7 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-15.842

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00161

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Heures supplémentaires - Accomplissement - Preuve - Charge - Employeur - Éléments de preuve - Etendue - Détermination - Cas - Système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail - Absence de mise en place par l'employeur - Portée

L'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l'existence ou au nombre d'heures accomplies

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Durée journalière - Mesure - Système objectif, fiable et accessible - Mise en place - Obligation de l'employeur - Défaut - Effets - Litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures accomplies - Eléments de preuve fournis par l'employeur - Etendue - Détermination - Portée

PREUVE (RèGLES GéNéRALES) - Pouvoirs des juges - Eléments de preuve - Heures supplémentaires - Accomplissement - Eléments fournis par le salarié - Etendue - Cas - Système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail - Absence de mise en place par l'employeur - Portée

UNION EUROPEENNE - Travail - Aménagement du temps de travail - Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 - Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - Article 31 - Conditions de travail justes et équitables - Mesure de la durée du temps de travail journalier - Système objectif, fiable et accessible de déclaration des heures supplémentaires - Obligations de l'employeur - Absence de mise en place par l'employeur - Effets - Preuve des heures supplémentaires - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 février 2024




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 161 FS-B

Pourvoi n° Z 22-15.842




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 FÉVRIER 2024

Mme [O] [D], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-15.842 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2022 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Chouchane, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [D], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Rouchayrole, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 4 mars 2022), Mme [D] a été engagée en qualité de coiffeuse par la société Chouchane, qui exerce sous l'enseigne « La fabrique », le 26 septembre 2017.

2. Le 29 mai 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire et en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

3. Le 22 juin 2019, la salariée a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en résiliation judiciaire et en paiement de sommes à titre d'heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos, alors :

« 1°/ que l'employeur a l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; que, par ailleurs, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que, dans ces conditions, le juge ne peut prendre en considération, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents produits par l'employeur que si ceux-ci proviennent d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail du salarié mis en place par l'employeur ; qu'en se fondant, dès lors, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, sur le cahier de relevés des heures de travail de Mme [O] [D] quotidiennement par l'employeur lui-même de manière manuscrite et, donc, ne résultaient pas d'un système objectif et fiable de mesure de la durée du travail de la salariée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ que l'employeur a l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; que, par ailleurs, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que, dans ces conditions, le juge ne peut prendre en considération, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, les documents produits par l'employeur que si ceux-ci proviennent d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail du salarié mis en place par l'employeur ; qu'en se fondant, dès lors, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, sur des attestations de témoignage produites par l'Eurl Chouchane, quand ces documents ne provenaient pas d'un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail de la salariée mis en place par l'employeur, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

3°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, après avoir considéré que Mme [O] [D] versait aux débats des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments, que les récupérations dont Mme [O] [D] reconnaissait avoir bénéficié dans ses conclusions n'étaient quasiment pas mentionnées sur ses relevés d'heures et décompte, quand cette circonstance n'avait pas trait aux éléments produits par l'employeur et était en conséquence inopérante, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail ;

4°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments et le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences posées par les dispositions des articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, qui imposent à l'employeur, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, d'établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés, et de tenir à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; qu'en énonçant, par conséquent, pour estimer que Mme [O] [D] n'avait pas effectué les heures supplémentaires qu'elle alléguait, après avoir considéré que Mme [O] [D] versait aux débats des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments, qu'alors que Mme [O] [D] n'avait pas contesté la sanction qui lui avait été notifiée le 26 février 2019 au motif qu'elle ne réalisait pas 39 heures de travail par semaine, elle prétendait, sur son décompte, avoir accompli des heures supplémentaires au mois de février 2019, quand ces circonstances n'avaient pas trait aux éléments produits par l'employeur et étaient en conséquence inopérantes, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

7. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

8. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'afin d'assurer l'effet utile des droits prévus par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et du droit fondamental consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), C-55/18, point 60).

10. L'absence de mise en place par l'employeur d'un tel système ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies.

11. La cour d'appel, examinant les éléments produits par l'une et l'autre des parties, a estimé que la salariée n'avait pas accompli d'heures supplémentaires.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. La salariée fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme payée à tort par méconnaissance des règles de décompte des heures supplémentaires, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation, qui porte sur l'existence d'heures supplémentaires effectuées par Mme [O] [D], entraînera, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt attaqué, en ce qu'il a condamné Mme [O] [D] à rembourser à l'Eurl Chouchane la somme de 3 749 euros payée à tort par méconnaissance des règles de décompte des heures supplémentaires ».

Réponse de la Cour

14. Le rejet du premier moyen prive de portée ce moyen, qui invoque une cassation par voie de conséquence.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.