21 décembre 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/05912

Pôle 6 - Chambre 7

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2023



(n° 557 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05912 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCK4X



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 juillet 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/05839





APPELANTE

S.A.R.L. VNCA

Inscrite au RCS de PARIS sous le n° 753 714 724

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : R090





INTIMÉ

Monsieur [L] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Nathalie MAIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller



Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 14 décembre 2023 et prorogé au 21 décembre 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.








FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



La société VNCA est une société de conseil en banque et assurance, qui a pour activité le commissariat aux comptes et la formation relative aux objets de conseil et prestations de gestion en stratégie, management, finance, fiscalité et redressement d'entreprises. Employant moins de 11 salariés, elle est la filiale de la société VINIT Conseil et Audit et applique la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.



M. [L] [D] a été embauché par la société VNCA, par contrat à durée indéterminée du 04 novembre 2015, en qualité de directeur commercial. M. [D] avait été reconnu salarié handicapé le 9 septembre 2015.



M. [D] et la société VNCA ont envisagé un projet d'association qui n'a pas abouti.



Du 12 au 14 mars 2018 et du 17 au 20 juillet 2018, le salarié a bénéficié d'arrêts maladie. Un nouvel arrêt maladie a été ordonné du 4 septembre au 1er octobre 2018, renouvelé jusqu'au 7 novembre 2018.



Par courrier du 12 octobre 2018, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 octobre 2018.



Par lettre recommandée avec avis de réception du 26 octobre 2018, la société VNCA a notifié à M. [D] son licenciement pour cause réelle et sérieuse. A l'issue de sa période de préavis, dont il n'a pas été dispensé mais qu'il n'a pas exécutée, se trouvant en arrêts maladie, le salarié a reçu ses documents de fin de contrat.



En dernier lieu, il percevait un 'forfait cadre' de 5 000 euros bruts, outre certains mois une prime sur objectifs.



Contestant la mesure de licenciement, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 1er juillet 2019.



Par jugement contradictoire du 20 juillet 2020, le conseil de prud'hommes a :

- fixé le salaire mensuel moyen à 8.094,33 euros,

- dit que le licenciement de M. [D] est jugé nul,

- condamné la société VNCA à payer à M. [D] les sommes suivants :

* 1.835,20 euros sous déduction de 1.714,05 euros déjà payés au titre de la prime conventionnelle de vacances pour les années 2015 à 2018,

* 5.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail (nullité de la convention de forfait jours),

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et jusqu'au jour du paiement,

- rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite du maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et fixé cette moyenne à la somme de 8.094,33 euros,

* 50.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* 1.800 euros à titre d'indemnité d'occupation de domicile,

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

* 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société VNCA à remettre à M. [D] les documents légaux conformes au jugement,

- rappelé qu'en vertu de l'article R.1454-28 du Code du Travail, cette condamnation est exécutoire de droit à titre provisoire,

- débouté M. [D] du surplus de ses demandes,

- débouté la société VNCA de sa demande reconventionnelle,

- condamné la partie défenderesse au paiement des entiers dépens.



Par déclaration notifiée par le RPVA le 15 septembre 2020, la société VNCA a interjeté appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 04 novembre 2021, la société VNCA demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- fixé le salaire moyen de M. [D] à la somme de 8.094,33 euros bruts ;

- jugé le licenciement de M. [D] nul ;

- condamné la société VNCA à payer à M. [D] les sommes suivantes, outre les intérêts légaux afférents :

* 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours ;

* 1.800 euros à titre d'indemnité d'occupation ;

* 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné à la société VNCA de délivrer à M. [D] les documents conformes ;

- condamné la société VNCA aux entiers dépens ;

- débouté la société VNCA de sa demande de débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société VNCA de sa demande de condamnation de M. [D] à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de ses demandes de condamnation de la société VNCA à lui verser les sommes suivantes :

* 24 283 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 2 428,30 euros au titre des congés payés y afférents ;

* 242,83 euros à titre de prime conventionnelle de vacances y afférente ;

Par conséquent, il est demandé à la Cour d'appel de bien vouloir :

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, excepté celle portant sur la prime conventionnelle de vacances ;

- condamner M. [D] à lui verser la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.



Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 04 mars 2021, M. [D] demande à la cour de :

- le recevoir en ses conclusions, fins et prétentions ;

- confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris le 20 juillet 2020 (RG n°19/05839) en ce qu'il a :

- fixé le salaire mensuel moyen à la somme de 8.094,33 euros ;

- dit que le licenciement de M. [D] est jugé nul ;

- condamné la société VNCA à payer à M. [D] la somme de 1.835,20 euros sous déduction de 1.714,06 euros déjà payée au titre de la prime conventionnelle de vacances pour les années 2015 à 2018 ;

- condamné la société VNCA au titre de l'exécution déloyale de la convention de forfait en jours

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation et jusqu'au jour du paiement ;

- condamné la société VNCA à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- condamné la société VNCA au titre de l'indemnité d'occupation de domicile ;

avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement à intervenir ;

- condamné la société VNCA à payer la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société VNCA à remettre à M. [D] les documents légaux conformes au jugement ;

- débouté la société VNCA de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société VNCA au paiement des entiers dépens ;

- infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris le 20 juillet 2020 (RG n°19/05839) en ce qu'il a :

- fixé le montant de l'indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours à la somme de 5.000 euros ;

- fixé le montant de l'indemnité pour licenciement nul à la somme de 50.000 euros ;

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation du domicile à la somme de 1.800 euros ;

- débouté M. [D] du surplus de ses demandes ;

En conséquence, statuant à nouveau, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

- juger son licenciement nul, subsidiairement dépourvu de motif réel et sérieux ;

- condamner la société VNCA à lui payer les sommes suivantes :

* 24.282,99 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 2.428,30 euros au titre des congés payés y afférents ;

* 242,83 euros à titre de prime conventionnelle de vacances y afférente ;

* 24,28 euros à titre de congés payés y afférents ;

* 1.835,20 euros à titre de prime conventionnelle de vacances pour les années 2015 à 2018 ;

* 183,52 euros au titre des congés payés y afférents.

lesdites sommes majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation à l'audience du Bureau de conciliation et d'orientation, valant mise en demeure de payer,

* 90.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;

* 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours ;

* 1.865,29 euros à titre d'indemnité d'occupation professionnelle de son domicile personnel, subsidiairement à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation des dispositions de l'article L. 1222-10 du code du travail ;

* 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

lesdites sommes majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir.

- juger que les intérêts des capitaux échus pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- ordonner à la société VNCA de lui délivrer un bulletin de paie et une attestation destinée à Pôle Emploi conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 60 euros par document et par jour de retard, à compter de la date de notification à la société VNCA dudit arrêt ;

- se réserver le pouvoir de liquider lesdites astreintes ;

- débouter la société VNCA de ses demandes à toutes fins qu'elles comportent ;

- condamner la société VNCA aux entiers dépens.



Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.



L'instruction a été déclarée close le 6 septembre 2023.




MOTIFS



Sur l'exécution du contrat de travail



Sur l'exécution loyale du contrat liée au forfait en jours



La société, qui conclut à l'infirmation du jugement qui a alloué la somme de 5 000 euros pour exécution déloyale du contrat, considère que les stipulations contractuelles relatives au forfait en jours, comme la législation et les règles conventionnelles, ont été parfaitement respectées.



Le salarié sollicite le versement de la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en soutenant que son employeur n'a pas satisfait aux règles attachées au régime de la convention de forfait en jours.



En vertu de l'article L. 3121-39 du code du travail (dans sa rédaction applicable à la période des faits) : 'La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions'.



L'article L.3121-46 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose : 'Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié'.



En vertu de l'avenant du 1er avril 2014 à l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail de la Convention collective applicable, la convention individuelle de forfait jours doit énumérer :

- la nature des missions justifiant le recours à cette modalité';

- le nombre de jours travaillés dans l'année';

- les moyens de contrôle de la durée du temps de travail, notamment un outil de suivi du temps de travail permettant à l'employeur d'assurer 'le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé, de sa charge de travail et de l'amplitude de ses journées de travail' et au salarié de déclencher l'alerte, ainsi que l'existence de deux entretiens annuels à l'occasion desquels sont évoquées la charge individuelle de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie privée et enfin la rémunération du salarié.



L'article 4 du contrat de travail prévoyait un forfait annuel de 218 jours et au titre du suivi du temps de travail et du volume de travail, que le respect des dispositions contractuelles et légales serait suivi au moyen, d'une part, d'un système déclaratif que le salarié s'engageait à remplir avec notamment le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées et, d'autre part, de deux entretiens annuels avec son supérieur hiérarchique.



Si la société justifie que le salarié s'est engagé par écrit à 'remplir de façon hebdomadaire les timesheets et à remettre la timesheet mensuelle le dernier jour du mois' et qu'il avait accès à la plate-forme RH, le conseil de prud'hommes a exactement retenu que 's'il existe un logiciel de suivi des temps de travail, la société VNCA ne fournit pas les contenus éventuellement saisis et ne donne aucune indication sur le suivi des jours travaillés, ce qui est de sa responsabilité'. En effet, s'il est produit une capture d'écran d'un outil de gestion RH, l'employeur ne justifie pas du contenu de cet outil de suivi, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier sa conformité aux dispositions conventionnelles.



De même, si la société soutient que le salarié a fait l'objet 'd'entretiens très réguliers relatifs notamment à sa charge de travail', elle n'en justifie pas et le conseil de prud'hommes a constaté pertinemment que s'il existait des points réguliers entre M. [D] et sa hiérarchie, aucun ne mentionne la charge de travail et les autres obligations de l'avenant du 1er avril 2014 à l'accord national du 22 juin 1999. En effet, outre le fait qu'aucun compte rendu de ces réunions n'est produit, aucun ne mentionne 'en objet' l'exécution de la convention de forfait ou la durée et la charge de travail du salarié.



Par ailleurs, l'intimé relève à juste titre que la société dans ses conclusions reconnaît elle même que puisqu'il avait bénéficié de longues périodes de télétravail, elle n'avait 'aucune possibilité physique de vérifier l'étendue de ses horaires, lui seul pouvant l'alerter'.



En effet, il importe peu que le salarié n'ait jamais alerté sa direction quant à une charge de travail trop importante, ou d'horaires excessifs, puisqu'il appartient à l'employeur de veiller au respect des règles de suivi d'une convention de forfait en jours, sans laisser reposer ce contrôle sur le salarié, même si ce dernier exerce son activité en télétravail.



Il en découle que, d'une part, l'employeur n'a pas veillé au respect des règles mises en place en son sein concernant la communication par le salarié de ses temps travaillés et, d'autre part, n'a pas non plus organisé d'entretien portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise et l'articulation entre la vie professionnelle et personnelle, en violation des règles conventionnelles et légales, ce qui caractérise l'exécution déloyale alléguée.



Sur l'évaluation de son préjudice, le salarié soutient l'existence d'un lien entre l'exécution déloyale de sa convention de forfait et la dégradation de son état de santé en rappelant notamment qu'il a été reconnu comme étant travailleur handicapé et que le 26 janvier 2017, à la suite d'un arrêt maladie, il a été temporairement déclaré inapte à reprendre ses fonctions puis, le 9 février 2017, apte à les exercer sous réserve d'un télétravail et sans déplacements professionnels, avant d'être le 4 septembre 2018 arrêté par son médecin traitant pour de nombreux mois.



S'il ressort de ces éléments que l'état de santé de M. [D] s'est dégradé durant l'exécution de la relation contractuelle, force est de constater que le salarié n'invoque ni l'existence d'une surcharge de travail, ni ne communique d'éléments sur les horaires importants qu'il aurait exécutés avec une conséquence sur son état de santé.



Toutefois, s'il ne justifie pas d'un préjudice à hauteur de la somme réclamée, il n'en demeure pas moins que la violation par la société de son obligation a privé le salarié, reconnu comme travailleur handicapé, de la possibilité d'échanger avec son employeur sur sa charge de travail ou tout autre point en relation avec sa convention de forfait en jours.



Le préjudice en résultant a été exactement fixé par le conseil de prud'hommes à la somme de 5 000 euros.



Sur l'indemnité d'occupation



Au soutien de sa demande, M. [D] fait valoir que durant sa période de télétravail sur préconisation du médecin du travail, il a occupé durant 15 mois (du 4 mai 2017 au 4 septembre 2018), pour ses besoins professionnels, environ 4 m2 de son domicile qui en comptait 34 et pour lequel il supporte un loyer mensuel de 1 057,00 euros.



Les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l'employeur.



En vertu de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, les frais engagés par le salarié en situation de télétravail sont considérés comme des frais professionnels, sous réserve que les remboursements effectués par l'employeur soient justifiés par la réalité des dépenses professionnelles supportées par le télétravailleur. Les frais concernés sont les frais fixes et variables liés à la mise à disposition d'un local privé pour un usage professionnel.



Le 4 mai 2017, M. [D] a été déclaré apte à reprendre le travail uniquement en télétravail par le médecin du travail, qui a donc considéré qu'il ne pouvait pas exécuter son contrat de travail au sein des locaux de la société VNCA dans de bonnes conditions. Dans les avis successifs tels qu'ils ressortent de 'l'édition du dossier médical' produit aux débats, le médecin a maintenu la préconisation d'un aménagement du poste.



Si, comme le soutient la société, le salarié ne peut pas prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel est mis à sa disposition, en l'occurrence, comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, M. [D] a dû exercer ses missions en télétravail sur demande du médecin du travail et non de son propre chef.



Ce recours au télétravail étant indispensable à la protection de sa santé, il ne pouvait avoir pour effet de réduire le montant de sa rémunération en faisant supporter au salarié les frais professionnels générés par ce recours au télétravail.



Par conséquent, l'utilisation d'un espace de son domicile et de différents matériels à des fins professionnelles justifient l'indemnité de 1800 euros pour le dédommagement des frais qu'il a exposés en télétravail allouée par le jugement qui sera confirmé sur ce point.



Sur la prime de vacances



Le salarié fait valoir que pendant la durée d'exécution de son contrat de travail, il n'a jamais perçu la prime de vacances conventionnellement obligatoire.



La société abandonne en cause d'appel les contestations qu'elle formulait à ce titre et demande à la Cour de prendre acte du paiement de la somme à laquelle elle a été condamnée.



Aux termes de l'article 31 de la convention collective applicable à la société VNCA :

"L'ensemble des salariés bénéficie d'une prime de vacances d'un montant au moins égal à 10 p. 100 de la masse globale des indemnités de congés payés prévus par la convention collective de l'ensemble des salariés".



Le conseil de prud'hommes a jugé que la prime de vacances relative à la période du 4 novembre 2015 au 31 janvier 2018 est due et a condamné la société VNCA à la différence entre la somme de 1.835,20 euros et la somme de 1.714,05 euros déjà payée.



Le salarié reconnaît que la société VNCA lui a payé, au titre de la prime de vacances, la somme de 1.714,05 euros le 1er juin 2020 et la somme de 121,15 euros le 15 octobre 2020.



Le jugement sera donc confirmé sur ce point.



Etant rappelé que les éléments de rémunération dont le montant n'est pas affecté par la prise des congés payés échappent à l'assiette de l'indemnité de congé payé, la demande en paiement de congés payés sur la prime de vacances est rejetée, puisque cette dernière est calculée sur l'année entière, période de travail et période de congés confondues.



Sur le licenciement



Sur le bien fondé de la rupture



Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige, M. [D] a été licencié pour cause réelle et sérieuse, pour les motifs suivants :

- Absences répétées de nature à perturber le fonctionnement de l'entreprise ;

- Négligence dans le reporting des actions sur Salesforce au regard des actions déclarées ;

- Négligence dans le traitement de certains comptes clients existants ;

- Suppression de données confidentielles nécessaires pour le traitement des dossiers ;

- Mauvaise gestion des relations avec les fournisseurs ;

- Comportement de nature à briser la confiance indispensable à la bonne exécution du contrat de travail.



La société soutient que les différents faits invoqués dans la lettre sont établis ; que l'absence de M. [D] était difficile à supporter en raison des importantes fonctions de l'intimé et du faible nombre de salariés à l'époque, rendant nécessaire son remplacement définitif ; qu'il a fait preuve en outre de négligences diverses dans l'exécution de ses missions (reporting des actions sur Salesforce au regard des action déclarées, traitement de certains comptes existants, gestion des relations avec les fournisseurs), avec une suppression de données confidentielles nécessaires pour le traitement des données (à savoir l'ensemble de ses e-mails professionnels entre le 2 mai 2017 et le 3 mai 2018) ; enfin que son comportement a brisé la confiance indispensable à la bonne exécution du contrat de travail.



Le salarié considère que les griefs ne sont pas établis. Il fait valoir en premier lieu que son licenciement est nul car il porte atteinte à plusieurs libertés fondamentales (action en justice, droits de la défense, droit au respect de la vie personnelle, libertés d'entreprendre et d'association) et au principe de non discrimination (état de santé).



Le sixième grief de la lettre de licenciement sur le 'comportement de nature à briser la confiance indispensable à la bonne exécution du contrat de travail' mentionne notamment les faits suivants :

'Lors de discussions dans le cadre d'un projet d'association envisagé depuis trois ans, vous avez mis fin aux négociations à quelques semaines de la signature, sans qu'aucun point de désaccord n'ait été soulevé lors des mois précédents. Dans un premier temps, vous nous avez demandé une exclusion de la clause de non concurrence sur une ligne de services coeur de métier. Vous avez ensuite refusé notre proposition au motif que vous envisagiez un projet de création d'entreprise. A la suite d'une proposition d'aménagement de la clause de non concurrence de notre part, vous avez mis à nouveau fin aux négociations dans un courriel en précisant avoir entendu de nouveaux arguments présentés par votre avocat sans nous apporter plus de précision.

Autrement dit, nous avons été amenés à constater récemment que vous êtes dans une attitude de contestation salariale et de refus de toute proposition et/ou opportunité, attitude qui nous comprenons serait dictée par votre souhait de créer votre propre structure alors même que nous vous avons manifesté à plusieurs reprises notre confiance et notre souhait de vous faire évoluer dans notre structure (...) et en vous proposant de devenir associé (...)'.



La perte de confiance ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement et seuls des éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l'employeur.



La liberté d'entreprendre est un principe général ayant une valeur constitutionnelle. Elle implique le droit de créer et d'exercer librement une activité économique dans le domaine de son choix et comme on l'entend. La vie privée est l'ensemble des activités d'une personne qui relève de son intimité par opposition à la vie publique.



Il découle de la simple lecture de la lettre de licenciement que M. [D] a été notamment licencié pour avoir refusé de devenir associé de la société et avoir émis le souhait de créer sa propre entreprise, en mettant fin aux négociations afférentes au projet d'association avec la société VNCA.



Or, outre le fait que des négociations en vue d'une association ne concernent pas le contrat de travail mais la vie personnelle de M. [D], ce motif de rupture porte également atteinte à la liberté d'entreprendre de l'intimé et de son choix de s'associer ou non.



La société, qui conteste toute atteinte à une liberté fondamentale, soutient qu'en réalité le grief mentionné tient de l'attitude 'agressive' du salarié, mettant fin brutalement aux négociations pour un projet d'association 'envisagé depuis 3 ans'. Or, aucune pièce n'établit une attitude hostile de M. [D] envers elle, les échanges produits aux débats sur ce point étant courtois et exempts de toute agressivité, comme le mail du 1er septembre 2018, dans lequel il indiquait qu' 'afin de ne fermer aucune porte dans un avenir lointain, je préfère donc décliner la signature du pacte en l'état et par la même occasion je décline malheureusement l'opportunité de m'associer au capital de l'entreprise. J'espère que vous comprendrez ma décision et que cela n'altérera en rien nos relations et votre confiance à mon égard, mon engagement pour le cabinet étant total depuis le départ'.



Il ressort de ces observations que le licenciement a été notamment prononcé pour un motif portant atteinte à la liberté d'entreprendre de M. [D], ce qui entraîne à lui seul la nullité de la rupture, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs.



Sur les demandes pécuniaires



M. [D] sollicite la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et 24.283 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 2.428,30 euros au titre des congés payés afférents.



Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul



En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa (notamment pour violation d'une liberté fondamentale telle que celle d'entreprendre) et dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.



L'article L. 1235-2-1 du code du travail précise qu'en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1.



La société justifie qu'à l'issue de son préavis, M. [D] a créé sa propre société, la SAS Enable Partner, dont il est le président, ayant pour activité la réalisation de toutes prestations de conseils et d'assistance opérationnelle aux entreprises, et fait également valoir sa faible ancienneté en son sein, pour soutenir qu'il ne saurait percevoir une quelconque somme supérieure au minimum auquel il a droit légalement, à savoir l'équivalent de ses six derniers mois de salaire.



M. [D] ne produit, quant à lui, aucune pièce sur sa situation postérieure au licenciement.



Par conséquent, eu égard également à son ancienneté au sein de la société et à son âge lors de la rupture, il sera fait droit à sa demande à hauteur du minimum prévu par l'article L. 1235-3-1 du code du travail, à savoir une indemnité égale à ses salaires des six derniers mois précédant son arrêt de travail, soit la somme de 44.940 euros, telle qu'elle résulte de ses fiches de paie et de l'attestation Pôle emploi.



Il n'y a donc pas lieu d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, en l'absence d'éléments sur le préjudice justifiant l'allocation d'une somme supérieure au minimum légal.



Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents



L'indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au salaire brut, assujetti au paiement par l'employeur des cotisations sociales, que le salarié aurait reçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai-congé.



M. [D] a été licencié par courrier du 26 octobre 2018 et a bénéficié ensuite d'une période de préavis.



Si la société fait valoir à juste titre que le salarié n'a pas été dispensé d'effectuer son préavis mais qu'ayant bénéficié d'arrêts maladie successifs, il a perçu des indemnités journalières de sécurité sociale et un maintien de salaire et prévoyance, il ressort de l'examen des fiches de paie que sur un salaire dû de 5.000 euros bruts mensuels sur une période de trois mois, la société reste lui devoir la somme de 3.895 euros au titre du préavis, outre les congés payés afférents pour 389,50 euros.



De même, elle sera condamnée au versement de la prime de vacances afférentes à cette période de trois mois pour la somme de 150 euros.



Sur les demandes accessoires



Les intérêts courent pour les créances salariales à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et pour les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce. Par ailleurs, la capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.



La société devra adresser au salarié un bulletin de paie récapitulatif et une attestation Pôle Emploi, conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte.



La société qui succombe supportera les dépens d'appel et devra participer aux frais irrépétibles engagés par le salarié à hauteur de 1.000 euros en cause d'appel, la somme allouée en première instance étant confirmée.



PAR CES MOTIFS



La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [D] est nul,

- condamné la société VNCA à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 1.835,20 euros, sous déduction de 1.714,05 euros déjà payés, au titre de la prime conventionnelle de vacances pour les années 2015 à 2018,

* 5.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,

* 1.800 euros à titre d'indemnité d'occupation de domicile,

* 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société VNCA au paiement des entiers dépens,



INFIRME le jugement sur le surplus ;



Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :



CONDAMNE la société VNCA à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 3.895 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 389,50 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 150 euros à titre de prime conventionnelle de vacances afférente au préavis,

* 44.940 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



DIT que les intérêts courent pour les créances salariales à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes et pour les créances indemnitaires à compter de la décision qui les prononce ;



DIT que les intérêts des capitaux échus pour une année entière, produiront eux-mêmes intérêts ;



ORDONNE à la société VNCA de délivrer à M. [D] un bulletin de paie et une attestation destinée à Pôle Emploi conformes à l'arrêt à intervenir, dans le délai de deux mois de la notification de la décision ;



REJETTE la demande d'astreinte,



CONDAMNE la société VNCA aux entiers dépens.





La greffière, La présidente.

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