11 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.986

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:C200012

Texte de la décision

CIV. 2

LC



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 janvier 2024




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 12 F-D

Pourvoi n° T 21-24.986



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2024

1°/ Mme [B] [W], domiciliée [Adresse 1],

2°/ Mme [F] [W], épouse [M], domiciliée [Adresse 2],

3°/ M. [P] [W], domicilié [Adresse 1],

tous trois agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de [E] [W], décédé le 12 novembre 2016,

ont formé le pourvoi n° T 21-24.986 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige les opposant :

1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle, dont le siège est [Adresse 3], intervenant pour le compte de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines,

2°/ à l'Agent judiciaire de l'État, domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Coutou, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mmes [B] [W], [F] [W], épouse [M], et de M. [W], tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droit de [E] [W], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de l'Agent judiciaire de l'État, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 21 novembre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Coutou, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, Mme Tuffreau, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 7 octobre 2021), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la caisse), par décision du 31 juillet 2013, a pris en charge, au titre du tableau n° 25 des maladies professionnelles, la pathologie déclarée par [E] [W] (la victime), salarié des Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits desquelles se sont successivement trouvés l'établissement public Charbonnages de France, puis l'Agent judiciaire de l'Etat (l'employeur).

2. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

3. Après son décès, survenu le 12 novembre 2016, ses ayants droit ont repris l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les ayants droit font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime, alors « que la rente versée à la victime d'une maladie professionnelle n'indemnise pas le préjudice lié aux souffrances physiques et morales endurées par elle de sorte que lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, indépendamment de la majoration de sa rente, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation des souffrances endurées ; qu'en l'espèce, pour débouter les ayant droits de leurs demandes de dommages et intérêts en réparation des souffrances morales et physiques endurées par la victime, la cour d'appel a énoncé que la rente versée à la victime indemnisait notamment le déficit fonctionnel permanent, que seraient réparables, de manière autonome les souffrances physiques et morales postérieures à la consolidation mais non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent et qu'en l'espèce, s'il était indéniable que postérieurement à la consolidation, la victime avait souffert tant moralement que physiquement, il n'était pas démontré en quoi ses souffrances étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L.434-1, L.434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale :

5. Selon le dernier de ces textes, indépendamment de la majoration de la rente ou de l'indemnité en capital qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit de demander à celui-ci devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

6. Il est désormais jugé que la rente ou l'indemnité en capital versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947, publiés).

7. Il en résulte que la victime d'une faute inexcusable peut prétendre à la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, que la rente ou l'indemnité en capital n'ont pas pour objet d'indemniser.

8. Pour rejeter la demande des ayants droit en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, l'arrêt retient en substance que la rente versée à la victime d'un accident ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, et qu'il appartient alors à la victime ou à ses ayants droit de démontrer l'existence de souffrances physiques et morales distinctes de celles indemnisées par la rente dans le cadre du déficit fonctionnel permanent.

9. Il ajoute que si la victime a connu des souffrances physiques après la consolidation de son état de santé, l'ensemble de ces douleurs ont été réparées par la rente dans le cadre du déficit fonctionnel, et que, s'agissant des souffrances morales postérieures à la consolidation, celle-ci a souffert d'une anxiété importante du seul fait de se savoir atteinte d'une pathologie respiratoire incurable dont bon nombre de ses anciens collègues étaient atteints, et de la conscience d'avoir travaillé dans un environnement dangereux, il n'en reste pas moins que cette seule affirmation ne suffit pas à démontrer en quoi les souffrances morales invoquées étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement rendu le 4 septembre 2018, rectifié par jugement du 27 novembre 2018, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Poitiers en ce qu'il a fixé l'indemnisation des préjudices personnels du défunt au bénéfice de la succession à la somme de 30 000 euros au titre des souffrances physiques endurées et à celle de 40 000 euros au titre des souffrances morales endurées et rejette les demandes de dommages-intérêts formulées par Mme [B] [W], Mme [F] [W] et M. [P] [W] en réparation des souffrances morales et physiques de M. [E] [W], l'arrêt rendu le 7 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne l'Agent Judiciaire de l'Etat aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Agent Judiciaire de l'Etat et le condamne à payer à aux consorts [W] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;



Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-quatre.

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