1 février 2024
Cour d'appel de Caen
RG n° 22/01673

1ère chambre sociale

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/01673

N° Portalis DBVC-V-B7G-HAPO

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 16 Juin 2022 - RG n° 21/00113









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 01 FEVRIER 2024





APPELANTE :



S.A.S. AENEAS SECURITE

Dont le siège social est [Adresse 3]

[Localité 4], pris en son établissement secondaire sis [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]



Représentée par Me Jean-Jacques SALMON, avocat au barreau de CAEN





INTIME :



Monsieur [Y] [L]

[Adresse 2]



Représenté par M. [H], défenseur syndical







DEBATS : A l'audience publique du 20 novembre 2023, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré



GREFFIER : Mme FLEURY



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :



Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,



ARRET prononcé publiquement le 01 février 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier










Par contrat de travail à durée indéterminée effet du 1er décembre 2015, M. [Y] [L] a été engagé par la société 2ADS devenue Aénéas Sécurité en qualité d'agent d'exploitation « pour la surveillance humaine ou électronique », la convention collective nationale Entreprises de prévention et de sécurité étant applicable.



Par lettre recommandée du 21 décembre 2020, M. [L] a été licencié pour cause réelle et sérieuse.



Contestant la rupture de son contrat et les conditions d'exercice de son contrat de travail, il a saisi le 3 mai 2021 le conseil de prud'hommes de Lisieux lequel par jugement rendu le 16 juin 2022, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, a condamné la société à lui payer la somme de 8333.50 € à titre de dommages et intérêts, 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et à la remise sous astreinte des documents de fin de contrat, et a rejeté les autres demandes.



Par déclaration au greffe du 5 juillet 2022, la société Aénéas Sécurité a formé appel de ce jugement.



Par conclusions remises au greffe le 5 décembre 2022, et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société Aénéas Sécurité demande à la cour de réformer le jugement et débouter M. [L] de ses demandes, rejeter la demande de dommages et intérêts pour agression verbale et au visa de l'article 954 du code de procédure civile, dire que les dommages et intérêts ne sauraient dépasser la somme de 8333.50 €, à titre subsidiaire réduire les demandes et en tout état de cause condamner M. [L] à lui payer la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions remises au greffe le 22 septembre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [L] demande à la cour de dire que M. [L] a subi des agissements constitutifs d'agression verbale comportementale et de condamner la société à lui payer la somme de 5000 € nets à titre de dommages et intérêts, dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la société à lui payer la somme de 10 000 € nets à titre de dommages et intérêts et celle de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, également à lui remettre sous astreinte de 50 € par jour et par document l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail.




MOTIFS



I- Sur les dommages et intérêts pour agissements constitutifs d'agression verbale et comportementale (harcèlement managériale)



Le conseil de prud'hommes a débouté le salarié de cette demande. Or, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, celui-ci ne sollicite pas l'infirmation du jugement sur ce point. Dès lors, comme le souligne exactement l'employeur, au visa des articles 542 et 954 du code de procédure civile, l'intimé qui fait appel incident ne demandant ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts.



II- Sur le licenciement



La lettre de licenciement reproche à M. [L], alors qu'il était affecté sur le site du centre Leclerc de [Localité 9], de discuter sur son temps de travail avec Mme [B] membre du personnel, le mardi 24 novembre 2020 à 11h48, ce malgré un rappel à l'ordre le 30 mai 2019 pour ce même motif. La lettre rappelle que le client ne souhaite pas que les salariés de l'entreprise Aénéas Sécurité discute avec le personnel du centre Leclerc, cette demande était rappelée dans une note de service du 8 octobre 2018.La lettre mentionne que suite à son éviction du site du Centre Leclerc de [Localité 5] en juin 2019, de [Localité 8] en juillet 2020 et de [Localité 9] à ce jour, compte tenu également de son refus de travailler sur le site du Centre Leclerc de [Localité 6] (avec mise à disposition d'un véhicule de société 4 fois par mois et paiement du pont du carburant et des péages) ou de travailler à mi-temps (75.84 heures par mois), la société ne dispose d'aucun autre client auprès duquel l'affecter. Elle relève enfin une atteinte à son image auprès du client.











L'employeur produit aux débats :

- une lettre du président de la société Leclerc [Localité 9] du 1er décembre 2020 adressée à l'employeur ayant pour objet « demande de retrait de M. [L] [Y] ». Cette lettre mentionne que le mardi 24 novembre 2020 à 11h48, M. [G] directeur du magasin a croisé M. [L] « en discussion avec notre salariée Mme [B] [E], et lorsqu'il lui a demandé s'il était en service, M. [L] a répondu positivement. La lettre rappelle que cela n'est pas la première fois que M. [L] discute avec des salariés de notre société alors qu'il a déjà été mis en garde face à ce comportement , souhaitant ainsi qu'il soit retiré le plus rapidement possible de notre site ;

- un courriel du 1er décembre 2020 adressé à l'employeur par M. [F] rappelant les faits mentionnés dans la lettre.

- une fiche relative aux « procédures malveillance et incendies Leclerc [Localité 9] » dont il n'est toutefois pas justifié qu'elle ait été émargée par M. [L], sa signature ne figurant pas sur la liste des salariés ayant émargé ;

- une note intitulé « rappel général » dont M. [L] a pris connaissance le 8 octobre 2018 qui rappelle notamment « pour optimiser votre action, vous ne devez pas entretenir de relation amicale avec le personnel du magasin durant le temps de travail, fournisseurs, animateurs, stagiaires, pas plus qu'avec la clientèle en dehors des besoins relatifs à la sécurité. Ceci ne vous dispense nullement d'avoir à saluer les personnes qui vous entourent. Aucune intimité avec le personnel du magasin ou la clientèle ne sera acceptée durant les heures de travail » ;

- un rappel à l'ordre du 6 octobre 2016 pour ne pas avoir mis les caméras du magasin en position « tours de nuits » ;

-un blâme du 5 décembre 2016 pour ne pas avoir déverrouillé les issus de secours du tunnel poissonneries ;

- une mise à pied de cinq jours le 24 août 2018 pour plusieurs manquements (avoir omis de contrôler la fermeture des fenêtres à l'étage, d'avoir omis de fermer le rideau métallique et la porte automatiques près du pressing, de ne pas respecter les heures de prise de poste, de ne pas manager correctement ses équipes, de fumer devant la façade du magasin et de ne pas utiliser correctement le système de vidéosurveillance) ;

- une éviction du site du centre Leclerc de [Localité 10] et un rappel à l'ordre du 25 juin 2019 pour plusieurs manquements sur le site du centre Leclerc [Localité 9], notamment « pour avoir passé une demi-heure en pause-café à la cafétaria à discuter avec la salariée Leclerc [E] » ;

-une éviction du site du centre Leclerc de [Localité 8] le 24 juillet 2020 pour trois incidents (non-respect des procédures, altercation verbale violente et prise de pauses cigarettes sur le temps de travail) ;

- la lettre du 2 juin 2020 du centre Leclerc d'Aigle sollicitant cette éviction.



Le salarié estime que le licenciement est en réalité fondé sur un motif économique en prenant en compte une lettre reçue le 27 novembre 2020.

En l'occurrence, cette lettre qui faisait suite « à un entretien non disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement », rappelle la perte d'heures par l'entreprise sur certains sites, fait état des difficultés pour affecter ses salariés compte tenu des pertes de contrats sur certains sites mais aussi concernant M. [L] des sites où il ne peut plus être affecté ([Localité 5] et [Localité 8]), a listé des sites possibles notamment le site du Centre Leclerc de [Localité 9] (à raison d'une vacation par semaine) et a relevé par ailleurs qu'il refusait un passage à mi-temps et qu'il serait d'accord pour être affecté sur le site du centre Leclerc de [Localité 6] sous la condition d'un prêt d'un véhicule de société. L'employeur conclut dans cette lettre qu'il allait procéder à une nouvelle organisation des plannings.

Cette lettre n'est donc pas une lettre de licenciement économique comme le soutient le salarié dans ses écritures et les critiques qu'il forme contre les motifs de cette lettre sont sans objet.



La lettre de licenciement objet du présent litige, est fondée à la fois sur le comportement du salarié sur le site du client Leclerc de [Localité 9] ayant conduit à ce que ce client refuse que le salarié soit à nouveau affecté chez lui, mais aussi sur l'impossibilité d'affecter le salarié chez un autre client. L'employeur n'a donc pas licencié le salarié uniquement compte tenu de son comportement au Centre de Leclerc de [Localité 9] mais aussi compte tenu de son impossibilité de l'affecter chez un autre client, soit à cause de son comportement (Centre Leclerc [Localité 5] et Centre Leclerc de [Localité 8]) ou de la perte du contrat (Intermarché [Localité 9] et Centre Leclerc de [Localité 7]), et également compte tenu de son refus d'aller travailler sur le site du Centre Leclerc de [Localité 6] ou de travailler à temps partiel.















Le contrat de travail mentionne que le salarié exerce son activité pour le compte client E. Leclerc à [Localité 9], [Localité 5], [Localité 7], [Localité 8], l'Intersport de [Localité 9], l'usine McBride de [Localité 11] et l'usine Arkema de [Localité 12], sans que ces lieux puissent être considérés comme exclusifs. Le contrat prévoit également que l'employeur peut lui demander de travailler de manière temporaire en dehors du secteur où il travaille habituellement que ce soit en France ou à l'étranger.

Ainsi, l'affectation sur le site Leclerc de [Localité 6] situé en dehors des lieux prévus au contrat, ou la réduction du nombre d'heures de travail nécessitait une modification du contrat de travail. Le salarié indique dans ses écritures qu'il était prêt à faire des vacations sous condition de prêt d'un véhicule de société. Or, il ne résulte pas des pièces du dossier que la modification du contrat (avec pour le site de [Localité 6] les conditions financières rappelées par l'employeur dans la lettre de licenciement) ait été expressément proposée au salarié et qu'un délai lui a été donné pour y répondre. Dès lors, ne justifiant pas d'un refus du salarié de travailler sur le site Leclerc de [Localité 6] ou de modifier ses heures, l'employeur ne pouvait le licencier.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.



En application des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté de 5 années complètes et de la taille de l'entreprise, à une indemnité comprise entre 3 et 6 mois de salaire brut (soit une somme comprise entre 5000.10 € et 10 000.20 €).

Comme le souligne exactement l'employeur, le salarié ne peut plus contester le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges, le dispositif de ses écritures ne demandant pas l'infirmation du jugement sur ce point.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié ne produisant aucun élément ou pièce de nature à justifier de sa situation actuelle, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer, par infirmation du jugement, la réparation qui lui est due à la somme de 5000.10 €.



Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.

En cause d'appel, la société Aénéas Sécurité qui perd le procès sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Elle versera en équité et sur ce même fondement une somme de 500 € à M. [L].

La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence d'allégation de circonstances le justifiant.





PAR CES MOTIFS





LA COUR





Confirme le jugement rendu le 16 juin 2022 par le conseil de prud'hommes de Lisieux sauf sur le montant des dommages et intérêts  et en ce qu'il a assorti d'une astreinte la remise des bulletins de salaire et des documents  de fin de contrat ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne la société Aénéas Sécurité à payer à M. [L] la somme de 5000.10 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Dit n'y avoir lieu à assortir d'une astreinte la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat ;



Condamne la société Anéas Sécurité à payer à M. [L] la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;











Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;



Condamne la société Aénéas Sécurité aux dépens d'appel.



LE GREFFIER LE PRESIDENT













E. GOULARD L. DELAHAYE

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