5 mars 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-84.864

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00236

Titres et sommaires

FICHIERS ET LIBERTES PUBLIQUES - Fichiers ou traitements informatiques - Fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) - Consultation - Agent dépourvu d'habilitation - Autorisation par le magistrat - Mention - Défaut - Portée

Lorsque des enquêteurs, eux-mêmes dépourvus de toute habilitation à consulter le fichier du traitement des antécédents judiciaires, sont autorisés par le magistrat compétent à requérir une telle consultation, ils doivent porter, dans leur procès-verbal, toute mention permettant de s'assurer que la personne ayant consulté ce fichier était habilitée spécialement et individuellement à cette fin, de manière à permettre un contrôle effectif de la capacité de celle-ci à accéder audit traitement

Texte de la décision

N° U 23-84.864 F-B

N° 00236


SL2
5 MARS 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2024



M. [M] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 6 juillet 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 29 septembre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [I], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 30 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [M] [I], mis en examen des chefs susmentionnés le 28 septembre 2022, a formé une requête en nullité le 28 mars 2023.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des pièces relatives à la géolocalisation du véhicule Renault Mégane immatriculé [Immatriculation 1] et des actes subséquents, alors :

« 1°/ d'une part qu'est recevable à contester la régularité d'une mesure de géolocalisation de véhicule toute personne que les enquêteurs soupçonnent d'être utilisateur dudit véhicule ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [I] faisait valoir que les opérations de géolocalisation du véhicule Renault Mégane immatriculé [Immatriculation 1] devaient être annulées faute de motivation suffisante de l'autorisation de géolocalisation donnée par le Procureur de la République ; qu'en affirmant, pour rejeter cette requête, que « M. [M] [I] ne justifie pas d'un grief propre qu'il subirait du fait de cette décision et de cette exploitation puisqu'il n'a pas été relevé qu'il utilisait d'une manière ou d'une autre ce véhicule », après avoir pourtant relevé « que les enquêteurs considéraient que ce véhicule pouvait être utilisé par [Monsieur [I]] », circonstance qui suffisait à justifier l'intérêt et la qualité pour agir de Monsieur [I], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 230-32, 230-33, 230-35, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que la suffisance de la motivation d'une autorisation de géolocalisation doit être appréciée au regard des seuls motifs de cette autorisation, sans que la chambre de l'instruction puisse y ajouter des motifs propres ; qu'au cas d'espèce, l'autorisation de géolocalisation se contentait de viser, sans autre précision, « l'urgence » et les articles 230-32 à 230-44 du Code de procédure pénale ; qu'en se fondant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité des opérations de géolocalisation, sur la circonstance que ces opérations avaient duré peu de temps et n'avaient donné lieu qu'à une exploitation ponctuelle, considérations étrangères à l'autorisation litigieuse, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 230-32, 230-33, 230-35, 591 et 593 du code de procédure pénale. »


Réponse de la Cour

4. Pour écarter le moyen tendant à l'annulation de l'autorisation de géologalisation du véhicule, l'arrêt énonce que cette mesure a été de très courte durée, puisqu'à la suite de la pose du dispositif le 3 février 2022, un seul trajet a été enregistré, ce même jour, entre 10 heures 45 et 11 heures 28, du lieu de stationnement du véhicule à l'agence de location de celui-ci, où Mme [P] [T], qui en était la locataire, l'a restitué.

5. Les juges indiquent que, s'il ressort du procès-verbal de mise en place du dispositif que les enquêteurs considéraient que ce véhicule pouvait être utilisé par M. [I], ce dernier ne justifie pas d'un grief propre qu'il subirait du fait de cette décision et de cette exploitation puisqu'il n'a pas été relevé qu'il utilisait d'une manière ou d'une autre ce véhicule.

6. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une exacte application des conditions de la qualité à agir en nullité d'une mesure de géolocalisation pour les motifs qui suivent.

7. En premier lieu, pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit examiner si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre.

8. En second lieu, l'exigence de motivation en droit et en fait de la décision autorisant une mesure de géolocalisation, prévue à l'article 230-33 du code de procédure pénale, a pour finalité, en permettant le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l'ingérence qu'elle entraîne, de préserver le droit au respect de la vie privée des personnes, tel que garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

9. En l'espèce, M. [I] n'a ni justifié ni même allégué, devant la chambre de l'instruction, avoir été le locataire ou l'utilisateur régulier du véhicule concerné et il ressort des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'au cours de la mise en oeuvre de la mesure, aucune localisation en temps réel du requérant n'a été effectuée en vertu de l'autorisation contestée de sorte qu'il ne justifie nullement qu'il aurait été porté atteinte, à l'occasion des investigations litigieuses, à sa vie privée.

10. Le fait, pour les enquêteurs, d'avoir soupçonné le requérant d'utiliser ce véhicule, s'il est à l'origine de la demande de mesure de géolocalisation, ne caractérise en soi aucune atteinte à sa vie privée.

11. Le moyen doit donc être rejeté.



Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des pièces relatives à l'exploitation de la fiche individuelle de M. [I] issue du fichier de traitement des antécédents judiciaires et des actes subséquents, alors « d'une part que même lorsqu'ils agissent dans le cadre d'une enquête préliminaire et avec l'autorisation du parquet, seuls peuvent accéder aux fichiers du TAJ les enquêteurs individuellement désignés et spécialement habilités à cette fin ; que l'habilitation soit de l'enquêteur ayant lui-même procédé à cette consultation, soit du tiers requis par lui à cette fin, doit donc dans tous les cas figurer en procédure, afin de s'assurer de la légalité de cette mesure ; qu'au cas d'espèce, il résulte des éléments de la procédure que M. [C], gardien de la paix, a consulté plusieurs fichiers, dont le fichier TAJ ; qu'en affirmant, pour dire la procédure régulière en dépit de l'absence au dossier d'habilitation de M. [C], que celui-ci avait été habilité par le parquet à effectuer toutes réquisitions utiles pour déterminer le « profil » de M. [I], quand l'habilitation à requérir la consultation d'un fichier ne valait pas habilitation à consulter ledit fichier, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 230-6, 230-10, R. 40-23, R. 40-28, 77-1-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 15-5 et 593 du code de procédure pénale :

13. Selon le premier de ces textes, immédiatement applicable à la procédure conformément à l'article 112-2, 2°, du code pénal, l'absence de mention de l'habilitation spéciale et individuelle permettant à un personnel de procéder à la consultation de traitements au cours d'une enquête ou d'une instruction, dont la réalité peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, n'emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure.

14. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

15. Pour écarter le moyen de nullité tiré du défaut d'habilitation de l'agent ayant procédé à la consultation du traitement des antécédents judiciaires, l'arrêt attaqué énonce que celle-ci a été réalisée dans le cadre de l'enquête préliminaire initiée par le procureur de la République et sur l'autorisation donnée par ce magistrat de réaliser toutes les réquisitions utiles dans le but d'établir notamment « le profil » de M. [I], comprenant nécessairement le profil pénal de l'intéressé défini au regard de ses antécédents judiciaires.

16. Les juges indiquent encore qu'il est de jurisprudence constante que, dans ce cadre, l'habilitation évoquée par le requérant n'est pas nécessaire.

17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

18. En effet, d'une part, lorsque des enquêteurs, eux-mêmes dépourvus de toute habilitation à consulter le fichier de traitement des antécédents judiciaires, sont autorisés par le magistrat compétent à requérir une telle consultation, ils doivent porter, dans leur procès-verbal, toute mention permettant de s'assurer que la personne ayant consulté le fichier était habilitée spécialement et individuellement à cette fin, de manière à permettre un contrôle effectif sur la capacité de celle-ci à accéder audit traitement.

19. D'autre part, il appartenait à la chambre de l'instruction, le cas échéant en ordonnant un supplément d'information, de vérifier la réalité de l'habilitation spéciale et individuelle de l'agent ayant procédé à la consultation.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au moyen de nullité portant sur la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 6 juillet 2023, mais en ses seules dispositions relatives au moyen de nullité portant sur la consultation du fichier du traitement des antécédents judiciaires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-quatre.

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