14 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-11.654

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00089

Titres et sommaires

BANQUE - Paiement - Instrument de paiement - Utilisation frauduleuse par un tiers - Responsabilité des prestataires de services de paiement - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Virements réalisés dans une devise autre que l'euro

Il résulte des dispositions de l'article L. 133-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, que des virements, réalisés en juillet 2016 dans une devise autre que l'euro ou une devise d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui n'appartient pas à la zone euro, ne relèvent pas du régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu au code monétaire et financier, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être engagée que sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle

BANQUE - Responsabilité - Virement - Droit commun - Cas - Virements réalisés dans une devise autre que l'euro

Texte de la décision

COMM.

SMSG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 février 2024




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 89 F-B

Pourvoi n° X 22-11.654




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 FÉVRIER 2024

La société Jirlec, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 22-11.654 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Banque française commerciale océan indien, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Jirlec, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Banque française commerciale océan indien, après débats en l'audience publique du 19 décembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 10 novembre 2021), en juillet 2016, la société Jirlec a donné instruction à la société Banque française commerciale Océan Indien (la banque) de procéder à trois virements libellés en dollars américains (USD) afin de payer le solde de factures émises par des fournisseurs.

2. La société Jirlec a, par la suite, constaté qu'un tiers avait frauduleusement accédé à son système de messagerie électronique et que les virements avaient été faits à destination de comptes n'appartenant pas à ses fournisseurs, en exécution de courriels adressés par des tiers ayant usurpé l'identité de ses interlocuteurs habituels.

3. La banque ne lui ayant restitué que la partie des fonds transférés retournée par l'établissement bancaire de l'un des destinataires après la découverte des agissements frauduleux, la société Jirlec l'a assignée en paiement en invoquant un manquement à son obligation de vigilance et de surveillance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Jirlec fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la banque, alors « qu'un établissement de crédit est tenu d'un devoir de vigilance dans le traitement des ordres de virement de son client et doit ainsi, en présence d'anomalies apparentes, prendre toute précaution utile et alerter son client afin de procéder à des vérifications auprès de lui ; que, par ses dernières écritures d'appel, la société Jirlec, victime d'un piratage informatique ayant permis à son auteur de lui réclamer paiement de sommes dues à trois de ses fournisseurs asiatiques habituels par le biais d'adresses électroniques quasi-identiques à celles desdits fournisseurs, avait fait valoir que la banque, compte tenu de la connaissance par la banque de la pratique commerciale de la société Jirlec – pratique consistant à régler à ses fournisseurs un acompte, puis le solde du prix des achats effectués auprès d'eux –, et de l'indication des factures à régler dans les ordres de virement, avait manqué à son devoir de vigilance pour n'avoir pas avisé cette société des anomalies apparentes que constituaient les différences, pour chacun des trois virements litigieux, effectués dans un même laps de temps, entre l'identité et l'adresse de la société bénéficiaire du paiement de l'acompte dû pour les achats concernés et celles de la société bénéficiaire des virements litigieux, au titre du solde du prix de ces achats, ainsi que le changement dans ce même bref laps de temps des coordonnées bancaires des trois fournisseurs, certaines se rapportant à des comptes mentionnés expressément comme étant "offshore" ; qu'en se bornant néanmoins, pour écarter, s'agissant des virements concernés, tout manquement de la banque à son devoir de vigilance, à retenir l'absence de caractère inhabituel d'opérations faites à destination de nouveaux fournisseurs asiatiques ou de caractère exceptionnel du montant de ces opérations, sans rechercher, comme l'y avait pourtant invitée la société Jirlec, si les différences d'identité et d'adresse des sociétés réglées au titre de l'acompte et du solde du prix des achats, ainsi que le changement de coordonnées bancaires renvoyant pour certaines à des comptes "offshore", ne constituaient pas des anomalies apparentes dont la banque aurait dû l'aviser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Les virements litigieux ayant été réalisés en juillet 2016 dans une devise autre que l'euro ou une devise d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen qui n'appartient pas à la zone euro, il résulte des dispositions de l'article L. 133-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, applicable ratione temporis que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu au code monétaire et financier n'est pas applicable, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être engagée que sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle.

6. L'arrêt énonce, à bon droit, qu'à réception d'un ordre de virement, le banquier, qui est tenu de s'assurer que celui-ci émane bien du titulaire du compte à débiter ou de son représentant et ne présente aucune anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, doit vérifier que l'opération n'est pas manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale de son client.

7. Après avoir relevé que les ordres de virements litigieux libellés en USD émanaient de la société Jirlec, qui les avait signés et avait fourni à la banque les éléments d'identification des comptes bancaires sur lesquels les fonds devait être virés, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que les instructions ainsi données s'inscrivaient dans la logique des relations d'affaires entretenues avec des fournisseurs basés en Asie, que les montants des virements n'étaient en rien exceptionnels, que la société Jirlec était en possession des factures en règlement et qu'elle n'ignorait pas la dénomination sociale de ses fournisseurs.

8. En l'état des ces constatations et appréciations souveraines, dont il se déduit que les ordres de virement litigieux n'étaient affectés d'aucune anomalie apparente, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Jirlec et la condamne à payer à la société Banque française commerciale Océan Indien la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-quatre.

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