitué des membres de la communauté musulmane.

8. Les juges ajoutent, s'agissant du délit de provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence, que, d'une part, il résulte de la combinaison des articles 47, 48 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que seuls le ministère public et les associations visées par l'article 48-1 de la loi précitée peuvent mettre en mouvement l'action publique, les personnes visées ne pouvant se constituer parties civiles que par voie d'intervention, d'autre part, ces dispositions ne portent pas atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif prévu par l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que les personnes se prévalant d'un préjudice, à la condition qu'elles soient visées par les propos, conservent la possibilité d'agir devant le juge civil.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes et principes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

10. En premier lieu, l'impossibilité pour la personne qui s'estime attaquée à raison de sa religion, alors qu'elle n'est pas personnellement et directement visée par les propos ou dessins, de mettre en mouvement l'action publique des chefs, d'une part, de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, d'autre part, d'injure publique aggravée par les mêmes circonstances, est justifiée par la nécessité de limiter les atteintes à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et ne porte ainsi pas une atteinte excessive au droit à un procès équitable.

11. En deuxième lieu, en réservant au ministère public et à certaines associations la possibilité de mettre en mouvement l'action publique du chef de provocation à la discrimination, à la haine, à la violence à raison de la religion, le législateur a entendu, eu égard à la liberté de la presse et au droit à la liberté d'expression, limiter le risque de poursuites pénales abusives exercées par un membre du groupe visé à raison de son appartenance religieuse, groupe qu'il ne peut prétendre représenter en exerçant tous les droits reconnus à la partie civile au seul motif qu'il professerait la religion considérée.

12. Enfin, les infractions prévues par ces textes, qui supposent que soit visée une personne au sens de loi du 29 juillet 1881précitée, ne peuvent concerner le membre d'une collectivité dépourvue de personnalité juridique qui n'est pas suffisamment restreinte pour que chacun de ses membres puisse se sentir atteint.

13. Ainsi, le moyen doit être écarté.

14. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [P] devra payer à M. [F] et la société [2] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-quatre.

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