17 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-18.090

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00029

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Responsabilités et sanctions - Responsabilité des créanciers - Conditions - Cas d'ouverture - Fraude - Caractérisation - Utilisation de moyens déloyaux

Aux termes de l'article L. 650-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Constitue un acte frauduleux, au sens de ce texte, celui réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive

Texte de la décision

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 janvier 2024




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 29 F-B

Pourvoi n° T 22-18.090




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JANVIER 2024

La société Banque populaire du Sud, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° T 22-18.090 contre l'arrêt rendu le 18 mai 2022 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [R] [Y], domicilié [Adresse 3], mandataire judiciaire, pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Domaine du [6] et de M. [G] [U], défendeur à la cassation.

M. [Y], ès qualités, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Banque populaire du Sud, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Y], ès qualités, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 mai 2022), la société Banque populaire du Sud (la banque) a consenti à l'EARL Domaine du [6] (l'EARL) entre 1998 et 2009 plusieurs concours bancaires.

2. L'EARL a également souscrit un billet à ordre d'un montant de 440 000 euros le 14 mars 2008 qui est demeuré impayé à l'échéance du 15 avril 2008.

3. Les 2 mai et 31 juillet 2009, la banque a consenti aux époux [U] deux prêts relais respectivement de 273 000 euros et 400 000 euros dans l'attente de la vente d'un bien et en garantie desquels, ils ont consenti une hypothèque.

4. Le 30 mai 2012, un tribunal a ouvert une procédure de redressement judiciaire de l'EARL. La banque a déclaré sa créance le 30 mai 2012. Par un jugement du 19 janvier 2013, ce tribunal a constaté la confusion du patrimoine avec celui de M. [U] et lui a étendu la procédure.

5. Le 16 janvier 2014, un plan de redressement a été arrêté, M. [Y] étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

6. Le 6 janvier 2017, le commissaire à l'exécution du plan a assigné la banque en responsabilité du fait des concours consentis.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer M. [Y], mandataire judiciaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL et de M. [U], recevable et bien fondé en son action engagée à l'encontre de la banque pour soutien abusif à compter de mai 2009, de la condamner à réparer le préjudice subi par M. [Y], mandataire judiciaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL et de M. [U], en raison du soutien abusif apporté à ces derniers à compter de mai 2009, de surseoir à statuer sur le préjudice, d'ordonner avant-dire droit une expertise pour statuer sur le préjudice et d'ordonner la nullité de l'hypothèque conventionnelle consentie, alors :

« 3°/ qu'en tout état de cause, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation est ouverte, un établissement de crédit ne peut être tenu pour responsable des préjudices subis du fait des concours qu'il a consentis et les garanties prises en contrepartie de ces concours annulées ou réduites non seulement que si les concours sont fautifs mais également que si les garanties sont disproportionnées à ceux-ci ou en cas d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de fraude, laquelle suppose que ledit établissement ait utilisé, lors de l'octroi des concours fautifs, des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou ait été animé par l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative et prohibitive ; qu'en considérant, pour condamner la Banque populaire du Sud à réparer le préjudice subi en raison du soutien abusif apporté à l'Earl Domaine du [6] et à M. [G] [U] à compter de mai 2009 et pour annuler l'hypothèque conventionnelle consentie en garantie du prêt consenti par ce dernier le 8 octobre 2009, après avoir retenu que la banque était manifestement à l'origine des prêts relais contractés par M. [U], que les fonds empruntés avaient intégralement servi à rembourser les échéances des emprunts et que les prêts relais litigieux faisaient partie d'un montage financier d'ensemble orchestré par la banque pour tenter de maintenir l'activité de l'Earl du Domaine du [6], et qu'en conséquence, l'octroi par personnes interposées de prêts à cette Earl qui, dans une situation irrémédiablement compromise, ne pouvait assurer la charge de ses emprunts, caractérisait l'utilisation par la banque de procédés constitutifs de manoeuvres contraires aux lois et règlements permettant d'éluder l'application d'une loi impérative en matière de procédure collective avec la volonté caractérisée d'éluder l'application de la loi impérative visant l'état de cessation des paiements et le principe de l'égalité des créanciers, la cour d'appel, qui s'est bornée à caractériser le caractère fautif des concours consentis, s'est prononcée par des motifs impropres à établir que la Banque populaire du Sud avait commis une fraude, lors de l'octroi jugé fautif des prêts relais, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1 du code de commerce ;

4°/ qu'en ajoutant, pour condamner la Banque populaire du Sud à réparer le préjudice subi en raison du soutien abusif apporté à l'Earl Domaine du [6] et à M. [U], annuler l'hypothèque conventionnelle consentie en garantie du prêt consenti par ce dernier le 8 octobre 2009 et commettre un expert avec notamment pour mission de réunir tous les éléments d'appréciation utiles permettant au tribunal de déterminer le préjudice subi à compter du 15 avril 2008, qu'en ne mettant pas le billet à l'ordre à l'encaissement le 15 avril 2008 et plus généralement, en laissant arriver le billet à ordre à échéance sans réagir, la banque avait commis une fraude qui avait retardé l'ouverture de la procédure collective prononcée, de manière inéluctable, en 2012, sans constater en quoi l'absence de réaction à l'échéance du billet à ordre avait été frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 650-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 650-1 du code de commerce :

8. Aux termes de ce texte, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci.

9. Constitue un acte frauduleux, au sens de ce texte, celui réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive.

10. Pour condamner la banque à réparer le préjudice subi en raison du soutien abusif apporté à l'EARL et à M. [U] à compter de mai 2009 et pour annuler l'hypothèque conventionnelle consentie en garantie du prêt consenti par ce dernier, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la banque, en ne mettant pas le billet à ordre à l'encaissement, et en incitant M. et Mme [U] à souscrire les deux prêts relais dont les fonds ont intégralement servi à rembourser les échéances des emprunts et qui faisaient partie d'un montage financier d'ensemble orchestré par la banque pour tenter de maintenir l'activité de l'EARL, a usé de manoeuvres contraires aux lois et règlements permettant d'éluder l'application d'une loi impérative en matière de procédure collective avec la volonté caractérisée d'éluder l'application de la loi visant l'état de cessation des paiements et le principe de l'égalité des créanciers.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une fraude commise par la banque et sans constater en quoi l'absence de réaction de la banque à l'échéance du billet à ordre était frauduleuse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi principal ni sur le pourvoi incident devenu sans objet, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déclare M. [Y], mandataire judiciaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Domaine [6] et de M. [U] recevable et bien fondé en son action engagée à l'encontre de la société Banque populaire du Sud pour soutien abusif à compter de mai 2009, condamne la société Banque populaire du Sud à réparer le préjudice subi par M. [Y], mandataire judiciaire, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Domaine [6] et de M. [U] en raison du soutien abusif apporté à ces derniers à compter de mai 2009, sursoit à statuer sur le préjudice, ordonne avant dire-droit une expertise et ordonne la nullité de l'hypothèque conventionnelle consentie selon acte de prêt avec affectation hypothécaire du 8 octobre 2009 de M. [E] notaire à [Localité 8] par M. [G] [U] sur les biens et droits immobiliers sis à [Localité 7] [Adresse 1] et [Adresse 2], cadastrés section HN n° [Cadastre 4], lots n° 121, 122 et 123 et la radiation de l'inscription d'hypothèque conventionnelle inscrite au premier bureau de la conservation des hypothèques de Montpellier le 30 août 2012, volume 2012 V n° 6914 en renouvellement de l'inscription en date du 16 novembre 2009 volume 2009 V n° 5915 pour un montant principal de 400 000 euros sur les biens et droits immobiliers sis à [Localité 7] [Adresse 1] et [Adresse 2], cadastrés section HN n° [Cadastre 4], lots n° 121, 122 et 123 ainsi que la radiation du commandement publié à la conservation des hypothèques le 6 février 2013, volume 2013 S n° 19 et les formalités subséquentes, l'arrêt rendu le 18 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. [Y], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Domaine du [6] et de M. [U], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

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