14 février 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/03370

Pôle 6 - Chambre 3

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 14 FEVRIER 2024



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03370 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDQHX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Janvier 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 20/00129















APPELANTES



Association AGS CGEA de [Localité 5], représentée par sa Directrice, dûment habilitée [V] [C],

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Claude-marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953





la SCP ANGEL ' [N] - DUVAL ès qualitès de Mandataire Ad Hoc de la société SEF INDUSTRIE ' prise en la personne de Me [N]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX









INTIMES



Monsieur [J] [S]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté par Me Véronique MEURIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1275

























COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne MÉNARD, présidente

Véronique MARMORAT, présidente

Roselyne NEMOZ, magistrate honoraire





Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC









ARRET :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Anne MENARD, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.










EXPOSE DU LITIGE



Monsieur [S] a été engagé par la société SEF industrie le 20 février 2009, qui oeuvre dans le domaine de l'équipement électronique, en qualité de directeur industriel et recherche/développement.



Il a été licencié le 28 décembre 2018 pour faute lourde, l'employeur lui reprochant d'avoir créé une société concurrente, d'avoir incité d'autres salariés à le rejoindre, et d'avoir détourné la clientèle de son employeur.



Le 4 novembre 2019, la société SEF Industrie a été placée en redressement judiciaire, et sa liquidation a été prononcée le 3 février 2020, la SCP Angel et [N], prise en la personne de maître [N], ayant été désignée en qualité de mandataire liquidateur.



Monsieur [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 24 février 2020.



Par jugement en date du 21 janvier 2021, le conseil a fixé la créance de monsieur [S] au passif de la liquidation judiciaire aux sommes suivantes :


30.990 euros à titre d'indemnité de préavis ;

3.099 euros au titre des congés payés afférents ;

30.990 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

3.247,61 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire ;

324,76 euros au titre des congés payés afférents;

47.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.




L'AGS CGEA de [Localité 5] a interjeté appel de cette décision le 1er avril 2021 et la SCP SCP Angel et [N], prise en la personne de maître [N] en a interjeté appel le 13 avril 2021.



Par conclusions récapitulatives du 7 mai 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, elle demande à la cour d'infirmer le jugement et de débouter monsieur [S] de ses demandes.



Par conclusions récapitulatives du 15 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, maître [N], en qualité de mandataire ad'hoc après la clôture des opération de liquidation pour insuffisance d'actif, demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter monsieur [S] de ses demandes, et de le condamner au paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et à celle de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions récapitulatives du 13 novembre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [S] demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts du mandataire liquidateur, de confirmer le jugement, sauf sur les intérêts, et de dire que les condamnations porteront intérêts entre le 20 février et le 4 novembre 2019.



La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.










MOTIFS



- Sur la recevabilité de l'appel incident



Monsieur [S] soutient que l'appel n'ayant pas été interjeté contre le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par le mandataire liquidateur, ce dernier est irrecevable dans sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.



Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile "L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible".



En l'espèce, ni l' AGS, ni le mandataire judiciaire, appelants principaux par déclarations des 1er et 13 avril 2021, n'ont déféré à la cour la critique du jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts par le salarié au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.



Ce chef de demande n'a donc pas été dévolu à la cour.





- Sur le licenciement



La faute lourde est constituée lorsqu'elle est exceptionnellement grave et qu'elle est commise avec une intention de nuire à l'employeur.



Outre les éléments caractéristiques de la faute grave, les faits invoqués doivent être sanctionnés dans un bref délai, la faute lourde suppose l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, intention qui doit être appréciée strictement et résulter d'éléments objectifs.



La preuve des faits constitutifs de faute lourde incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, d'une gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise et s'il procèdent d'une intention de nuire.



En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :



'Nous avons découvert, le 7 décembre 2018, dans un journal d'annonces légales du Bas Rhin, la clôture de la dissolution anticipée d'une société à responsabilité limitée dénommée Inelsys, ayant son siège social au [Adresse 1], soit au domicile de l'un de nos salariés, monsieur [L] [M], et ayant pour liquidateur amiable monsieur [T] [D], par ailleurs associé gérant d'une autre société à responsabilité limitée, concurrente de SEF Industrie, EPL. Les apports en numéraire constituant le capital société d'Inelsys ont, quant à eux, été déposés à une agence du crédit agricole de Seine et Marne, autrement dit dans le département du domicile de trois associés sur quatre et plus précisément dans la commune du siège sociale D'EPL.

Nous ne vous cachons pas notre profonde consternation d'apprendre que vous avez ainsi constitué en 2015, à notre insu, cette société Inelsys, directement concurrente de SEF Industrie, pour laquelle vous travaillez à temps plein en qualité de directeur recherche et développement.

Vous avez même incité deux autres technico commerciaux de l'entreprise, savoir monsieur [L] [M] et monsieur [I] [F], ancien salarié de SEF Industrie depuis avril 2018, mais toujours actionnaire de notre société comme vous ne saurez l'ignorer, à entrer dans le capital d'Inelsys, constituant délibérément un acte de déloyauté prémédité et inqualifiable de la part d'un cadre qui, au fil du temps, est devenu un véritable chef projet de nombreux dossiers de R et D et par conséquent une pierre angulaire entre nos clients et l'entreprise.

L'objet social d'Inelsys étant, en tous points, identique à l'objet social de SEF Industrie, vous avez violé, sans vergogne, vos obligations contractuelles de discrétion, de confidentialité, et d'engagement de travail exclusif pour le compte de notre société, faisant fi, avec impertinence et totale mauvaise foi, de votre engagement de l'exercer aucune autre activité concurrentielle de celle de SEF Industrie, et ce, sous quelque forme que ce soit.

Ces agissements frauduleux sont constitutifs d'un véritable abus de confiance intolérable au regard de vos fonctions de directeur R et C de Sef Industrie.

Non seulement vous avez détourné des clients existants et potentiels de SEF Industrie au profit d'Inelsys, mais vous avez eu, au surplus, l'outrecuidance de dissuader la clientèle de contracter avec notre société pour favoriser des tiers, concurrents de notre société, tels Inelsys et/ou EPL, basée à [Localité 8], en basculant sur monsieur [T] [D], associé et liquidateur amiable d'Inelsys, mais surtout gérant-associé d' EPL, des produits, propriété de notre société, tels les tubes LED destinés à équiper les rames de métro.

De votre propre aveu, lors de l'entretien, vous avez reconnu être 'partie prenante' pour aider EPL 'à se mettre en avant techniquement et commercialement' en trahissant, avec désinvolture, votre employeur par la divulgation de résultats d'essais du produit, des notes et cahier des charges établis par le bureau d'études de SEF Industrie pour répondre à la norme définie par notre client, RATP.

Plus grave encore, vous avez profité de vos fonctions au sein de notre société pour utiliser à des fins personnelles les documents et moyens TIC mis à votre disposition et appartenant à SEF Industrie pour participer activement au détournement d'un client, voire plusieurs, de notre société.

Par ce procédé déloyal, que vous n'avez pas démenti, vous n'avez pas hésité à dénigrer SEF Industrie auprès de notre client RATP, pour placer et favoriser votre associé monsieur [T] [D], au travers de EPL, sur les tubes LED, alors que nous travaillons sur ce projet depuis 2015 avec une validation exclusive de l'homologation suivant la norme définie par notre client. En divulguant à des tiers notre savoir-faire industriel et commercial tout comme nos documents vous avez lourdement failli aux obligations découlant de votre contrat de travail.

Votre sens de la manipulation tant des salariés de SEF Industrie que de nos clients nous cause un préjudice indéniable, voire un trouble manifestement illicite, que nous ne pouvons tolérer.

D'ailleurs, pour masquer vos agissement délictueux, vous n'avez opéré aucun archivage de dossier d'études, notamment sous-traité, sur le serveur informatique de SEF Industrie: mais vous vous êtes, en revanche, empressé de supprimer tout l'historique de la boîte mail professionnelle chez notre hébergeur 'online.net', nous interdisant l'accès aux dossiers et fichiers informatiques, appartenant à l'entreprise, stockés sur votre ordinateur.

Par ces agissements d'une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à SEF Industrie.

Nous considérons que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise (...)'.



Monsieur [S] conteste la totalité de ces griefs.



Il fait valoir en premier lieu qu'il n'a jamais travaillé pour la société Inelsys, étant seulement associé, et qu'ainsi, il n'a pas contrevenu aux termes de son contrat de travail par lesquels il s'engage à travailler exclusivement pour son employeur.



Il revient sur les rapports entre la société SEF Industrie et la société EPL concept, dirigée par monsieur [D]. Il expose que la société EPL Concept a collaboré dès 2011 avec la société SEF industrie, et lui a notamment permis d'obtenir des marchés important au moyen de la technologie LED qu'elle développait ; qu'il existait donc une collaboration entre les deux sociétés depuis de nombreuses années, et que s'il a existé une situation de conflit, elle concerne uniquement les dirigeants des deux sociétés, sans qu'il ait reçu d'information à cet égard.



Il affirme que c'est dans le cadre de ce partenariat, la société SEF Industrie assurant l'électronique et la société EPL Concept étant spécialisée dans l'éclairage LED, qu'on eu lieu les échanges produits par l'employeur, notamment dans le cadre du dossier de la RATP.



*



L'article 7 du contrat de travail est rédigé dans les termes suivants :



'Monsieur [J] [S] s'engage à observer la discrétion la plus stricte sur les informations se rapportant aux activités de la société auxquelles il aura accès à l'occasion et dans le cadre de ses fonctions (...).

Il s'engage de plus à travailler exclusivement pour la société SEF Industrie, et à l'exercer aucune activité concurrente de celle de la société pendant toute la durée de son contrat de travail'.



Il est constant que monsieur [S] a créé le 1er octobre 2015, la société Inelsys avec trois autres associés : deux salariés de la société SEF, et le gérant de la société EPL Concept, monsieur [D].



La société Inelsys a un objet social similaire à celui de la société SEF Industrie, et la société EPL concept intervient dans le même secteur d'activité. Il n'est pas contesté que monsieur [S], non plus que ses associés, n'ont jamais avisé l'employeur de la détention de ces parts sociales.



Le fait que la société EPL Concept ait pu intervenir dans différents dossiers en qualité de sous traitante de la société SEF Industrie ne retire rien au fait qu'il s'agit d'une entreprise concurrente, qui intervenant dans le même secteur d'activité cherche nécessairement à obtenir personnellement les marchés, plutôt que de les avoir en sous-traitance, de manière nécessairement moins lucrative.



Le seul fait d'avoir créé avec des salariés et concurrents de son employeur une société ayant la même activité sur le même secteur d'activité constitue l'exercice d'une activité concurrente, en violation du contrat de travail.



Par ailleurs l'attestation, particulièrement circonstanciée, de monsieur [R], qui relate différents points non repris par la lettre de licenciement, tels que le dénigrement de l'entreprise, indique aussi qu'il a été démarché par monsieur [S] en vue de la création d'une société concurrente, alors qu'il venait seulement d'être recruté, afin de 'siphonner' le portefeuille clients de son employeur. Ce projet était concomitant à la liquidation amiable de la société Inelsys. Si la création de cette seconde société ne fait pas partie des griefs visés par la lettre de licenciement, il corrobore toutefois les éléments du dossier, venant étayer l'existence d'un comportement déloyal de monsieur [S].



Monsieur [R] décrit aussi les agissements de monsieur [S] dans le cadre du projet RATP, cette fois directement visés par la lettre de licenciement. Il confirme que la société EPL Concept avait bien été par le passé sous traitante de la société SEF Industrie, les deux sociétés ayant développé ensemble un produit répondant aux exigences de la RATP. Mais il indique aussi que monsieur [S] a oeuvré pour permettre à la société EPL de conserver le monopole dans le projet RATP, nonobstant l'intervention d'une autre société Minilampe comme partenaire potentiel pour répondre à l'appel d'offre.



Ces éléments sont confirmés par les échanges de mails versés aux débats, par lesquels notamment monsieur [S] prend en charge la certification des tubes LED fabriqués par EPL Concept afin de permettre d'en lancer le développement dans le dossier RATP, ce qui ne relevait manifestement pas de ses attributions en qualité de salarié de SEF Industrie.



Dans un échanges du 9 février 2017 adressé au gestionnaire du projet pour la RATP, il met en copie ses trois associés dans la société Inelsys, et encore devant la cour il ne donne aucune explication sur leur présence dans cet échange.



Il a ainsi agi au bénéfice d'une société concurrente, dirigée par l'un de ses associés dans la société Inelsys, ce qui constitue un comportement déloyal, caractérisant une faute grave en ce qu'elle rendait nécessaire la rupture immédiate du contrat de travail.



Il n'est en revanche pas établi que ces démarches aient eu pour objet ou même pour effet de porter préjudice à son employeur, de sorte que la faute lourde ne sera pas retenue.



Le licenciement pour faute grave prive le salariés de son préavis, de l'indemnité de licenciement, du paiement de la mise à pied conservatoire et de toute indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que monsieur [S] sera débouté de toutes ses demandes.





PAR CES MOTIFS









La cour,



Dit que la cour n'est pas valablement saisie de la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;



Infirme le jugement ;



Déboute monsieur [S] de toutes ses demandes.



Vu l'article 700 du code de procédure civile,



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;



Condamne monsieur [S] aux dépens de première instance et d'appel.





Le greffier La présidente

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