26 février 2024
Cour d'appel de Nouméa
RG n° 23/00043

Chambre commerciale

Texte de la décision

N° de minute : 2024/11



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 26 Février 2024



Chambre commerciale









N° RG 23/00043 - N° Portalis sas-V-B7H-UBP



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 30 mai 2023 par le président du tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 23/02)



Saisine de la cour : 12 juin 2023





APPELANT



S.A.S. WEBUIHOONE MARITIME (SOWEMAR),

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Philippe GILLARDIN de la SARL GILLARDIN AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA



INTIMÉ



S.A.S. TRANSWEBUIHOONE (TRANSWEB),

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 30 octobre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Zouaouïa MAGHERBI.



Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO





26/02/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire - Me GILLARDIN ;

Expéditions - Me CHAMBARLAC ;

- Copie TMC ; Copie CA

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.




***************************************



PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE :



La SAS WEBUIHOONE MARITIME dite SOWEMAR, associée unique de la SAS TRANSWEBUIHOONE dite TRANSWEB, a cédé l'intégralité de ses parts au franc symbolique à la SCP ROYAL SOUTH KLANG MARINE, dont le gérant est M. [F], également gérant de la société TRANSWEB.



Par convention du 22 février 2018, il a été convenu entre les parties du versement d'une somme de 20 000 000 FCFP par abandon d'une part du compte courant d'associés, crédité à hauteur de 96 297 126 FCFP, si TRANWEB réglait dans un délai de vingt mois la totalité des sommes.



L'échéancier mis en place par les parties n'ayant pas été respecté par la société TRANSWEB, laquelle n'a honoré qu'un remboursement partiel du compte courant à hauteur de 11 728 745 FCFP fin décembre 2019, la société SOWEMAR lui a fait délivrer une sommation interpellative de payer par huissier le 27 mars 2020.



Par requête du 18 mai 2020, elle a poursuivi la société TRANSWEB devant le tribunal mixte de commerce de Nouméa pour obtenir le paiement d'une somme de 84 568 381 FCFP.



La société TRANSWEB s'est opposée à cette demande aux motifs qu'elle n'avait pas été régulièrement attraite devant le tribunal mixte de commerce et qu'elle ne devait qu'une somme de 8 271 255 FCFP.



Par jugement en date du 10 novembre 2021, la juridiction saisie a :

- déclaré les demandes de la société SOWEMAR recevables,

- condamné la société TRANSWEB à payer à la société SOWEMAR la somme de 84 568 381 FCFP, avec intérêts au taux de 9 % à compter du 27 mars 2020,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société TRANSWEB à payer à la société SOWEMAR la somme de 200.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.



Le 3 décembre 2021, la société TRANSWEB a interjeté appel de cette décision.



Le 28 novembre 2022, la société SOWEMAR a sollicité et obtenu l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire du navire Belyd immatriculé aux affaires maritimes de [Localité 3] sous le n° [Immatriculation 2] aux fins de garantie du paiement de la somme de 84 568 381 FCFP.



Le 2 janvier 2023, la saisie conservatoire pratiquée par la société SOWEMAR a permis l'immobilisation du navire Belyd.



Le 2 mars 2023, la cour a confirmé le jugement entrepris du 10 novembre 2021rendu par le tribunal de première instance de Nouméa et condamné la société TRANSWEB à payer à la société SOWEMAR une somme complémentaire de 500.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.



Le 27 janvier 2023, la société TRANSWEB a parallèlement saisi le juge des référés du tribunal mixte de commerce de Nouméa, au visa de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, des articles L 5114-21 et suivants du code des transports et de l'article 809 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie à l'effet de voir ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire du navire Belyd pratiquée par la société SOWEMAR.



Par conclusions récapitulatives déposées au greffe le 6 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens et prétentions des parties, la SAS TRANSWEB a demandé au juge des référés de :

- rétracter l'ordonnance n°79/2022 du 30 novembre 2022 autorisant la SAS SOWEMAR à faire procéder à la saisie conservatoire du navire Belyd immatriculé aux affaires maritimes de [Localité 3] sous le n° [Immatriculation 2], pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP,

- ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 2 janvier 2023,

- dire la saisie abusive pour avoir été pratiquée avec une légèreté blâmable,

- condamner la SAS SOWEMAR à lui payer la somme de 30 000 000 FCFP à valoir sur la liquidation définitive de son préjudice tous chefs confondus,

- condamner la SAS SOWEMAR à lui verser la somme de 350 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ordonnance de référé du 30 mai 2023, le juge des référés près le tribunal mixte de commerce de Nouméa a :

- rétracté l'ordonnance n°79/2022 du 30 novembre 2022 autorisant la SAS SOWEMAR à faire procéder à la saisie conservatoire du navire Belyd immatriculé aux affaires maritimes de [Localité 3] sous le n° [Immatriculation 2], pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP,

- ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 2 janvier 2023,

- condamné la SAS WEBUIHOONE MARITIME à verser à la SAS TRANSWEBUIHOONE la somme de 20 000 000 FCFP à valoir sur la liquidation définitive de son préjudice tous chefs confondus,

- débouté la SAS WEBUIHOONE MARITIME de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SAS WEBUIHOONE MARITIME à verser à la SAS TRANSWEBUIHOONE la somme de 150 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS WEBUIHOONE MARITIME de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS WEBUIHOONE MARITIME aux entiers dépens.



PROCEDURE D'APPEL :



Par requête d'appel déposée le 12 juin 2023, la SAS SOWEMAR a interjeté appel de cette décision aux fins de réformation.



Par courrier 19 juillet 2023, la société TRANSWEB a sollicité en application des dispositions de l'article 904 du code de procédure civile la radiation de l'affaire et la fixation d'une audience de plaidoirie afin que la cour statue sur les seuls éléments de première instance.



Le 21 juillet 2023, faute pour la société SOWEMAR d'avoir déposé le mémoire ampliatif dans le mois du dépôt de la requête, l'affaire a été radiée.



La société SOWEMAR a déposé quant à elle son mémoire ampliatif le 22 juillet 2023 par RPVA. Or à cette date l'affaire avait fait l'objet d'une radiation.



Le 7 août 2023, la clôture est ordonnée et l'affaire fixée à l'audience du 30 octobre 2023.



Il sera par conséquent statué que sur les seuls éléments de première instance, conclusions et pièces, en application des dispositions de l'article 904 du code de procédure civile.



En première instance, la société TRANSWEB, intimée en la présente instance, a demandé au juge des référés, en ses conclusions récapitulatives du 6 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, de rétracter l'ordonnance du 30 novembre 2022 autorisant la société SOWEMAR a faire procéder à la saisie conservatoire du navire Belyd lui appartenant, d'ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 2 janvier 2023 et de la condamner à lui payer en dédommagement une somme de 20 000 000 FCFP à valoir sur la liquidation de son préjudice tous chefs confondus.



Elle a fait valoir que la créance revendiquée par l'intimée n'étant pas une créance maritime, cette dernière ne pouvait selon elle procéder à une saisie conservatoire en application de la convention de Bruxelles du 10 mai 1952, dont la France est signataire, qui s'applique entre parties d'un des quelconques Etats signataires.



Concernant le dommage résultant des effets de l'immobilisation du navire suite à la notification de la saisie conservatoire, elle a exposé avoir subi un préjudice économique lié au manque à gagner dont elle demande réparation à hauteur de 20 000 000 FCFP à titre de provision à valoir sur la liquidation définitive de son préjudice.



Par conclusions récapitulatives déposées le 20 mars 2023, la société SOWEMAR a exposé quant à elle que son adversaire lui était redevable d'une somme de 84 568 381 FCFP, qu'elle reconnaissait lui devoir à minima 8 271 255 FCFP justifiant l'opportunité d'une mesure de saisie conservatoire garantissant sa créance.



Elle réfute d'une part l'applicabilité de la convention de Bruxelles en l'espèce qui impose que toute saisie conservatoire d'un navire battant pavillon d'un Etat signataire ne peut être réalisée que s'il s'agit d'une créance maritime, dès lors que selon elle seul le code de procédure ancien s'applique au motif que toutes les parties sont françaises, y compris le navire battant pavillon français, ayant conclu un contrat de droit commun, portant sur une créance terrestre relative au remboursement de compte courant d'associés.



Elle demande ainsi que la société TRANSWEB soit déboutée de sa demande en rétractation et que subsidiairement soit prononcé le cantonnement de la saisie conservatoire à la somme de 8 271 255 FCFP non contestée par l'intimée et sa condamnation à lui payer une somme de 250 000 FCFP au titre des frais irrépétibles.



Par ailleurs, elle conteste la réalité du préjudice économique que l'intimée dit avoir subi du fait de la saisie conservatoire exposant que le navire a continué à circuler nonobstant la mesure de sûreté. Elle devra être déboutée de cette demande également selon elle.




SUR CE,



Sur la saisie conservatoire



La convention internationale de Bruxelles autorise la saisie d'un navire dès lors que :

- la créance est « maritime » au sens de l'article 1er de la convention, qui définit la créance maritime comme « l'allégation d'un droit ou d'une créance » ayant l'une des causes énumérées à cet article, dont notamment la fourniture de produits ou de matériels faites à un navire en vue de on exploitation ou de son entretien, et également ayant pour cause la construction, réparation, équipement d'un navire ou frais de cale ;

- que cette créance maritime se rapporte au navire dont la saisie est demandée (article 3.1).



Ainsi tout navire en vertu de cette convention internationale pourra être saisi sur la simple allégation de l'existence d'une créance maritime figurant sur la liste exhaustive de l'article 1, sans avoir, en l'état, à justifier de l'existence de cette créance.



L'article 8 de la dite convention ci-dessus spécifiée dispose que :

« 1. Les dispositions de la présente Convention sont applicables dans tout État contractant à tout navire battant pavillon d'un État contractant.

2. Un navire battant pavillon d'un État non contractant peut être saisi dans l'un des États contractants, en vertu d'une des créances énumérées à l'article 1, ou de toute autre créance permettant la saisie d'après la loi de cet État.

3. Toutefois, chaque État contractant peut refuser tout ou partie des avantages de la présente Convention à tout État non contractant et à toute personne qui n'a pas, au jour de la saisie, sa résidence habituelle ou son principal établissement dans un État contractant.

4. Aucune disposition de la présente Convention ne modifiera ou n'affectera la loi interne des États contractants en ce qui concerne la saisie d'un navire dans le ressort de l'État dont il bat pavillon par une personne ayant sa résidence habituelle ou son principal établissement dans cet État.

5. Tout tiers, autre que le demandeur originaire qui excipe d'une créance maritime par l'effet d'une subrogation, d'une cession ou autrement, sera réputé, pour l'application de la présente Convention, avoir la même résidence habituelle ou le même établissement principal que le créancier originaire. »



Or si la convention de Bruxelles du 10 mai 1952 s'impose sur le droit interne au nom de l'effet supérieur des traités dans la hiérarchie des normes, il n'en demeure pas moins qu'elle s'efface au bénéfice de la loi interne de l'État accueillant le navire dans l'un de ses ports s'il n'existe pas d'élément d'extranéité.



En effet, si le lieu de la saisie, le pavillon du navire et la résidence où se trouve le principal établissement du saisissant, sont rattachés à un même État signataire, c'est le droit interne local de cet Etat qui doit s'appliquer.



En l'espèce, la cour relève que le navire Belyd saisi, immatriculé aux affaires maritimes de [Localité 3] sous le n° [Immatriculation 2], bat pavillon français, les parties en présence ont leur siège social pour l'une (TRANSWEB, le saisi) à [Localité 3], et pour l'autre (SOWEMAR, le saisissant) à [Localité 5].



Ainsi, en application de l'article L. 5114-22 du code des transports, « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire d'un navire ».



Dès lors qu'il apparaît que la créance de la société SOWEMAR est fondée en son principe, qu'elle est liquide certaine et exigible, selon jugement en date du 10 novembre 2021, confirmé en cause d'appel le 2 mars 2023, ayant condamné la société TRANSWEB à payer à la société SOWEMAR la somme de 84 568 381 FCFP, avec intérêts au taux de 9 % à compter du 27 mars 2020, la décision entreprise sera réformée en toutes ses dispositions.



Statuant à nouveau, il y a lieu de rejeter la demande formée par l'intimée en rétractatation de l'ordonnance du 30 novembre 2022 autorisant la société SOWEMAR à faire procéder à la saisie conservatoire du navire Belyd, pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP.



En conséquence, la cour maintient la saisie conservatoire litigieuse ordonnée le 2 janvier 2023 par le président du tribunal mixte de commerce de Nouméa, pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP.



La société TRANSWEB succombant en le présente instance sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.



Il est équitable de la condamner à payer une somme de 200 000 FCFP au titre des frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS :



La cour,



Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau,



Rejette la requête de la société TRANSWEB en rétractatation de l'ordonnance du 30 novembre 2022 autorisant la société SOWEMAR à faire procéder à la saisie conservatoire du navire Belyd, immatriculé aux affaires maritimes de [Localité 3] sous le n° [Immatriculation 2], pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP ;



En conséquence,



Maintient la saisie conservatoire ordonnée le 2 janvier 2023 par le président du tribunal mixte de commerce de Nouméa, du navire Belyd immatriculé aux affaires maritimes de Nouméa sous le n° [Immatriculation 2], pour sûreté et conservation et pour avoir paiement de la somme de 84 568 381 FCFP ;



Condamne la société TRANSWEB à payer à la société SOWEMAR une somme de 200 000 FCFP au titre des frais irrépétibles



Condamne la société TRANSWEB aux dépens de première instance et d'appel.







Le greffier, Le président.

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