27 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-81.061

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CR00108

Titres et sommaires

UNION EUROPEENNE

Texte de la décision

N° K 23-81.061 FS-B

N° 00108


ODVS
27 FÉVRIER 2024


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 FÉVRIER 2024



M. [U] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 26 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [U] [I], et les conclusions de M. Auber, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 9 janvier 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mmes Ingall-Montagnier, Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les investigations de géolocalisation et interception réalisées notamment sur une ligne téléphonique et des véhicules utilisés par M. [U] [I] ont révélé sa possible implication dans des collectes d'argent en relation avec un trafic de produits stupéfiants.

3. M. [I] a été mis en examen des chefs susvisés.

4. Il a déposé devant la chambre de l'instruction deux requêtes en annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des réquisitions adressées aux établissements et organismes privés de téléphonie, et de la procédure subséquente, alors :

« 1°/ que le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier ou l'agent de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique ; qu'aux termes du procès-verbal d'investigation établi le 20 avril 2021, les enquêteurs de la section de recherches de [Localité 2] ont indiqué que « M. [D] [Z] [vice-procureur de la République] nous autorise à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire » ; que pour juger que l'omission dans la mention établie par l'enquêteur de ce que l'autorisation du procureur de la République porte également sur les réquisitions pouvant être adressées à des organismes privés n'apparaît résulter que d'une erreur matérielle de sa part et ne fait pas douter de ce que l'autorisation du procureur de la République portait également sur de tels organismes privés (arrêt attaqué, p. 10, 3ème §), la Chambre de l'instruction a retenu qu' « il résulte de la procédure, d'une part, qu'aucune réquisition n'a été adressée à un organisme public, hormis la PNIJ qui ne sert toutefois que de support technique informatique et dont l'utilisation est soumise à un régime particulier et, d'autre part, qu'il a été donné l'autorisation d'utilisation de logiciels de rapprochement judiciaire prévue à l'article 230-20 du code de procédure pénale qui ne distingue pas davantage l'exploitation des données issues d'un organisme privé ou public, l'enquêteur n'ayant par ailleurs adressés de réquisitions qu'à des organismes privés, ce que la nature des informations dont il disposait commandait », de sorte qu'il « ne se comprendrait (…) pas que l'autorisation donnée par le procureur de la République n'ait porté précisément que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur, sur l'autorisation qu'il a relatée, n'ait adressé que des réquisitions à des organismes privés » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'erreur matérielle dont serait entaché le procès-verbal d'investigations du 20 avril 2021, lequel mentionnait exclusivement l'autorisation de procéder « à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire », la Chambre de l'instruction a violé l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ qu'aux termes du procès-verbal d'investigation établi le 20 avril 2021, les enquêteurs de la section de recherches de [Localité 2] ont indiqué que « M. [D] [Z] [vice-procureur de la République] nous autorise à toutes réquisitions à des organismes publics ainsi que le recours au logiciel de rapprochement judiciaire » ; qu'en énonçant que l'omission dans la mention établie par l'enquêteur de ce que l'autorisation du procureur de la République porte également sur les réquisitions pouvant être adressées à des organismes privés n'apparaît résulter que d'une erreur matérielle de sa part et ne fait pas douter de ce que l'autorisation du procureur de la République portait également sur de tels organismes privés (arrêt attaqué, p. 10, 3ème §), et qu'il « ne se comprendrait pas (…) que l'autorisation donnée par le procureur de la République n'ait porté précisément que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur, sur l'autorisation qu'il a relatée, n'ait adressé que des réquisitions à des organismes privés », la Chambre de l'instruction a dénaturé les pièces du dossier et en particulier le procès-verbal d'investigation du 20 avril 2021, et violé les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ enfin, qu'en énonçant que « l'absence d'autorisation du procureur de la République précisément mentionnée, s'agissant des réquisitions à des organismes privés, n'exclut pas, en l'espèce, son existence », quand il incombait au ministère public de rapporter la preuve de l'existence de l'autorisation qui aurait été donnée aux services d'enquête , la Chambre de l'instruction a inversé la charge de la preuve et encore violé l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter le moyen de nullité pris de ce que les enquêteurs ont adressé des réquisitions à des établissements et organismes privés alors que le procureur de la République n'avait autorisé celles-ci qu'auprès d'organismes publics, l'arrêt attaqué énonce qu'il ne fait pas de doute que l'autorisation portait également sur des organismes privés et que l'omission d'une telle mention sur le procès-verbal constitue une erreur matérielle de l'enquêteur qui l'a rédigé.

7. Les juges retiennent à cet effet, d'une part, que les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, dans leur rédaction alors applicable, n'opèrent aucune différence de régime entre organismes privés et publics, d'autre part, que l'enquêteur n'a adressé de réquisitions qu'à des organismes privés, ce que la nature des informations dont il disposait commandait, à la seule exception de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires, organisme public qui ne sert que de support technique informatique et dont l'utilisation est soumise à un régime particulier et, enfin, qu'une autorisation avait été donnée d'utiliser les logiciels de rapprochement judiciaire prévus à l'article 230-20 du code de procédure pénale, lequel ne distingue pas davantage l'exploitation des données selon qu'elles sont issues d'un organisme privé ou public.

8. Ils en déduisent qu'il serait incompréhensible que l'autorisation accordée n'ait porté que sur des réquisitions sans objet et inutiles à destination d'organisme publics et que l'enquêteur ait, sur le fondement de cette autorisation, adressé des réquisitions uniquement à des organismes privés.

9. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction, qui n'a ni dénaturé le procès-verbal soumis à son examen ni renversé la charge de la preuve de l'existence de l'autorisation requise, a justifié sa décision.

10. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des interceptions téléphoniques effectuées, et de la procédure subséquente, alors :

« 1°/ que si les nécessités de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire relative à l'une des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73 et 706-73-1 l'exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire peut, à la requête du procureur de la République, autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des communications électroniques selon les modalités prévues aux deuxième et dernier alinéas de l'article 100 ainsi qu'aux articles 100-1 et 100-3 à 100-7, pour une durée maximum d'un mois, renouvelable une fois dans les mêmes conditions de forme et de durée ; que ces opérations sont faites sous le contrôle du juge des libertés et de la détention ; que M. [I] faisait valoir que les opérations d'interception s'étaient achevées au plus tard le 27 juillet 2021, et que l'information judiciaire avait été ouverte le 24 août suivant, mais qu'il n'existait aucun acte de la procédure qui permettrait d'établir que le procureur de la République, voire les enquêteurs, avaient informé le juge des libertés et de la détention des actes accomplis en exécution de l'autorisation d'interception délivrée le 24 avril 2021, de sorte qu'aucun contrôle effectif n'avait pu être exercé par ce magistrat ; que pour écarter ce moyen de nullité, la Chambre de l'instruction a retenu que M. [I] ne justifiait d'aucun grief dans la mesure où l'autorisation d'interception n'avait pas été dépassée et avait été régulièrement exécutée, et que les actes en cause avaient été soumis au contrôle du juge d'instruction, saisi de la poursuite des investigations (arrêt, p. 11-12) ; qu'en statuant de la sorte, la Chambre de l'instruction, qui a subordonné la nullité des actes pris en violation de l'article 706-95, alinéa 4, du code de procédure pénale à la démonstration d'un grief distinct de la méconnaissance de ce texte, quand il n'était pas établi par les pièces de la procédure que les procès-verbaux de retranscription et d'exécution des mesures d'investigations, rédigés entre le 19 mai et le 27 juillet 2021, pour être joints à un seul et même bordereau d'envoi, non daté ni signé, avaient été porté à la connaissance du juge des libertés et de la détention, de sorte que ces mesures attentatoires à la liberté individuelle avaient pu perdurer sans contrôle par un magistrat indépendant, la Chambre de l'instruction a violé les articles 706-95, 100-4 et 100-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ en outre, qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre au chef péremptoire des conclusions de M. [I] qui faisait valoir (son mémoire devant la Chambre de l'instruction, p. 14), que le grief résultant de la violation de l'article 706-95, alinéa 4, du code de procédure pénale était matérialisé par la prolongation de la mesure litigieuse, sans que le juge l'ayant accordée n'ait pu avoir connaissance de ces actes et en apprécier le caractère nécessaire et proportionné au regard de la protection des libertés individuelles, la Chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale, et privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-95 du même code, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

12. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'absence de contrôle effectif du juge des libertés et de la détention sur l'interception, qu'il a autorisée, de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01] utilisée par M. [I], l'arrêt attaqué énonce que l'alinéa 4 de l'article 706-95 du code de procédure pénale exige que ce magistrat soit informé notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation.

13. Ils ajoutent que la circonstance que tel n'a pas été le cas en l'espèce n'est pas de nature à faire grief à M. [I], dès lors que les actes en cause ont été soumis au contrôle du juge d'instruction saisi de la poursuite des investigations qui aurait pu saisir la chambre de l'instruction s'il avait considéré que l'interception était frappée de nullité, ce qu'il n'a pas fait.

14. Ils relèvent également qu'aucune irrégularité de l'interception n'est par ailleurs soulevée ou constituée et que ni l'article 100-5 ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne font obligation aux officiers de police judiciaire de recueillir l'autorisation du juge des libertés et de la détention préalablement à la transcription d'interceptions utiles à la manifestation de la vérité révélant des faits susceptibles d'être qualifiés pénalement.

15. C'est à tort que, pour écarter tout grief, l'arrêt s'est fondé sur le contrôle ultérieur du juge d'instruction, dès lors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que ce juge, ni précédemment le juge des libertés et de la détention, aurait été informé sans délai des actes accomplis sur le fondement de l'autorisation de prolongation.

16. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

17. En effet, d'une part, la nullité n'est encourue, en application des articles 173 et 802 du code de procédure pénale, que si le demandeur établit que l'inobservation de la formalité précitée a eu pour effet de porter atteinte à ses intérêts.

18. D'autre part, le demandeur s'est borné, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, à invoquer de manière abstraite l'absence de contrôle de la proportionnalité de la seule prolongation des interceptions par le juge des libertés et de la détention, sans préciser en quoi cette mesure aurait revêtu un caractère disproportionné.

19. Dès lors, le moyen, inopérant en sa seconde branche, doit être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation de l'autorisation de poursuite des investigations, et de la procédure subséquente, alors « que lorsqu'il requiert l'ouverture d'une information, le procureur de la République peut, si la recherche de la manifestation de la vérité pour un crime ou un délit puni d'une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement nécessite que les investigations en cours ne fassent l'objet d'aucune interruption, autoriser les officiers et agents de police judiciaire des services ou unités de police judiciaire qui étaient chargés de l'enquête à poursuivre les opérations prévues aux articles 706-95, 230-32 à 230-35, 706-80, 706-81, 706-95-1, 706-95-20, 706-96 et 706-102-1 pendant une durée ne pouvant excéder quarante-huit heures à compter de la délivrance du réquisitoire introductif ; que cette autorisation fait l'objet d'une décision écrite, spéciale et motivée, qui mentionne les actes dont la poursuite a été autorisée ; qu'en l'espèce, M. [I] faisait valoir (son mémoire devant la Chambre de l'instruction, p. 15-16) que l'autorisation de poursuite des investigations prise par le vice-procureur de la République se bornait à indiquer que « la recherche de la manifestation de la vérité nécessite que les investigations en cours ne fassent l'objet d'aucune interruption, en ce que l'enquête préliminaire a démontré une activité ayant toutes les apparences de collecte de somme d'argent et d'exportation vers l'Espagne quasi-continue et régulière depuis plusieurs mois », sans que cette autorisation ne soit spécialement motivée au regard des actes de poursuite autorisés ; qu'en se bornant à retenir qu' « une telle motivation répond aux exigences de l'article 80-5 dès lors qu'il en résulte que l'infraction s'était commise sur une longue période de temps et se poursuivait encore. Par ailleurs, l'article 80-5 susvisé, en permettant cette autorisation pour les crimes et délits punis d'une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement, n'induit pas de contrôle de la proportionnalité de la mesure au regard de la gravité de l'infraction, pourvu que cette condition légale, comme en l'espèce, soit remplie, les faits de blanchiment aggravé et de participation à une association de malfaiteurs visés au réquisitoire introductif étant punis d'une peine de dix ans d'emprisonnement » (arrêt, p. 12-13), la Chambre de l'instruction, qui a ainsi apprécié le respect de l'exigence de motivation spéciale au regard de la nécessité du principe même de la poursuite des investigations, non sur la justification de poursuivre chacune des mesures d'investigation en cause, en particulier en considération de leur nécessité et de leur proportionnalité, a violé l'article 80-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »



Réponse de la Cour

21. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'absence d'une décision écrite et motivée du procureur de la République relative à la poursuite, en début d'information judiciaire, de la géolocalisation de la ligne téléphonique et de deux véhicules utilisés par M. [I] diligentée durant l'enquête préliminaire, l'arrêt attaqué énonce que ce magistrat a autorisé les officiers de police judiciaire à poursuivre cette mesure au motif que la recherche de la manifestation de la vérité nécessitait qu'elle ne fasse l'objet d'aucune interruption, l'enquête préliminaire ayant révélé, d'une part, une activité apparente de collecte et d'exportation régulières de sommes d'argent depuis plusieurs mois vers l'Espagne, d'autre part, les liens de l'une des principales personnes qui y participaient avec des trafiquants de stupéfiants.

22. La chambre de l'instruction en conclut que cette motivation répond aux exigences de l'article 80-5 du code de procédure pénale, dès lors qu'il en résulte que l'infraction avait été commise sur une longue période de temps et se poursuivait encore.

23. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction qui, ayant estimé que les mesures ordonnées au stade de l'enquête préliminaire étaient nécessaires et proportionnées, n'avait à se prononcer que sur la nécessité qu'elles ne fassent l'objet d'aucune interruption au moment de l'ouverture de l'information, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

24. En effet, l'article 80-5 du code de procédure pénale selon lequel la décision du ministère public doit être écrite, spéciale, motivée et mentionner les actes dont elle autorise la poursuite, n'exige pas que chacun de ces actes fasse l'objet d'une motivation distincte, les motifs pouvant leur être communs.

25. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [I] tendant à l'annulation des décisions autorisant les mesures de géolocalisation au cours de l'enquête préliminaire, et de la procédure subséquente, alors « qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, Prokuratuur, 2 mars 2021 (C-746/18K), que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale ; qu'en jugeant, pour rejeter le moyen de nullité des décisions autorisant les mesures de géolocalisation au cours de l'enquête préliminaire, la Chambre de l'instruction a retenu que les dispositions de l'article 230-33 du code de procédure pénale n'étaient pas contraires à ces exigences, dès lors qu'il a été mis fin à l'enquête par le ministère public en saisissant par réquisitoire introductif un juge d'instruction, perdant ainsi tant la direction de l'enquête que le pouvoir de saisir une juridiction de jugement qui appartiennent alors aux seuls magistrats du siège, la Cour de justice n'exigeant pas que le contrôle par une autorité indépendante soit, en ce cas, préalable, et qui permet ainsi nécessairement le contrôle par un magistrat indépendant des données à caractère personnel prévu au 3 de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux et n'exigeant seulement que le ministère public lorsqu'il donne l'autorisation ne soit pas ensuite la seule autorité de poursuite (arrêt, p. 11, 3ème §) ; qu'en statuant de la sorte, quand le ministère public, ayant donné l'autorisation litigieuse, et ayant établi le réquisitoire introductif qui constitue un acte de poursuite, ne saurait être considéré comme une autorité indépendante, la Chambre de l'instruction a violé l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ensemble les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le grief relatif à la géolocalisation de deux véhicules

27. Il résulte des articles 1er et 2 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 modifiée, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, que ses dispositions s'appliquent aux seuls opérateurs de services de communications électroniques accessibles au public. Il s'ensuit que la géolocalisation d'un véhicule ne rentre pas dans son champ d'application.

28. Par conséquent, le moyen en ce qu'il vise la géolocalisation de véhicules est inopérant.

Mais sur le grief relatif à la géolocalisation d'une ligne téléphonique

Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

29. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge que la mise en œuvre d'une mesure autorisant le recueil en temps réel des données relatives à la localisation doit être soumise à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, cette juridiction ou cette entité devant notamment s'assurer qu'un tel recueil en temps réel n'est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire. En cas d'urgence dûment justifiée, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais (CJUE, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, e.a., French Data Network e.a., C-511/18, C-512/18, C-520/18, § 179).

30. Selon cette juridiction, ne constitue pas une telle autorité le ministère public, qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique (CJUE, arrêt du 2 mars 2021,H.K./Prokuratuur, C-746/18).

31. La Cour de cassation en a déduit que les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale, dans leur rédaction alors applicable, sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils permettent au procureur de la République, à un officier de police judiciaire ou à un agent de police judiciaire d'accéder aux données de trafic et de localisation conservées par les opérateurs de télécommunications sans contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).

32. Elle a également jugé, dans le même arrêt, que, lorsqu'un demandeur ayant qualité pour agir allègue un grief pris d'une méconnaissance du droit de l'Union, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher s'il est établi. Un tel grief n'est caractérisé que lorsque l'accès à ces données n'a pas été circonscrit à une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.

33. Les principes ainsi dégagés sont applicables à une mesure de géolocalisation en temps réel d'une ligne téléphonique autorisée par le procureur de la République, dès lors que, pour les motifs exposés au paragraphe 27 cette mesure entre dans le champ de la directive 2002/58/CE précitée.


34. Par conséquent, sont contraires au droit de l'Union les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, en ce qu'ils autorisent le procureur de la République à ordonner une mesure de géolocalisation d'une ligne téléphonique qui permet à des enquêteurs d'accéder en temps réel aux données de localisation de celle-ci, sans contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante.

35. La nullité n'est encourue que si le requérant établit un grief tel que défini au paragraphe 32.

36. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité de la mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01] utilisée par le requérant, autorisée par le procureur de la République sur le fondement des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, l'arrêt attaqué énonce en substance que le droit de l'Union, tel qu'interprété par la CJUE, ne s'oppose pas à une telle mesure ordonnée au cours d'une enquête préliminaire, dès lors que le ministère public y met fin en saisissant un juge d'instruction, perdant ainsi tant la direction de l'enquête que le pouvoir de saisir une juridiction de jugement, qui appartiennent alors aux seuls magistrats du siège.

37. Les juges ajoutent que la CJUE n'exige pas que le contrôle par une autorité indépendante soit, dans un tel cas, préalable, mais qu'elle exige seulement que le ministère public, lorsqu'il donne l'autorisation, ne soit pas ensuite la seule autorité de poursuite.

38. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

39. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

40. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives au moyen de nullité concernant la mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 décembre 2022, mais seulement en ce qu'il a prononcé sur le moyen de nullité concernant la mesure de géolocalisation de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-quatre.

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