1 février 2024
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 20/04562

Chambre 4-4

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 01 FEVRIER 2024



N° 2024/

SM/FP-D











Rôle N° RG 20/04562 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFZRB







[M] [I]





C/



[T] [G]

[C] [L]

SDF [G] ET [L]



















Copie exécutoire délivrée

le :

01 FEVRIER 2024

à :

Me Sabrina MARIANI, avocat au barreau de BASTIA



Me Karine MICHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-

PROVENCE























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 10 Mars 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00018.





APPELANT



Monsieur [M] [I]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/004424 du 06/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 4]



représenté par Me Sabrina MARIANI, avocat au barreau de BASTIA









INTIMES



Monsieur [T] [G], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Karine MICHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et par Me François-xavier LECLERC, avocat au barreau de LYON



Monsieur [C] [L], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Karine MICHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et par Me François-xavier LECLERC, avocat au barreau de LYON



Société créée de fait '[G] [T] et [L] [C]' , demeurant [Adresse 2]



représentée par Me Karine MICHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et par Me François-xavier LECLERC, avocat au barreau de LYON













*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR





En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Natacha LAVILLE, Présidente

Mme Emmanuelle CASINI, Conseillère

Madame Stéphanie MOLIES, Conseillère









Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024.







ARRÊT



contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024



Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***



























FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :



Suivant contrat à durée indéterminée du 7 octobre 1996 prenant effet le jour même, la société de fait [G] & [L] (l'employeur) a engagé M. [M] [I] (le salarié) en qualité de jardinier, le salaire mensuel brut étant fixé à la somme de 6 406,79 francs (976,71 euros).



S'agissant de la durée du travail, les parties ont précisé que 'Les horaires de travail de Monsieur [I] [M] seront ceux habituellement pratiqués au sein de la société et dont il déclare avoir pris connaissance au moment de l'embauche'.



La relation de travail a été soumise à la convention collective nationale des entreprises du paysage du 10 octobre 2008.



Suivant courrier recommandé du 9 mai 2018 dont l'accusé de réception a été retourné avec la mention 'pli avisé et non réclamé', l'employeur a mis M. [I] en demeure de justifier du motif de son absence depuis le 30 avril 2018 ou de reprendre son poste.



Suivant courrier recommandé du 18 mai 2018 dont l'accusé de réception a été signé le 23 mai 2018, l'employeur a mis M. [I] en demeure de justifier du motif de son absence depuis le 30 avril 2018 et de reprendre ses fonctions.



Par courrier recommandé en date du 25 mai 2018 dont l'accusé de réception a été signé le 29 mai suivant, la société a convoqué le salarié le 5 juin 2018 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.



Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 juin 2018 dont l'accusé de réception a été retourné avec la mention 'pli avisé et non réclamé', la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :



' Monsieur,

Nous faisons suite à l'entretien préalable fixé au 5 juin 2018 en application de l'article L1232-2 du Code du Travail auquel vous avez été régulièrement convoqué par courrier en date du 25 mai 2018.

Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien.

Cette absence n'ayant aucune incidence sur le déroulement de la procédure engagée, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave et ce, pour les motifs suivants :

Depuis le 30 avril 2018, vous ne vous êtes pas présenté sur votre poste de travail et ce, sans avoir sollicité préalablement une autorisation d'absence.

Vous n'avez pas prévenu l'entreprise ni adressé un quelconque justificatif médical.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 9 mai 2018, nous vous avons donc mis en demeure de justifier votre absence et de reprendre vos fonctions.

Nous vous avons parallèlement rappelé vos obligations en matière d'absence, à savoir de prévenir la Direction dans les plus brefs délais et de lui faire parvenir un justificatif sous 48 heures.

Or, vous n'avez pas cru bon répondre à notre courrier qui est resté sans réponse, au même titre que nos nombreux appels et messages téléphoniques.

Le 18 mai 2018, nous vous avons alors adressé un second courrier aux termes duquel nous constations à nouveau votre absence injustifiée depuis le 30 avril 2018 et vous mettions en demeure, une nouvelle fois, de reprendre votre poste dès réception et/ou de nous faire parvenir un justificatif pour cette absence.

Ce courrier est également resté sans réponse de votre part.

Vous n'avez, bien entendu, pas non plus repris votre poste de travail.

Ainsi, votre absence injustifiée depuis le 30 avril 2018 est constitutive d'un abandon de poste qui, pour des raisons évidentes d'organisation, porte atteinte au bon fonctionnement de la Société et ne peut ainsi être admis.

L'inexécution de votre contrat de travail et la non-justification de votre absence constituent des fautes professionnelles qui ne nous permettent pas de maintenir votre contrat de travail.

Votre attitude met, par ailleurs, en évidence le profond désintérêt que vous portez à votre engagement auprès de notre société et votre état d'esprit non professionnel.

Nous ne pouvons accepter de l'un quelconque de nos salariés qu'il se présente quand bon lui semble ou décide de ne plus venir travailler.

Votre comportement est d'autant moins admissible que vous ne pouvez prétendre ignorer les conséquences de celui-ci, notamment sur le bon fonctionnement de l'entreprise.

Le licenciement pour faute grave que nous vous notifions par la présente prend donc effet immédiatement, à la date d'envoi de cette lettre à votre domicile, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous informons qu'en application de la Loi de Sécurisation de l'emploi du 14 juin 2023, vous pouvez conserver, à titre gratuit, le bénéfice des garanties frais de santé et de prévoyance en vigueur au sein de l'entreprise et ce, pour une durée de 12 mois minimum.

Ce maintien des garanties est subordonné à votre prise en charge par le régime d'assurance chômage.

Il cessera donc dès lors que vous aurez retrouvé un emploi, entraînant l'arrêt du versement des allocations chômage.

Nous vous précisons également que nous tenons à votre disposition à l'entreprise, votre solde de tout compte, votre certificat de travail et l'attestation destinée au Pôle Emploi.

Pour terminer, nous vous informons que nous levons toute clause de non concurrence. Vous êtes libre d'exercer l'activité de votre choix, sous réserve du respect de l'obligation de réserve et de loyauté.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.'



Par requête enregistrée au greffe le 10 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Nice à l'encontre de la S.D.F. [G] et [L] pour voir prononcer la nullité du licenciement pour faute grave ou le voir requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.



Suivant jugement du 10 mars 2020, le conseil des prud'hommes de Nice a :

- dit et jugé que la demande de requalification du licenciement sans cause réelle et sérieuse est infondée,

En conséquence,

- débouté M. [M] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle est sérieuse,

- débouté M. [I] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis,

- débouté M. [I] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- débouté M. [I] de sa demande en rectification des documents sociaux sous astreinte,

- débouté M. [I] de sa demande subsidiaire d'indemnité pour non-réception de la lettre de licenciement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- débouté les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que chaque partie conserve à sa charge ses propres dépens par elle exposés y compris les éventuels frais et honoraires d'huissiers.



****



La cour est saisie de l'appel formé le 28 avril 2020 par le salarié.



Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 17 juillet 2020 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [M] [I] demande à la cour de :



- Réformer le jugement dont appel,

Et statuant à nouveau :

- requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamner 'Espaces verts [G] & [L]' au paiement à M. [I] de la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner 'Espaces verts [G] & [L]' au paiement à M. [I] de la somme de 3 497,84 € au titre de l'indemnité de préavis,

- condamner 'Espaces verts [G] & [L]' au paiement à M. [I] de la somme de 11 173,66 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamner 'Espaces verts [G] & [L]' au paiement à M. [I] de la somme de 349,78 € au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

- dire et juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compte de la saisine du Conseil de Prud'hommes par application de l'article 1154 du code civil,

- ordonner la remise d'une attestaion Pôle emploi et certificat de travail rectifiés au vu des sommes dues sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner 'Espaces verts [G] & [L]' au paiement à M. [I] de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens par application de l'article 696 du code de procédure civile.



Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 13 octobre 2020 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [C] [L] et M. [T] [G] représentant la société créée de fait '[G] [T] et [L] [C]' demandent à la cour de :



Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Nice le 10 mars 2020,

Par conséquent,

- débouter Monsieur [I] de l'intégralité de ses moyens, fins et prétentions,

- condamner Monsieur [I] à verser à Messieurs [T] [G] et [C] [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et ses suites.



L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 13 novembre 2023.






MOTIFS :



1 - Sur la rupture du contrat de travail :



Le salarié indique n'avoir jamais reçu le courrier de licenciement et reproche à l'employeur de ne fournir aucune preuve au soutien des griefs allégués.

Il souligne n'avoir jamais fait l'objet d'une quelconque réprimande en 20 ans de présence dans l'entreprise et soutient que l'abandon de poste a été sollicité par l'employeur lui-même.

Il explique ainsi que l'employeur a refusé d'accéder à sa demande de rupture conventionnelle du contrat de travail et lui a conseillé de ne plus se rendre sur son lieu de travail et de ne pas réceptionner les courriers recommandés.

Il affirme avoir été naïf et s'être exécuté, sans se douter de la stratégie mise en place par l'employeur pour ne pas lui verser les indemnités de fin de contrat auxquelles il pouvait prétendre.

Il en déduit que la faute grave, provoquée par l'employeur, n'est pas caractérisée.

Le salarié remarque enfin que la rédaction par l'employeur d'une lettre de recommandation à son intention postérieurement à la rupture du contrat de travail confirme sa relation des faits.



En réponse, l'employeur observe que la réalité de l'absence injustifiée de M. [I] à son poste de travail à compter du 30 avril 2018 n'est pas discutée.

Il ajoute que l'absence de réaction de M. [I] aux deux lettres de mise en demeure et à la convocation à entretien préalable caractérise l'impossibilité de poursuivre le contrat, et précise que préalablement, le salarié avait fait état de son souhait de s'installer en Corse avec sa nouvelle compagne.

Il s'offusque de la tentative de M. [I] de lui imputer les conséquences de sa propre décision, et conteste l'avoir incité à commettre un abandon de poste.



Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.



Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.



En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement pour faute grave dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société reproche au salarié :

- une absence de son poste de travail depuis le 30 avril 2018,

- une carence dans la justification du motif de son absence.



La cour relève en premier lieu que dès lors qu'il n'est pas contesté que le courrier de licenciement a été expédié à la dernière adresse connue de l'employeur, le salarié ne peut se prévaloir de l'absence de réception dudit courrier.



Il sera au surplus souligné que M. [I] a régulièrement signé l'accusé de réception du courrier valant convocation à entretien préalable envoyé quelques jours auparavant, soit le 29 mai 2018, à la même adresse, ce qui démontre l'actualité de sa domiciliation.



1.1 - Sur l'absence du poste de travail à compter du 30 avril 2018 :



La cour rappelle que si les absences non autorisées ou non justifiées par des motifs légitimes constituent des manquements du salarié à ses obligations contractuelles que l'employeur est fondé à sanctionner en vertu de son pouvoir disciplinaire, l'abandon de poste qui trouve son origine dans un manquement de l'employeur à ses obligations ne saurait caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement.



En l'espèce, si l'absence de M. [I] de son poste de travail à compter du 30 avril 2018 n'est pas contestée, le salarié soutient avoir agi à la demande de son employeur.



A l'appui de ses allégations, il verse au débat un courriel émanant de Mme [O] [V] en date du 23 avril, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de l'année 2018, rédigé comme suit :

'Cher Monsieur, bonjour,

Je fais suite à nos récents échanges concernant un de vos salariés qui souhaite quitter l'entreprise.

Pour ce dernier, nous avons envisagé ensemble un licenciement pour faute grave suite à un abandon de poste afin qu'il puisse bénéficier des indemnités chômage.

Dans ce cadre, mon intervention comprenait :

- Un rappel de vos obligations légales et conventionnelles ainsi que des règles applicables en matière de licenciement pour motif personnel et pour faute grave ;

- La rédaction de deux courriers de mise en demeure de justifier l'absence qui font partie de la procédure et permettent de sécuriser celle-ci ;

- La rédaction de tous les courriers de procédure (convocation à l'entretien et lettre de notification du licenciement) ;

- Et plus généralement notre assistance téléphonique au cours de la procédure'.



Le salarié produit également une attestation émanant de sa soeur, Mme [R] [I], aux termes de laquelle cette dernière précise notamment : 'J'ai donc contacté M. [C] [L] qui après s'être désolé de ne pouvoir verser les indemnités dues en cas de rupture conventionnelle, son entreprise, à ses dires, n'ayant pas de fond de roulement, il me certifiait que le meilleur pour [M], afin qu'il obtienne les indemnités chômages, était qu'il fasse 'sous sa directive' un abandon de poste ! Il précisait qu'à l'issue duquel il serait licencié 'pour faute grave' !! Paradoxalement il n'a pas tari d'éloges sur les compétences professionnelles de mon frère [M] [I].'



Ces éléments permettent d'établir que le licenciement pour abandon de poste a été envisagé par l'employeur avant même l'absence de M. [I] de son lieu de travail, et que cette option avait été évoquée avec le salarié.



La cour relève toutefois qu'il résulte des cinq attestations produites par l'employeur que M. [I] s'était ouvert, auprès des clients de l'entreprise, de son souhait de s'installer en Corse et par conséquent de quitter son emploi ; la cour observe à ce propos que M. [I] réside désormais à [Localité 3].



L'analyse du surplus des pièces versées au débat met en évidence que M. [I] a sollicité la mise en oeuvre d'une rupture conventionnelle afin de concrétiser son projet, mais que l'employeur a refusé d'accéder à la demande du salarié au regard de son ancienneté et du montant des indemnités à verser.



Il ressort ainsi de l'ensemble de ces éléments qu'informé de la volonté du salarié de quitter son emploi pour s'installer en Corse et ne pouvant assumer financièrement le coût d'une rupture conventionnelle du contrat de travail, l'employeur a tenté de trouver une solution pour permettre à M. [I] de percevoir les indemnités chômage, ce qui aurait été exclu dans l'hypothèse d'une démission.



La cour relève à ce propos que l'employeur ne présentait aucun intérêt propre puisque, qu'il s'agisse d'une démission ou d'un licenciement pour faute grave, il ne devait verser aucune indemnité à M. [I].



Informé des enjeux par son employeur puis par sa soeur, M. [I] a décidé de ne plus se présenter sur son lieu de travail à compter du 30 avril 2018, conformément à la suggestion de son employeur et afin de bénéficier du versement des indemnités chômage auxquelles il n'aurait pu prétendre en cas de démission.



Nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, M. [I] ne peut valablement arguer de la proposition de son employeur pour justifier son absence sur son lieu de travail, aucun manquement de l'employeur à ses obligations n'étant par ailleurs établi pour expliquer cette absence.



Le grief tenant à l'absence du salarié de son poste de travail à compter du 30 avril 2018 est donc établi.



1.2 - Sur l'absence de justification de l'absence :



Il a été vu précédemment que, prenant acte de la volonté du salarié de quitter ses fonctions, l'employeur a suggéré à M. [I] de ne plus se présenter sur son lieu de travail pour être licencié pour faute grave et bénéficier des indemnités chômage.



Dans ces conditions, l'employeur ne peut se prévaloir de l'absence de justification de son absence par le salarié pour motiver le licenciement pour faute grave.



Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'employeur rapporte la preuve de faits qui constituent une violation par M. [I] des obligations découlant de son contrat de travail puisque ce dernier a cessé de paraître sur son lieu de travail à compter du 30 avril 2018.



Néanmoins, eu égard aux circonstances, à l'ancienneté du salarié et à l'absence de passé disciplinaire et enfin à l'absence de désorganisation de la société du fait de l'absence de M. [I] -dès lors que celle-ci avait pu être anticipée par l'employeur-, ces faits, même s'il justifient le licenciement, ne revêtent pas un caractère de gravité rendant impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.



Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en ce qu'il a reconnu le bien-fondé du licenciement pour faute grave.



En revanche, le salarié sera débouté de sa demande de requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que la violation de ses obligations découlant du contrat de travail telle que rapportée ci-dessus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.



Le licenciement sera donc requalifié en licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse.



2 - Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :



2.1 - Sur la demande au titre de l'indemnité de préavis et les congés afférents :



L'article L.1234-1 du code du travail dispose que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.



Par ailleurs, en vertu de l'article L.1234-5 du code du travail alinéas 1 et 2, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.



En application de cette disposition, les heures supplémentaires habituellement exécutées par le salarié constituent un élément stable et constant de la rémunération sur lequel il est en droit de compter.



En l'espèce, M. [I] bénéficie d'une ancienneté d'au moins deux années pour avoir été embauché le 7 octobre 1996 et licencié le 8 juin 2018 : il peut donc prétendre à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à deux mois de salaire.



Par ailleurs, l'ensemble des bulletins de salaire versés au débat mentionnent des heures supplémentaires, qui constituaient par conséquent un élément stable et constant de sa rémunération.



Il résulte du bulletin de salaire du mois de mars 2018 ainsi produit que M. [I] a perçu la somme mensuelle brute de 1 748,92 euros pour ce dernier mois complet travaillé.



L'employeur sera dès lors condamné à lui payer la somme brute totale de 3 497,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 349,78 euros au titre des congés payés afférents.





2.2 - Sur la demande au titre de l'indemnité de licenciement :



L'article L.1234-9 du code du travail prévoit que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.



Il résulte de cette disposition que l'ancienneté se calcule à la date d'envoi de la lettre de licenciement pour déterminer le droit à indemnité, et à la fin du préavis pour calculer le montant de l'indemnité.



L'article R.1234-2 du même code, dans sa version en vigueur au jour du licenciement, dispose que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.



Aux termes de l'article R.1234-4, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieur à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.



En l'espèce, M. [I] bénéficie d'une ancienneté de 21 ans et 8 mois.



Il résulte des bulletins de salaire versés au débat qu'il a perçu les sommes brutes suivantes :

- 1 746,34 euros au cours du mois d'avril 2017,

- 1 746,34 euros au cours du mois de mai 2017,

- 1 746,34 euros au cours du mois de juin 2017,

- 1 758,53 euros au cours du mois de juillet 2017,

- 1 746,34 euros au cours du mois d'août 2017,

- 1 746,34 euros au cours du mois de septembre 2017,

- 1 792,74 euros au cours du mois d'octobre 2017,

- 1 746,34 euros au cours du mois de novembre 2017,

- 2 069,94 euros au cours du mois de décembre 2017,

- 1 769,94 euros au cours du mois de janvier 2018,

- 1 748,92 euros au cours du mois de février 2018,

- 1 748,92 euros au cours du mois de mars 2018,

Soit une moyenne mensuelle de 1 780,58 euros sur douze mois et de 1 755,93 euros sur trois mois.



La somme de 1 780,58 euros, plus favorable au salarié, sera retenue comme base de calcul conformément aux dispositions susvisées.



En conséquence, l'indemnité de licenciement se calcule comme suit :



( 1 780,58 x 1/4 x 10) + ( 1 780,58 x 1/3 x 11) + ( 1 780,58 x 1/3 x 8/12) = 11 375,72euros.



La cour relève néanmoins que le salarié a entendu limiter sa demande sur ce fondement à la somme de 11 173,66 euros, de sorte que l'employeur sera condamné à lui payer ladite somme dans les conditions exposées au dispositif.





2.3 - Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :



Il a été vu précédemment que le licenciement de M. [I] repose sur une cause réelle et sérieuse; le salarié sera par conséquent débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.





3 -Sur la remise sous astreinte des documents de contrats rectifiés :



Il convient d'ordonner à l'employeur de remettre à M. [I] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce dans un délai de deux mois à compter de son prononcé.



La demande au titre de l'astreinte est en revanche rejetée.





4 - Sur les autres demandes :



Eu égard aux circonstances de l'espèce, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.



En outre, il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties ses frais irrépétibles non compris dans les dépens ; elles seront par conséquent déboutées de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS :



La cour,



CONFIRME le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,



L'INFIRME pour le surplus,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



REQUALIFIE le licenciement pour faute grave en licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse,



CONDAMNE la société créée de fait '[G] [T] et [L] [C]' à payer à M. [M] [I] les sommes suivantes :

- 3 497,84 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 349,78 euros au titre des congés payés afférents,

- 11 173,66 euros au titre de l'indemnité de licenciement,



DIT que les sommes allouées par le présent arrêt sont exprimées en brut et qu'elles supporteront, s'il y a lieu, les cotisations et contributions prévues par le code de la sécurité sociale,



RAPPELLE que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,



DEBOUTE M. [M] [I] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,



ORDONNE à la société créée de fait '[G] [T] et [L] [C]' de remettre à M. [M] [I] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce dans un délai de deux mois à compter de son prononcé,

DIT n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,



DIT que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens,



DEBOUTE les parties de leur demande respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





LE GREFFIER LE PRESIDENT

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.