7 février 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.864

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:C100052

Titres et sommaires

MAJEUR PROTEGE - Curatelle - Curatelle renforcée - Curateur - Pouvoirs - Etendue - Limites - Détermination - Portée

Il résulte des articles 467 et 472 du code civil que le curateur a pour mission d'assister le majeur protégé et que ses pouvoirs de représentation dans la curatelle renforcée sont limités à la perception des revenus et au paiement des dépenses. Viole ces dispositions la cour d'appel qui retient que le curateur a pu valablement conclure seul, au nom du majeur protégé, un mandat avec une association, portant sur le recrutement et le remplacement d'auxiliaires de vie ainsi que la gestion des contrats de travail

Texte de la décision

CIV. 1

IJ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 février 2024




Rejet


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 52 F-B

Pourvoi n° K 21-24.864




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 FÉVRIER 2024

Mme [Y] [E], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-24.864 contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (chambre 13), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [S] [P], domicilié [Adresse 3],

2°/ à l'association Espace 3ème Age, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [E], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 décembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 2021), par jugement du 23 novembre 2012, un juge des tutelles a placé [W] [E] sous curatelle renforcée, et son épouse, Mme [K] [E], sous tutelle, M. [P], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, étant désigné pour exercer chacune de ces mesures.

2. Agissant au nom des deux majeurs protégés, M. [P] a donné mandat, à l'association Espace 3ème Age (l'association), de leur rechercher des auxiliaires de vie et de les assister dans toutes les formalités administratives leur incombant en tant qu'employeurs.

3. Après le décès de [W] [E], survenu le 2 février 2015, un des trois enfants du couple, Mme [Y] [E] (Mme [E]) a saisi un tribunal pour voir condamner in solidum M. [P] et l'association à lui payer une certaine somme en réparation du préjudice résultant des fautes commises dans la gestion de la situation de son père.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif de l'arrêt ayant rejeté la demande de Mme [E] contre l'association

En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui est irrecevable.

Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif de l'arrêt ayant rejeté la demande de Mme [E] contre M. [P]

Énoncé du moyen

4. Mme [E] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de M. [P] à lui payer une certaine somme, en réparation du préjudice résultant des fautes commises dans la gestion des intérêts de [W] [E], alors :

1°/ que tous les organes de la mesure de protection judiciaire sont responsables du dommage résultant d'une faute quelconque qu'ils commettent dans l'exercice de leur fonction ; que le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour conclure un mandat portant sur la gestion des contrats de travail ; qu'en la déboutant de sa demande d'indemnisation fondée sur la faute de M. [P] après avoir constaté qu'il avait conclu seul avec l'association Espace 3ème Age un contrat de mandat portant sur le recrutement des auxiliaires de vie destinées à assister les époux [E], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il ressortait que le curateur s'était substitué à la personne en curatelle pour conclure un contrat de mandat, a violé les articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 421 et 469 du code civil ;

2°/ qu'en retenant, par motifs adoptés, pour estimer que M. [P] n'avait pas commis de faute, que M. [W] [E], alors sous le régime de la curatelle renforcée, n'avait pas à signer le devis relatif à l'accompagnement 24h/24 et 7j/7, M. [P] ayant précisément pour mission de le représenter dans les actes de gestion de son patrimoine, quand la mission du curateur est une mission d'assistance et non de représentation, la cour d'appel a violé les articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 469 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en retenant, pour la débouter de sa demande d'indemnisation fondée sur ce manquement, que M. [P], étant « chargé en tant que curateur d'assister [W] [E] dans les actes importants de la vie civile, de solliciter l'association Espace 3ème Age pour fournir au couple des auxiliaires de vie et un appui à la gestion administrative de leur intervention », n'avait pas commis de faute en signant seul le contrat de mandat liant M. [E] à l'association Espace 3ème Age, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants à justifier que M. [P], simple curateur de M. [E], ait outrepassé ses pouvoirs en se substituant au majeur protégé qu'il avait pour mission d'assister, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 421 et 469 du code civil ;

4°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes du litige ; qu'en l'espèce, elle démontrait que M. [P] avait excédé les limites des pouvoirs d'assistance de M. [E] qui lui étaient conférés par la mission de curatelle renforcée dont il était investi en se substituant à lui pour signer seul le contrat de mandat le liant à l'association Espace 3ème Age ; qu'elle invoquait, à l'appui de sa démonstration, l'article 467 du code de procédure civile pour démontrer que la mission d'assistance du curateur se manifestait « par l'apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée » et l'article 469 du même code, rappelant que "le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom" ; qu'en retenant, pour débouter Mme [Y] [E] de sa demande d'indemnisation fondée sur ce manquement, que "C'est tout d'abord à tort que Mme [E] invoque les dispositions de l'article 467 du code civil pour contester à M. [P] la faculté de contracter seul avec l'association mise en cause au nom de ses protégés : Ce texte, limitant la faculté d'agir seule de la personne sous curatelle, est sans incidence sur celle qu'avait M. [P], tuteur de Mme [K] [E]", la cour d'appel a dénaturé par omission les conclusions de l'exposante, et méconnu les termes du litige qui lui était soumis, violant ainsi les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

5°/ qu'en retenant, pour estimer que M. [P] n'avait pas commis de faute, que les enfants du couple avaient été informés du coût de cette intervention par email du 9 juin 2014, quand, le mandat ayant été conclu par M. [P] seul le 29 septembre 2013, cette information avait été délivrée neuf mois après sa conclusion, de sorte qu'elle n'avait évidemment pas permis la moindre concertation sur ce point, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 421 et 469 du code civil ;

6°/ qu'enfin, en retenant, pour exonérer M. [P] de toute responsabilité, que la vérification des comptes établis annuellement par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance compétent à cette fin n'avait jamais donné lieu à contestation ni observation, quand cette circonstance, propre à la gestion des finances de M. [E], était inopérante à justifier la violation initiale, par M. [P], consistant à se substituer au curatélaire pour conclure seul le contrat de mandat le liant à l'association Espace 3ème Age, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 469 et 511 du code civil. »

Réponse au moyen

5. C'est à tort que la cour d'appel a retenu que M. [P], en sa qualité de curateur de [W] [E], avait pu valablement conclure seul, au nom de celui-ci, un mandat avec l'association portant sur le recrutement et le remplacement d'auxiliaires de vie ainsi que la gestion des contrats de travail, alors qu'il résulte des articles 467 et 472 du code civil que le curateur a pour mission d'assister le majeur protégé et que ses pouvoirs de représentation dans la curatelle renforcée sont limités à la perception des revenus, et au paiement des dépenses.

6. Toutefois, après avoir relevé que, selon Mme [E], cette faute du curateur de [W] [E] aurait généré des dépenses excessives, la cour d'appel a encore retenu, d'une part, que la décision prise par M. [P], également tuteur de Mme [K] [E], de solliciter l'association pour fournir aux majeurs protégés des auxiliaires de vie et un appui à la gestion administrative de leur intervention, était indispensable pour permettre le maintien des époux ensemble à leur domicile, conformément au choix très clairement exprimé par [W] [E], et, d'autre part, qu'en dépit de l'évolution des coûts tenant à l'aggravation de leur état de santé, de leur perte d'autonomie et de la nécessité de majorer les temps de présence à leurs côtés, le coût global de l'intervention de l'association, sur les dix-sept mois de sa durée, n'avait rien d'exorbitant.

7. Ayant ainsi fait ressortir l'absence de préjudice en lien avec la faute alléguée, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, légalement justifié sa décision.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.

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