28 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-21.406

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00217

Texte de la décision

SOC.

FP6



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 février 2024




Cassation partielle


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 217 F-D


Pourvois n°
X 22-21.406
V 22-21.910 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 FÉVRIER 2024

I - M. [Y] [D], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 22-21.406,

II - la société Garage [Adresse 3] dépannage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
a formé le pourvoi n° V 22-21.910,

contre l'arrêt rendu le 15 juin 2022 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige les opposant.

Le demandeur au pourvoi n° X 22-21.406 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le demandeur au pourvoi n° V 22-21.910 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [D], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Garage [Adresse 3] dépannage, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Salomon, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° X 22-21.406 et V 22-21.910 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 juin 2022), M. [D] a été engagé par la société Garage [Adresse 3] dépannage le 16 février 2004, et exerçait en dernier lieu les fonctions de dépanneur.

3. Il a été victime d'un accident du travail le 21 octobre 2016.

4. Il a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 2 mars 2017 et licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement le 28 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° V 22-21.910, pris en sa seconde branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi n° V 22-21.910, pris en sa première branche

6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, alors « que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée ; qu'il appartient au salarié, qui invoque le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement, de rapporter la preuve de ce que le manquement de l'employeur était à l'origine de son accident ayant conduit à son inaptitude ; que le fait que la visite de reprise du salarié fasse suite à un accident du travail est indifférent, la qualification d'accident du travail étant retenue dès lors qu'un accident est survenu sur le temps et lieu de travail du salarié indépendamment de l'existence d'un quelconque manquement de l'employeur ; qu'aucune présomption relative à l'existence d'un lien entre un manquement de l'employeur et une inaptitude n'existe même lorsque l'inaptitude a pour origine un accident du travail ; qu'en l'espèce, après avoir elle-même énoncé que le salarié n'a pas été soumis à une cadence de travail excessive, la cour d'appel ne pouvait juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude au motif qu' ''il n'a pas bénéficié d'un repos au moins égal à 11 heures entre la veille et le jour de l'accident. La visite de reprise à l'occasion de laquelle le salarié a été définitivement déclaré inapte à la reprise du travail fait suite à un accident de travail, il incombe donc à l'employeur de rapporter la preuve que cet accident a une cause totalement étrangère au manquement qui lui est à juste titre reproché. Dès lors qu'elle ne rapporte pas cette preuve, le licenciement doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse'' car en statuant ainsi, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les articles L. 1235-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel, qui a constaté que le salarié avait été victime d'un accident de la route alors qu'il circulait avec son véhicule d'intervention, et qu'il n'avait pas bénéficié de la durée minimale de repos quotidien à plusieurs reprises et en dernier lieu la veille de l'accident, exposant ainsi le salarié à une fatigue accrue, a fait ressortir l'existence d'un lien de causalité entre l'accident du travail et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

8. Le moyen est inopérant.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° X 22-21.406

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre des heures supplémentaires, du repos compensateur, du travail dissimulé, du rappel de salaire au titre de la retenue sur solde de tout compte et des congés payés afférents, alors « que selon l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; que selon l'article L. 3121-5, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ; que la Cour de justice de l'Union européenne juge que relève de la notion de ''temps de travail effectif'', au sens de la directive 2003/88, l'intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d'astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts ; qu'inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d'une période de garde déterminée n'atteignent pas un tel degré d'intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d'une telle période constitue du temps de travail, aux fins de l'application de la directive 2003/88 (CJUE 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, points 37 et 38) ; que pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt a retenu qu'il devait pendant ses périodes de ''permanence'' répondre à l'appel du ''dispatcheur'' pour se trouver sur les lieux de l'intervention désignée en 30 minutes, qu'il avait à sa disposition un téléphone portable, un véhicule d'intervention, qu'il pouvait entre les interventions vaquer à ses occupations sans se tenir en permanence à la disposition de l'employeur ; qu'il était ainsi soumis au régime de l'astreinte ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention imparti pour se rendre sur place après l'appel, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours des périodes d'astreinte, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3121-5 du code du travail, ensemble l'article L. 3171-4 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-1 et L. 3121-5 du code du travail, ce dernier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

10. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

11. Selon le second, constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif.

12. La Cour de justice de l'Union européenne juge que relève de la notion de temps de travail effectif, au sens de la directive 2003/88, l'intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d'astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d'une période de garde déterminée n'atteignent pas un tel degré d'intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d'une telle période constitue du "temps de travail", aux fins de l'application de la directive 2003/88 (CJUE 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, points 37 et 38).

13. Pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient que l'intéressé, sans être assigné dans ou à proximité de locaux désignés par l'employeur, devait pendant ses périodes de permanence, se tenir prêt à répondre à l'appel du dispatcheur de manière à se trouver sur les lieux de l'intervention qui lui était désigné, dans un délai de 30 minutes, qu'il avait à sa disposition un téléphone portable et son véhicule d'intervention qu'il pouvait utiliser à des fins privées, qu'il n'avait ainsi d'autre sujétion que celle de répondre immédiatement aux appels et pouvait donc, entre les interventions, vaquer librement à ses occupations personnelles de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'il était tenu de se maintenir de manière permanente et immédiate à la disposition de l'employeur.

14. En se déterminant ainsi, alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l'appel de l'usager, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d'astreinte, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

15. La cassation des chefs de dispositif visés par le moyen n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° V 22-21.910 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [D] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, du repos compensateur, des congés payés afférents, du travail dissimulé, l'arrêt rendu le 15 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne la société Garage [Adresse 3] dépannage aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Garage [Adresse 3] dépannage et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille vingt-quatre.

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