5 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.611

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01357

Titres et sommaires

TERRORISME - Perquisitions administratives - Autorisation par le juge judiciaire - Conditions - Eléments pouvant être pris en compte - Notes des services de renseignements

L'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, tel que l'analyse le Conseil constitutionnel, prévoit que l'administration, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, peut être autorisée par le juge judiciaire à procéder à des visites domiciliaires et des saisies en tout lieu qu'elle désigne, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme et que cette personne entre en relations habituelles avec des personnes ou des organisations impliquées dans le terrorisme, ou adhère à une idéologie terroriste. En application de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, il appartient au juge des libertés et de la détention, et au premier président de la cour d'appel saisi d'un recours, de vérifier si la mesure sollicitée est nécessaire et proportionnée au regard des conditions ci-dessus énumérées. Il revient à la Cour de cassation de s'assurer que le juge d'appel a motivé sa décision sans insuffisance ni contradiction. La requête de l'administration peut se fonder exclusivement sur une note des services de renseignements, dite note blanche, si les faits qu'elle relate sont précis et circonstanciés, le juge des libertés et de la détention ne devant se prononcer qu'au regard de ces seuls éléments de fait, sans interprétation ou extrapolation et le juge d'appel ayant la faculté, en cas de contestation sérieuse, d'inviter l'administration à produire tout élément utile

Texte de la décision

N° A 22-80.611 FS-B

N° 01357


ODVS
5 DÉCEMBRE 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 DÉCEMBRE 2023



L'association [2] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 21 janvier 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant l'autorité administrative à effectuer des opérations de visite et de saisie et rejeté son recours contre le déroulement desdites opérations.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de l'association [2], les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat du préfet du Bas-Rhin, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Maziau, Dary, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 6 octobre 2021, le préfet du Bas-Rhin, au visa de l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris d'une demande de visite des locaux de l'association [2] ([2]), à [Localité 4], et de saisie de tout support ou donnée trouvés en ces lieux.

3. La requête visait M. [U] [L], co-président de l'association, présenté comme fréquentant les locaux de celle-ci, et dont le comportement était décrit comme caractérisant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, en raison de ses convictions et agissements favorables au terrorisme islamiste.

4. Les opérations de visite se sont déroulées dans les locaux désignés en présence de M. [L], représentant de l'occupant des lieux.

5. Le 22 octobre 2021, l'association [2] a relevé appel de l'ordonnance ci-dessus et exercé un recours contre les opérations de visite et saisie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance du 7 octobre 2021 autorisant une visite domiciliaire dans les locaux de l'association [2], a écarté la production d'une pièce n° 144 en cours d'audience et a déclaré régulières les opérations de visite et de saisie effectuées le 12 octobre 2021, alors :

« 1°/ que le juge ne peut, sur le fondement de l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, autoriser la visite administrative des lieux visés qu'à la condition que le préfet prouve, par des éléments objectifs et sur lesquels il peut opérer une vérification, qu'il a des raisons sérieuses de penser que les lieux en question sont fréquentés par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'en refusant d'annuler l'autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention, quand bien même la requête du préfet s'appuyait exclusivement sur une note des services de renseignement qui n'était elle-même corroborée par aucun élément extrinsèque, de telle sorte qu'il n'était pas en mesure d'assurer un contrôle juridictionnel effectif du bien fondé de la mesure, le conseiller délégué par le premier président a violé l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, ensemble l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

2°/ au surplus qu'une visite domiciliaire ne peut légalement être autorisée qu'à la condition que les lieux soient fréquentés par une personne présentant une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'il appartient au juge judiciaire chargé de contrôler le recours aux visites domiciliaires de s'assurer de la réalité et de l'actualité de la menace invoquée par l'autorité administrative ; qu'en se contentant d'éléments survenus entre 2008 et, au plus tard, 2014, pour caractériser la menace « d'une particulière gravité » que Monsieur [L] représenterait pour la sécurité et l'ordre publics, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, ensemble l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. Pour écarter le grief selon lequel la requête de l'administration était fondée exclusivement sur une note des services de renseignements, dite note blanche, l'ordonnance attaquée énonce que le Conseil d'Etat a admis la légalité d'un tel document comme élément de preuve devant une juridiction, à la condition qu'il soit débattu dans le cadre de l'instruction écrite contradictoire.

8. Le premier président relève qu'en l'espèce, le contenu de cette note est précis et circonstancié et a été soumis au débat contradictoire.

9. En se déterminant ainsi, le premier président a justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.

10. D'une part, une note blanche ne doit pas nécessairement être corroborée par d'autres pièces, dès lors que les faits qu'elle relate sont précis et circonstanciés, le juge des libertés et de la détention ne devant se prononcer qu'au regard de ces seuls éléments de fait, sans interprétation ou extrapolation.

11. D'autre part, en cas de recours, la note est soumise au débat contradictoire et il appartient au premier président, en cas de contestation sérieuse, d'inviter, le cas échéant, l'administration à produire tout élément utile.

12. Ainsi, le grief, qui se borne à dénoncer l'insuffisance de la note blanche en raison de l'absence d'éléments extérieurs de nature à en conforter la teneur, doit être écarté.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

13. L'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure, tel que l'analyse le Conseil constitutionnel (Cons. const., 29 mars 2018, décision n° 2017-695 QPC), prévoit que l'administration, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, peut être autorisée par le juge judiciaire à procéder à des visites domiciliaires et des saisies en tout lieu qu'elle désigne, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme et que cette personne entre en relations habituelles avec des personnes ou des organisations impliquées dans le terrorisme, ou adhère à une idéologie terroriste.

14. Selon l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

15. La visite, par l'autorité administrative, en tout lieu, y compris un domicile, suivie, le cas échéant, de la saisie de tout élément qu'elle considère utile, constitue une ingérence dans le droit susvisé.

16. La préservation de la sécurité nationale et de la sûreté publique, le maintien de l'ordre public et la prévention des infractions liées au terrorisme constituent un objectif légitime dans une société démocratique au sens de l'article 8 susvisé.

17. L'article L. 229-1 du code précité impose à l'administration, aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, en premier lieu, d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le lieu qu'elle désigne est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics en lien avec le risque de commission d'un acte de terrorisme.

18. En second lieu, l'administration doit prouver que cette menace est liée au fait que cette personne, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

19. Le recours aux mesures susvisées est, enfin, soumis à l'autorisation du juge des libertés et de la détention, qui statue par une ordonnance écrite et motivée et qui doit être tenu informé du déroulement des opérations pour pouvoir, le cas échéant, y mettre un terme à tout moment.

20. Il appartient au juge des libertés et de la détention, et au premier président saisi d'un recours, de vérifier si la mesure sollicitée est nécessaire et proportionnée au regard des conditions ci-dessus énumérées.

21. Il revient à la Cour de cassation de s'assurer que le juge d'appel a motivé sa décision sans insuffisance ni contradiction

22. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, la décision attaquée énonce que celui-ci s'est fondé sur des éléments factuels tels que rapportés par la requête du préfet, dont il ressort que les locaux de l'association [2] sont fréquentés par M. [L], en sa qualité de membre du bureau de cette association, dont le comportement entre dans les prévisions de l'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure.

23. Le premier président relève que l'intéressé a participé à des manifestations pro-palestiniennes au cours desquelles, d'une part, des drapeaux israéliens ont été brûlés, d'autre part, il a été vu aux côtés d'un imam palestinien, M. [W] [E], connu pour sa proximité avec le Hamas.

24. Il précise que le mis en cause a par ailleurs appelé, via la messagerie Facebook, à dénoncer la participation de la grande mosquée de [Localité 4] au festival interreligieux qui devait avoir lieu en 2014, et observe que la veille de cette manifestation, le portail de cet édifice a été incendié.

25. Il observe que M. [L] a affiché, à plusieurs reprises, son soutien à MM. [E] et [D] [S].

26. Le premier président constate que M. [E], qui a été assigné à résidence en 2015, a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, dont la préfecture a versé un exemplaire aux débats, en raison d'appels répétés au meurtre des juifs et de prêches haineux dans diverses mosquées, dont celle gérée par l'association [2].

27. Il ajoute que M. [L] est membre d'un collectif de soutien à M. [E], collectif qui a organisé des manifestations en faveur de l'intéressé, dont la dernière à [Localité 3] (23) en 2019.

28. Ce magistrat relève que M. [S] est le fondateur du parti des musulmans de France, mouvement ayant pris des positions antisémites et incitant au jihad et ayant, de ce fait, été l'objet d'une mesure de gel des avoirs en 2012.

29. Il relève encore que, selon les éléments produits par la préfecture en vue de l'audience, M. [L] a pris part à des manifestations contre l'islamophobie organisées par M. [S] et a, en 2003, tenu un discours critiquant le projet de loi interdisant les signes religieux en milieu scolaire.

30. Le juge observe que M. [L] est dénoncé dans la requête de l'administration comme étant à l'origine de la radicalisation de plusieurs jeunes hommes.

31. Il retient par ailleurs que l'association [2] a fait appel, pour la prière du vendredi, à l'imam salafiste M. [K] [N], qui affiche ses convictions radicales et entretient des relations avec des personnes suivies au titre de la prévention de la radicalisation terroriste, et qu'elle a affiché sur les réseaux sociaux un soutien à l'association [1], dissoute en 2020.

32. Il relève que le premier juge a retenu, à juste titre, qu'il apparaît ainsi que M. [L] et plus largement l'association [2] diffusent ou adhèrent à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

33. Il constate que M. [L] doit ainsi être considéré comme une personne qui, soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

34. Il observe enfin que, même si les faits qui se rapportent au comportement de M. [L] sont anciens, ces éléments caractérisent des indices que le comportement de l'intéressé, toujours actif au sein de l'association [2], constitue ainsi une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.

35. En l'état de ces seuls motifs, le premier président, qui, après avoir vérifié que les locaux concernés étaient fréquentés par M. [L], a, sans insuffisance, décrit la pérennité, jusqu'à une période récente, des activités de ce dernier, en raison, dans un premier temps, de ses agissements personnels, puis, par la suite, de l'activité de l'association [2], dont il était devenu l'un des dirigeants, a ainsi caractérisé la nécessité de la mesure en raison de l'actualité de la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constituait le comportement de l'intéressé.

36. Ainsi, le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, doit être écarté.

37. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que l'association [2] devra payer au préfet du Bas-Rhin en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille vingt-trois.

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