17 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-22.561

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00036

Texte de la décision

SOC.

ZB1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 janvier 2024




Rejet


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 36 F-D


Pourvois n°
C 22-22.561
D 22-22.562 JONCTION





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 JANVIER 2024

La société GE Hydro France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé les pourvois n° C 22-22.561 et D 22-22.562 contre deux arrêts rendus le 15 septembre 2022 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans les litige l'opposant
respectivement à :

1°/ à Mme [R] [X], domiciliée [Adresse 4],

2°/ à M. [W] [H], domicilié [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur, invoque, à l'appui chacun de ses pourvois, un moyen de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société GE Hydro France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [H], de Mme [X], après débats en l'audience publique du 5 décembre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 22-22.561 et D 22-22.562 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Grenoble, 15 septembre 2022), la société GE Hydro France (la société) a engagé en 2017 des négociations en vue de la conclusion d'un accord portant plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) dans le cadre d'un licenciement économique collectif fondé sur la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et celle du groupe, touchant son établissement de [Localité 3].

3. Un projet d'accord de sauvegarde de l'emploi a été remis le 7 juillet 2017 par l'employeur aux représentants du personnel et aux organisations syndicales représentatives, puis il a présenté le 7 décembre 2017 un document unilatéral comportant nouveau plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), que la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) a refusé d'homologuer le 12 janvier 2018, enfin un accord collectif majoritaire portant PSE a été conclu le 22 mai 2018 validé par la Direccte le 1er juin suivant.

4. Le 5 avril 2018, un accord collectif de suspension du contrat de travail des salariés de l'établissement de [Localité 3] ayant trouvé un emploi extérieur, permettant les départs volontaires anticipés, a été conclu.

5. Mme [X] et M. [H], engagés par la société en qualité respectivement d'assistante commerciale et de technicien essais au sein de l'établissement de [Localité 3], qui avaient démissionné entre le 31 janvier et le 14 mars 2018 pour un emploi auprès d'autres entreprises alors que les négociations du PSE étaient en cours, ont saisi la juridiction prud'homale de demandes à titre principal indemnitaires, considérant qu'ils ont été exclus à tort du bénéfice des mesures d'accompagnement du PSE, subsidiairement au titre de l'exécution de leur contrat de travail et à titre infiniment subsidiaire au titre de leur démission équivoque.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième à huitième branches


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches

Enoncé du moyen

7.L'employeur fait grief aux arrêts de requalifier les démissions des salariés en prises d'acte produisant les effets de licenciements sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à leur payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que le juge est tenu de respecter l'objet du litige tel qu'il résulte des prétentions des parties ; qu'en l'espèce, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, la salariée demandait à la cour d'appel de juger que sa démission ''n'était pas libre'' et devait être ''requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse'' ; que, dans le corps de ses conclusions, elle soutenait que sa démission était affectée d'un vice du consentement, pour avoir été ''contrainte par la menace de licenciements économiques'', précisant que ''c'est parce que sa démission n'était pas libre, que son consentement était vicié, qu' [elle] demande la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse'' ; qu'en conséquence, en décidant de ''requalifier la démissions en prise d'acte'', au motif qu'elle ''est liée au contexte de négociations retardées du PSE et qu'elle résulte donc des manquements de l'employeur quant aux négociations du PSE et aux négociations tardives de l'accord de suspension des contrats de travail'', la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que la prise d'acte de la rupture du contrat n'est justifiée qu'en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ; que les manquements commis par l'employeur dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, qui ont pour effet de retarder la validation ou l'homologation de ce plan par l'autorité administrative et l'ouverture du dispositif de départ volontaire prévu par ce plan, ne sont pas de nature à empêcher la poursuite de l'exécution du contrat des salariés potentiellement concernés par ce plan ; qu'en affirmant que la démission, qui ''est liée au contexte des négociations retardées du PSE et (…) résulte donc des manquements de l'employeur quant aux négociations du PSE et aux négociations tardives de l'accord de suspension des contrats de travail'', ''apparait contrainte en raison de manquements fautifs de la société dans le cadre des négociations du plan de sauvegarde de l'emploi'', pour en déduire ''qu'il y a lieu de la requalifier en prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse'', sans expliquer en quoi les ''manquements fautifs'' dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi et la conclusion d'un accord de suspension des contrats faisaient obstacle à la poursuite de l'exécution du contrat de travail de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1232-1 et L. 1237-2 du code du travail ;

3°/ que ni la présentation d'un projet de licenciement collectif accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi, ni les manquements éventuels commis par l'employeur dans la négociation du plan de sauvegarde de l'emploi ou de mesures de départ anticipé, ne constituent une violence susceptible de vicier le consentement des salariés qui choisissent de 2 démissionner avant l'adoption du plan de sauvegarde de l'emploi et sa validation ou son homologation afin de s'engager sans attendre au service d'un autre employeur ; qu'en retenant que la démission de la salariée qui ''est liée au contexte des négociations retardées du PSE et (…) résulte des manquements de l'employeur quant aux négociations du PSE et aux négociations tardives de l'accord de suspension des contrats de travail'' ''apparaît contraintes en raison de manquements fautifs de la société'', la cour d'appel n'a pas caractérisé de vice du consentement, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1130, 1131 et 1140 du code civil ;

4°/ que le caractère équivoque d'une démission, qui suffit à la requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit porter sur la volonté du salarié de mettre fin au contrat ; qu'en se bornant à relever qu'en raison du contexte des négociations liées au PSE et des manquements de l'employeur quant aux négociations du PSE et de l'accord de suspension des contrats de travail, la démission ne peut qu'être considérée comme équivoque, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'absence de volonté claire et non-équivoque de la salariée de mettre fin à son contrat de travail, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-1 et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. Lorsqu'un salarié démissionne en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture constitue une prise d'acte qui entraîne la cessation immédiate du contrat de travail et produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

9. La cour d'appel a d'abord constaté que les différentes lettres de démission mentionnaient le contexte de la réorganisation de l'entreprise et l'annonce du plan de sauvegarde de l'emploi, le fait que la catégorie professionnelle des salariés était concernée par les suppressions de postes dans le cadre du PSE en cours de négociation ainsi que le refus de l'employeur de faire droit à leur demande de suspension du contrat de travail afin de leur permettre de rechercher un emploi, de tester un nouvel emploi ou de se reconvertir, ce dont elle a exactement déduit, en redonnant aux faits leur exacte qualification juridique, que la rupture du contrat résultant de la démission des salariés dont la manifestation de volonté était équivoque, devait s'analyser en une prise d'acte.

10. Elle a ensuite retenu que la société avait commis un manquement volontaire dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi sous forme de document unilatéral en ne prenant pas en compte les différentes alertes tant de l'administration que des représentants du personnel concernant les incertitudes et irrégularités dans l'élaboration des catégories professionnelles entre l'été 2017 et la demande d'homologation déposée le 22 décembre 2017, ce qui avait abouti au refus d'homologation le 12 janvier 2017 et conduit à un rallongement considérable des délais d'adoption du plan et de sa mise en oeuvre, contraignant les salariés, ayant cherché un autre poste en réaction à l'annonce du PSE dans le courant de l'été 2017, à démissionner avant l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi en juin 2018.

11. Elle a également relevé que le plan de sauvegarde de l'emploi étant en négociation depuis l'été 2017 et alors qu'elle avait prévu le début de la phase des départs volontaires courant janvier 2018, la société avait fait preuve de mauvaise foi en n'ayant pas pris en compte les demandes massives de suspension de contrat de travail, d'autant qu'elle aurait pu les anticiper. Elle a ajouté qu'en refusant automatiquement les suspensions des contrats de travail et en laissant les salariés dans l'ignorance quant aux négociations de l'accord qui sera finalement conclu en avril 2018, le mail d'information du 23 mars 2018 étant tardif et postérieur aux démissions, la société avait délibérément exclu les salariés de ce dernier, les contraignant soit à refuser l'embauche proposée par un autre employeur en attendant l'adoption définitive du PSE, soit à démissionner.

12. Ayant ainsi caractérisé des manquements de l'employeur dans le cadre de la négociation du plan de sauvegarde de l'emploi, elle a pu retenir qu'ils avaient empêché la poursuite du contrat de travail et en a exactement déduit que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société GE Hydro France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société GE Hydro France et la condamne à payer à Mme [X] et M. [H] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept janvier deux mille vingt-quatre.

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