17 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-24.687

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00066

Texte de la décision

SOC. / ELECT

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 janvier 2024




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 66 F-D

Pourvoi n° P 22-24.687




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024

1°/ Le syndicat de salariés Fédéchimie FO, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ M. [M] [L], domicilié [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° P 22-24.687 contre le jugement rendu le 13 décembre 2022 par le tribunal judiciaire de Bergerac (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant à la société Eurenco, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Gury & Maitre, avocat du syndicat de salariés Fédéchimie FO, de M. [L], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Eurenco, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bouvier, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Bergerac, 13 décembre 2022), M. [L], salarié de la société Manuco depuis le 17 septembre 1997, a été désigné en qualité de délégué syndical par le syndicat Fédéchimie FO (le syndicat) à la suite des élections professionnelles s'étant déroulées au sein de cette société le 5 décembre 2019.

2. Le 1er octobre 2022, la société Manuco a été absorbée par la société Eurenco, à laquelle ont été transférés les contrats de travail de l'ensemble des salariés en application de l'article L. 1224-1 du code du travail.

3. Par lettre notifiée à la société Eurenco le 14 novembre 2022, le syndicat a désigné M. [L] en qualité de délégué syndical.

4. Soutenant que le syndicat ne justifiait pas de sa représentativité au sein de la société Eurenco pour procéder valablement à la désignation d'un délégué syndical, cette dernière a saisi le tribunal judiciaire, le 28 novembre 2022, d'une demande d'annulation de la désignation du salarié en qualité de délégué syndical.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le syndicat et le salarié font grief au jugement d'annuler la désignation du salarié en qualité de délégué syndical au sein de la société Eurenco, alors :

« 1°/ que, d'une part, si l'entreprise absorbée à la suite d'une fusion ne conserve pas son autonomie, les travailleurs transférés qui étaient représentés avant le transfert doivent continuer à être convenablement représentés durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs, et que, d'autre part, la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral ; qu'en annulant la désignation du délégué syndical dans la société absorbante aux motifs que la société absorbée avait perdu son autonomie juridique et que l'organisation syndicale ne disposait pas de la représentativité électorale dans la société absorbante au jour de la fusion, le tribunal judiciaire a violé les articles L 2143-3, L 2122-2 et L 2121-1 du code du travail, et, par fausse application, l'article L 2143-10 du même code, interprétés à la lumière de l'article 6, § 1, de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 ;

2°/ que si l'application de ces principes fait question, celle-ci doit être posée à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 2143-10 du code du travail, en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur telle que mentionnée à l'article L. 1224-1, le mandat du délégué syndical ou du délégué syndical central subsiste lorsque l'entreprise qui fait l'objet de la modification conserve son autonomie. Il en est de même lorsque la modification porte sur un établissement au sens de l'article L. 2143-3.

7. Il en résulte qu'en cas de perte d'autonomie de l'entité transférée au sens de l'article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 29 juillet 2010, UGT-FSP, aff. C-151/09), le mandat du délégué syndical prend fin à la date du transfert.

8. La Cour de justice de l'Union européenne, dans l'arrêt précité, a précisé ainsi : « dans une situation dans laquelle les travailleurs relèvent, à la suite du transfert, de responsables dont les pouvoirs organisationnels ont été réduits et ne peuvent plus être qualifiés d'autonomes, les intérêts de ces travailleurs ne sont dès lors plus les mêmes et, par conséquent, les modalités et les conditions de leur représentation doivent s'adapter aux changements survenus. C'est pourquoi, ainsi qu'il ressort de l'article 6, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 2001/23, le mandat des représentants des travailleurs concernés par le transfert doit, dans un tel cas de figure, être limité à la seule période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs » (§ 46).

9. A cet égard, l'article L. 2143-3 du code du travail fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-3.

10. La Cour de cassation juge qu'en vertu des dispositions de ce texte, chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, est en droit de désigner un délégué syndical. L'obligation de choisir ce délégué en priorité parmi les candidats qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles n'a pas pour objet ou pour effet de priver cette organisation syndicale du droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail ou les accords collectifs dès lors qu'elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation. Il en résulte qu'un syndicat représentatif au sein de l'entreprise d'accueil de salariés dont le contrat de travail a été transféré peut se prévaloir du deuxième alinéa de l'article L. 2143-3 du code du travail, interprété à la lumière des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, pour désigner l'un des salariés transférés en qualité de délégué syndical au sein de l'entreprise d'accueil (Soc., 19 février 2014, pourvoi n° 13-14.608, Bull. 2014, V, n° 57 ; Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 14-18.653, Bull. 2015, V, n° 90).

11. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2142-1-1 du code du travail, chaque syndicat qui constitue, conformément à l'article L. 2142-1, une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement d'au moins cinquante salariés peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement. Le représentant de la section syndicale exerce ses fonctions dans le cadre des dispositions du présent chapitre. Il bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l'exception du pouvoir de négocier des accords collectifs.

12. Enfin, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral y compris en cas de modification du périmètre de l'entreprise (Soc., 19 février 2014, pourvoi n° 13-16.750, Bull. 2014, V, n° 59 ; Soc., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-20.710, publié ; Soc., 5 janvier 2022, pourvoi n° 21-13.141, publié).

13. D'abord, le tribunal, qui a relevé qu'il n'était pas contesté qu'à la suite de la fusion-absorption par la société Enrenco de la société Manuco, celle-ci n'avait pas conservé son autonomie, en a exactement déduit que le mandat de délégué syndical du salarié avait pris fin le 1er octobre 2022, date de son transfert.

14. Ensuite, ayant constaté que le syndicat, qui n'avait pas obtenu un score électoral d'au moins 10 % lors des dernières élections professionnelles de l'entreprise d'accueil, n'était pas représentatif au sein de celle-ci, le tribunal a retenu à bon droit que le syndicat ne pouvait valablement procéder à la désignation d'un délégué syndical au sein de la société Eurenco, en sorte que la désignation du salarié en cette qualité devait être annulée.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

16. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle soumise par le syndicat et le salarié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;

REJETTE le pourvoi ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

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