10 janvier 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-15.782

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2024:SO00023

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL - Convention de forfait - Convention de forfait sur l'année - Convention de forfait en jours sur l'année - Validité - Conditions - Accord collectif conforme aux dispositions légales - Défaut - Effets - Conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours - Possibilité - Obligations de l'employeur - Manquement - Sanction - Portée

En cas de manquement de l'employeur à l'une des obligations prévues par l'article L. 3121-65 du code du travail, l'employeur ne peut pas se prévaloir du régime dérogatoire institué par ce texte et la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l'accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l'article L. 3121-64, II, 1° et 2°, est nulle

Texte de la décision

SOC.

HP



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 janvier 2024




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 23 FS-B+R

Pourvoi n° J 22-15.782




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 JANVIER 2024

La société Eurac, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 22-15.782 contre l'arrêt rendu le 10 février 2022 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [T] [L], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

M. [L] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Eurac, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [L], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Rouchayrole, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 10 février 2022), M. [L] a été engagé en qualité de coordinateur salons professionnels à l'international le 1er octobre 2016. Le contrat contenait une convention de forfait en jours.

2. Par lettre du 4 juillet 2018, le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle.

3. Le 29 janvier 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal de l'employeur et le moyen du pourvoi incident du salarié


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler la convention individuelle de forfait en jours, alors :

« 1°/ qu'applique valablement la convention de forfait en jours l'employeur qui a mis en place un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées et demi-journées travaillées lorsque le salarié a validé les documents de suivi mensuel ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles, s'agissant du respect des conditions posées à l'article L. 3121-65 du code du travail, l'employeur avait bien mis en place un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées et que M. [L] reconnaissait avoir validé chaque suivi mensuel d'activité présenté par l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-65 du code du travail ;

2°/ qu'en s'étant bornée à rappeler que le salarié alléguait "qu'il lui a été interdit de procéder à toute modification du document adressé par le service en charge des ressources humaines", sans avoir vérifié la réalité de cette allégation contestée par l'employeur, et en s'étant bornée à relever que le tableau de suivi ne reflète pas la réalité des jours travaillés de M. [L] et n'est pas renseigné correctement, sans avoir caractérisé en quoi les erreurs n'étaient pas imputables au salarié qui avait validé chaque suivi mensuel d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-65 du code du travail ;

3°/ que l'absence de preuve par l'employeur de l'exécution de l'obligation d'organiser un entretien portant sur la charge de travail du salarié, n'entraîne pas la nullité de la convention de forfait ; qu'en relevant que le document produit par l'employeur pour justifier de la tenue d'un entretien annuel n'avait pas de force probante, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-65 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 3121-65, I, du code du travail, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes :
1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

7. En cas de manquement à l'une de ces obligations, l'employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l'article L. 3121-65 du code du travail. Il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l'accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l'article L.3121-64, II, 1° et 2°, du même code, est nulle.

8. Après avoir retenu à bon droit que l'accord collectif du 5 septembre 2003, qui permettait le recours au forfait en jours, n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 3121-64 du code du travail, la cour d'appel a vérifié que les dispositions de l'article L. 3121-65 du même code avaient été respectées. Elle a, d'abord, constaté que les tableaux de suivi ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important qu'ils aient pu être renseignés par l'intéressé dès lors que ceux-ci doivent être établis sous la responsabilité de l'employeur et a estimé que, dans ces conditions, il apparaissait impossible à l'employeur de s'assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire. La cour d'appel a, ensuite, constaté que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation d'organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.

9. La cour d'appel en a exactement déduit que la convention individuelle de forfait en jours était nulle.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Eurac aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurac et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille vingt-quatre.

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