30 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-16.850

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C201193

Titres et sommaires

SECURITE SOCIALE - Assurances sociales - Tiers responsable - Recours de la victime - Indemnité complémentaire - Evaluation - Capital constitutif de la pension d'invalidité - Calcul - Barème de la sécurité sociale - Application - Evaluation forfaitaire - Office du juge - Détermination

Il résulte de l'article R. 376-1 du code de la sécurité sociale que les dépenses à rembourser aux caisses de sécurité sociale en application de l'article L. 376-1 du même code peuvent faire l'objet d'une évaluation forfaitaire dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale. Si les modalités fixées par l'arrêté du 27 décembre 2011 relatif à l'application des articles R. 376-1 et R. 454-1 du code de la sécurité sociale ne s'imposent pas au juge, qui reste libre de se référer au barème qu'il estime le plus adéquat, il doit, lorsqu'il décide d'appliquer cet arrêté, en respecter les dispositions. Viole ces textes la cour d'appel qui, ayant décidé de faire application de cet arrêté, ne met pas en oeuvre l'indemnisation forfaitaire qu'il prévoit

Texte de la décision

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 novembre 2023




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1193 F-B

Pourvoi n° V 22-16.850



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023


M. [X] [E], domicilié [Adresse 4], [Localité 1], a formé le pourvoi n° V 22-16.850 contre l'arrêt rendu le 18 janvier 2022 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Neolia, société anonyme d'HLM, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 1],

2°/ à la société Aréas dommages, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 6],

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 5],

défenderesses à la cassation.

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [E], de la SCP Duhamel, avocat des sociétés Neolia et Aréas dommages, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 18 janvier 2022), le 25 septembre 2013, M. [E] a été grièvement blessé à l'oeil droit par le mécanisme d'ouverture de la porte du garage qu'il louait à la société Néolia (la société), assurée auprès de la société Aréas dommages (l'assureur).

2. M. [E] a assigné en indemnisation de ses préjudices la société et son assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône (la caisse).

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le moyen du pourvoi principal pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [E] fait grief à l'arrêt de condamner in solidum la société et l'assureur à lui payer la seule somme de 81 310 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019, alors que « pour le calcul de la perte des gains professionnels futurs subi par la victime d'un accident, les revenus professionnels à prendre en compte sont ceux antérieurs à cet accident ; qu'une période d'inactivité professionnelle de deux ans et demi liée à un licenciement pour motif économique intervenu avant cet accident n'est pas de nature à rompre tout lien de causalité entre la faute du responsable à l'origine de cet accident et la perte, par la victime, des revenus antérieurs à cette période et, en conséquence, à exclure tout préjudice de perte de gains professionnels futurs ; qu'en retenant que M. [E], qui avait été victime d'un accident le 25 septembre 2013, imputable à la société Néolia, n'apparaissait pas avoir occupé d'emploi depuis son licenciement économique intervenu le 6 juillet 2011 jusqu'à la survenance de cet accident, soit pendant deux ans et demi, de sorte qu'il devait être considéré comme dépourvu de revenus antérieurs à l'accident et que tout préjudice de perte de gains professionnels futurs était dès lors exclu, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, après avoir rappelé que M. [E] se prévalait de l'impossibilité, en raison de sa cécité monoculaire, de retrouver un emploi de dessinateur industriel tel qu'occupé dans le passé, énonce que l'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs nécessite la preuve, qui incombe à celui qui s'en prévaut, d'une diminution entre les revenus antérieurs à l'accident et ceux postérieurs à la consolidation.

6. Elle retient ensuite que si, depuis la consolidation, M. [E] tire des revenus d'une activité de mécanicien automobile, l'intéressé, qui a travaillé comme dessinateur industriel entre le 23 avril 2008 et le 6 juillet 2011, date de son licenciement pour motif économique, n'apparaît pas avoir ensuite occupé d'emploi, ni perçu de revenus, même de l'assurance chômage, jusqu'à la survenance de l'accident le 25 septembre 2013, de sorte que la perception de revenus au moment de l'accident n'est pas établie.

7. Elle ajoute qu'une période de deux ans et demi sans revenus, même de remplacement, ne permet pas de retenir que ses anciens revenus professionnels ont été perdus à cause de l'accident ni, en conséquence, de les prendre comme terme de comparaison avec les revenus futurs.

8. Elle en déduit que la victime doit ainsi être considérée comme dépourvue de revenus antérieurs à l'accident, ce qui exclut tout préjudice de perte de gains professionnels futurs.

9. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que tant les revenus de référence à la date de l'accident, invoqués par la victime, que le préjudice dont celle-ci se prévalait, étaient hypothétiques, a légalement justifié sa décision.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident de la caisse

Enoncé du moyen

11. La caisse fait grief à l'arrêt, infirmant le jugement, de cantonner la condamnation in solidum de la société et de l'assureur à son profit à la somme de 28.381,64 euros, alors que : « appelé à évaluer forfaitairement des dépenses futures, le juge est libre de choisir la méthode de calcul qu'il estime la plus adéquate ; que toutefois, lorsqu'il décide d'appliquer l'arrêté du 27 décembre 2011, il se doit d'en respecter les dispositions ; qu'aux termes de l'article 1er dudit arrêté, dans sa rédaction antérieure à l'arrêté du 27 décembre 2021, l'annuité s'établit, s'agissant des prothèses oculaires, à hauteur de 150 % (100 % au titre du a) + 50 % au titre du b)) de la base suivante : la valeur de la fourniture, de la réparation et du renouvellement ; qu'en retenant, au visa de l'arrêté du 27 décembre 2011 qu'elle entendait appliquer, que, pour tenir compte de la fréquence de renouvellement, l'annuité se calcule sur la base suivantes : le quart de la valeur de la fourniture et la moitié de la valeur de la réparation (repolissage), la cour d'appel a violé l'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2011 relatif à l'application des articles R. 376-1 et R. 454-1 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles L. 376-1 et R. 376-1 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 376-1 et R. 376-1 du code de la sécurité sociale et l'arrêté du 27 décembre 2011 :

12. Selon le deuxième de ces textes, les dépenses à rembourser aux caisses de sécurité sociale en application du premier de ces textes peuvent faire l'objet d'une évaluation forfaitaire dans les conditions prévues par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.

13. Si les modalités fixées par cet arrêté ne s'imposent pas au juge, qui reste libre de se référer au barème qu'il estime le plus adéquat, il doit, lorsqu'il décide d'appliquer cet arrêté, en respecter les dispositions.

14. Après avoir rappelé la formule de calcul de l'annuité de dépenses fixée à l'article premier de l'arrêté du 27 décembre 2011 relatif à l'application des articles R. 376-1 et R. 454-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt énonce qu'en visant 100 % de la valeur de la fourniture, de la réparation et du renouvellement, le texte ne vise pas 100 % du montant unitaire de chaque prestation, sans égard au rythme de leur répétition, mais 100 % des frais à exposer chaque année en tenant compte de ce rythme.

15. Il ajoute que le calcul des dépenses de santé actuelles et futures, tel qu'effectué par la caisse, est erroné en ce qu'il repose sur une annuité incluant le prix entier d'une prothèse oculaire et du repolissage de cette prothèse, alors qu'il ne devait inclure que le quart du prix de la prothèse et la moitié du prix de son repolissage, conformément aux conclusions de l'expert qui préconise le remplacement de la prothèse tous les quatre ans et son repolissage tous les deux ans.

16. Il en déduit que l'indemnité s'élève non pas à 41 764,26 euros, mais à
11 722,24 euros.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas mis en oeuvre l'indemnisation forfaitaire prévue à l'arrêté dont elle avait décidé de faire application, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

18. La caisse fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande fondée sur les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale, alors « que tout jugement à peine de nullité doit être motivé ; qu'en la déboutant de sa demande fondée sur les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sans assortir sa décision sur ce point du moindre motif, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

19. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

20. L'arrêt déboute la caisse de sa demande fondée sur les articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale.

21. En statuant ainsi, sans donner aucun motif à sa décision rejetant la demande d'indemnité forfaitaire de gestion, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum la société Néolia et la société Aréas dommages à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône la somme de 28 381,64 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019, et en ce qu'il a débouté la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône de sa demande fondée sur les articles L. 376-1 et L 454-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt rendu le 18 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.

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