28 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.233

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00218

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Il résulte de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999, et de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que la publication d'un arrêté d'inscription d'un établissement sur la liste des établissements de construction et de réparation navales ne constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété qu'à l'égard des salariés de la construction et de réparation navale ayant exercé, dans cet établissement, un métier figurant sur la liste des métiers prévus par l'article 41, 2°, de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998

Texte de la décision

SOC.

FP6



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 février 2024




Cassation


Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 218 F-B


Pourvois n°
W 22-22.233 à S 22-22.275 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 FÉVRIER 2024

1°/ Mme [OP] [NU], domiciliée [Adresse 33],

2°/ M. [W] [D], domicilié [Adresse 13],

3°/ Mme [RD] [D], domiciliée [Adresse 48],

4°/ Mme [VN] [D], domiciliée [Adresse 6],

5°/ Mme [UC] [D], domiciliée [Adresse 3],

6°/ M. [E] [D], domicilié [Adresse 11],

Ces cinq derniers agissant en qualité d'ayants droit de [SR] [D], décédé,


7°/ M. [V] [T], domicilié [Adresse 20],

8°/ M. [SO] [C], domicilié [Adresse 19],

9°/ M. [IP] [B], domicilié [Adresse 34],

10°/ Mme [JH] [L], domiciliée [Adresse 39],

11°/ M. [EV] [L], domicilié [Adresse 39],

12°/ M. [UU] [Z], domicilié [Adresse 32],

13°/ M. [EX] [M], domicilié [Adresse 15],

14°/ M. [WH] [U], domicilié [Adresse 37],

15°/ M. [HC] [Y], domicilié [Adresse 42],

16°/ M. [KD] [F], domicilié [Adresse 22],

17°/ M. [R] [P], domicilié [Adresse 26],

18°/ Mme [JH] [K], domiciliée [Adresse 41],

19°/ Mme [O] [NC], domiciliée [Adresse 23],

20°/ M. [DK] [MI], domicilié [Adresse 46],

21°/ Mme [MK] [TI], domiciliée [Adresse 29],

22°/ M. [AN] [YO], domicilié [Adresse 45],

23°/ M. [VP] [NW], domicilié [Adresse 40],

24°/ M. [RB] [AG], domicilié [Adresse 9],

25°/ M. [BL] [CP], domicilié [Adresse 36],

26°/ M. [WJ] [HW], domicilié [Adresse 18],

27°/ Mme [DI] [BM], domiciliée [Adresse 12],

28°/ M. [VP] [RV], domicilié [Adresse 47],

29°/ M. [LR] [FR], domicilié [Adresse 5],

30°/ M. [H] [PJ], domicilié [Adresse 5],

31°/ M. [J] [PH], domicilié [Adresse 2],

32°/ Mme [S] [KV], domiciliée [Adresse 43],

33°/ M. [GI] [BE], domicilié [Adresse 14],

34°/ M. [XV] [FO], domicilié [Adresse 27],

35°/ M. [SO] [GK], domicilié [Adresse 28],

36°/ M. [LO] [KX], domicilié [Adresse 30] (Belgique),

37°/ M. [A] [ON], domicilié [Adresse 21],

38°/ Mme [CR] [ZI], domiciliée [Adresse 4],

39°/ Mme [X] [ZI], épouse [JJ], domiciliée [Adresse 16],

40°/ Mme [RD] [ZI], domiciliée [Adresse 35],

41°/ M. [DJ] [ZI], domicilié [Adresse 7],

42°/ M. [I] [ZI], domicilié [Adresse 50],

43°/ Mme [NA] [ZI], domiciliée [Adresse 51],

Ces six derniers agissant en qualité d'ayants droit de [AN] [ZI], décédé,

44°/ M. [R] [CS], domicilié [Adresse 10],

45°/ M. [J] [XT], domicilié [Adresse 17],

46°/ M. [WH] [XX], domicilié [Adresse 38],

47°/ Mme [UW] [XX], domiciliée [Adresse 38],

48°/ M. [V] [HE], domicilié [Adresse 24],

49°/ M. [N] [TG], domicilié [Adresse 31],

50°/ M. [XB] [RX], domicilié [Adresse 8],

51°/ M. [KB] [DL], domicilié [Adresse 44],

52°/ M. [UA] [HY], domicilié [Adresse 25],

ont formé respectivement les pourvois n° W 22-22.233, X 22-22.234, Y 22-22.235, Z 22-22.236, A 22-22.237, B 22-22.238, C 22-22.239, D 22-22.240, E 22-22.241, F 22-22.242, H 22-22.243, G 22-22.244, J 22-22.245, K 22-22.246, M 22-22.247, N 22-22.248, P 22-22.249, Q 22-22.250, R 22-22.251, S 22-22.252, T 22-22.253, U 22-22.254, V 22-22.255, W 22-22.256, X 22-22.257, Y 22-22.258, Z 22-22.259, A 22-22.260, B 22-22.261, C 22-22.262, D 22-22.263, E 22-22.264, F 22-22.265, H 22-22.266, G 22-22.267, J 22-22.268, K 22-22.269, M 22-22.270, N 22-22.271, P 22-22.272, Q 22-22.273, R 22-22.274 et S 22-22.275 contre 43 arrêts rendus le 23 octobre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, section A), dans les litiges les opposant :


1°/ à la société Spie Opérations, société par actions simplifiée,

2°/ à la société Spie Enertrans, société par actions simplifiée,

dont leur siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, un moyen commun de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [NU], des cinquante-et-un autres salariés ou de leurs ayants-droit, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Spie Opérations et Spie Enertrans, après débats en l'audience publique du 23 janvier 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Salomon, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 22-22.233 à S 22-22.275 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 23 octobre 2020), [ZG] [G] et quarante-deux autres salariés de la société Spie Batignolles (devenue Spie Opérations) ont exercé leur activité sur le site de [Localité 49], repris par la société Spie Enertrans à compter du 28 juin 1995 puis la société Spie [Localité 49] tuyauterie à compter du 29 juillet 1996.

3. La société Spie Batignolles a été inscrite pour le site de [Localité 49] sur la liste des établissements et métiers de la construction et de la réparation navales ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), par arrêté du 7 juillet 2000, pour la période allant de 1990 à 1996. Cette période a été étendue de 1989 à 1996, par arrêté du 28 septembre 2001.

4. Les sociétés Spie Enertrans et Spie [Localité 49] tuyauterie ont été inscrites pour le site de [Localité 49] sur cette même liste des établissements et métiers de la construction et de la réparation navales ouvrant droit à l'ACAATA par cet arrêté du 28 septembre 2001, pour les périodes respectives allant de 1993 à 2000 pour la société Spie Enertrans, et de 1996 à 2000 pour la société Spie [Localité 49] tuyauterie.

5. Les sociétés Spie Batignolles, Spie Enertrans et Spie [Localité 49] tuyauterie ont été inscrites pour le site de [Localité 49] sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante ouvrant droit à l'ACAATA, par arrêté du 23 octobre 2014, pour les périodes respectives allant de 1968 à 1996 pour la société Spie Batignolles, Spie [Localité 49] tuyauterie, de 1993 à 2001 pour la société Spie Enertrans et de 1996 à 2001 pour la société Spie [Localité 49] tuyauterie.

6. Les salariés et leurs ayants droit ont saisi la juridiction prud'homale le 27 avril 2016 d'une demande en réparation de leur préjudice d'anxiété.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Les salariés et leurs ayants droit font grief aux arrêts de les déclarer irrecevables en leurs demandes alors « que le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété des salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du n° 98-1194 du 23 décembre 1998 court à compter de la publication de l'arrêté portant inscription de l'établissement dans lequel ils étaient employés sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA ; que l'inscription d'un établissement exerçant plusieurs activités sur la liste spécifique des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité ouvre droit à réparation du préjudice d'anxiété des seuls salariés affectés à l'activité navale de l'établissement ; que les salariés de l'établissement affectés à d'autres activités que l'activité navale ne peuvent solliciter la réparation de leur préjudice d'anxiété sur le fondement du régime spécifique résultant de la loi du 23 décembre 1998 qu'à la condition que cet établissement ait également été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA ; que c'est donc à compter de la publication de l'arrêté inscrivant l'établissement sur cette seconde liste que court le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété des salariés qui n'étaient pas affectés à l'activité navale de l'établissement ; que le site de [Localité 49] a fait l'objet, par arrêté du 7 juillet 2000, d'une première inscription sur la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée ; qu'il a ensuite été inscrit, par un arrêté du 23 octobre 2014, sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA ; que c'est dès lors à compter de la publication de l'arrêté du 23 octobre 2014 qu'à commencer à courir le délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété des salariés du site de [Localité 49] qui n'étaient pas affectés aux activités navales de l'établissement ; qu'en retenant que le délai de prescription de l'action en réparation des salariés exposants, qui n'étaient pas affectés à l'activité navale de l'établissement, avait commencé à courir à compter de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000, la cour d'appel a violé l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. Les sociétés Spie opérations et Spie Enertrans contestent la recevabilité du moyen. Elles soutiennent que celui-ci est nouveau et contraire, les salariés ayant, dans leurs conclusions, confirmé leur connaissance, depuis l'arrêté du 7 juillet 2000, de l'utilisation de l'amiante sur le site de [Localité 49], et n'ayant pas soutenu ne pas avoir exercé une fonction en rapport avec l'activité de la construction et de la réparation navales.

9. Cependant, les salariés, dans leurs conclusions, ont rappelé le contenu des arrêtés successifs relatifs au site de [Localité 49], et observé que l'arrêté du 23 octobre 2014 concernait l'ensemble des salariés du site de [Localité 49] tandis que les arrêtés initiaux concernaient exclusivement les salariés affectés à la réparation navale lorsqu'ils avaient exercé un des métiers listés à ce titre.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dans sa rédaction issue de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999, et l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

11. Selon le premier de ces textes, une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :
1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante.
2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans.
3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget.

12. Selon le second de ces textes, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

13. La Cour de cassation juge qu'un salarié bénéficiaire de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a connaissance du risque à l'origine de son anxiété à compter de l'arrêté ministériel ayant inscrit l'établissement sur la liste permettant la mise en oeuvre de ce régime légal spécifique (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-15.396, publié).

14. Il en résulte que la publication d'un arrêté d'inscription d'un établissement sur la liste des établissements de construction et de réparation navales ne constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété qu'à l'égard des salariés de la construction et de réparation navale ayant exercé, dans cet établissement, un métier figurant sur la liste des métiers prévus par l'article 41 2° de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.

15. Pour déclarer les salariés irrecevables en leur demande en réparation du préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que l'établissement de [Localité 49] a été inscrit le 3 juillet 2000 sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime de l'ACAATA, que cet arrêté concerne l'ensemble du site de [Localité 49], qu'aucune limitation n'y est mentionnée, et que l'arrêté du 23 octobre 2014 n'a fait que changer la dénomination de l'activité des établissements.

16. L'arrêt ajoute que c'est à compter de la publication de cet arrêté au Journal officiel le 7 juillet 2000 que les salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de leur anxiété et qu'a débuté le délai de prescription.

17. En statuant ainsi, alors que l'établissement de [Localité 49] n'a été inscrit pour la première fois sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante que par arrêté du 23 octobre 2014, date à laquelle les salariés de l'établissement qui ne relevaient pas des métiers de la construction et de la réparation navales figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 ont eu connaissance du risque à l'origine de leur anxiété, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 23 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;

Condamne les sociétés Spie Opérations et Spie Enertrans aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Spie Opérations et Spie Enertrans et les condamne à payer à Mme [IN], MM. [W] et [E] [D], Mmes [RD], [VN] et [UC] [D], MM. [T], [B], Mme [L], MM. [L], [Z], [M], [U], [Y], [F], [P], Mmes [K], [NC], M. [MI], Mme [TI], MM. [YO], [NW], [AG], [CP], [HW], Mme [BM], MM. [RV], [FR], [PJ], [PH], Mme [KV], MM. [BE], [FO], [GK], [KX], [ON], Mmes [CR], [X], [RD], [NA] [ZI] et MM. [I] et [DJ] [ZI], MM. [CS], [XT], [XX], Mme [XX], MM. [HE], [TG], [RX], [DL] et [HY], la somme globale de 3 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille vingt-quatre.

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