30 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.656

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C201186

Titres et sommaires

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Demande - Délai - Forclusion - Prorogation - Conditions - Portée

Il résulte de l'article 706-5, alinéa 1, du code de procédure pénale, que le délai de forclusion de trois ans imparti par ce texte pour saisir la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) ne peut être prorogé que s'il n'a pas déjà expiré au jour où des poursuites pénales sont exercées

Texte de la décision

CIV. 2

FD



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 novembre 2023




Cassation partielle


Mme MARTINEL, président



Arrêt n° 1186 FS-B

Pourvoi n° Y 22-13.656

Aide juridictionnelle partielle en demande
pour Mme [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 décembre 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2023

Mme [G] [Z], épouse [K], domiciliée [Adresse 3], [Localité 2], a formé le pourvoi n° 22-13.656 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige l'opposant :

1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 4],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [Z], épouse [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 octobre 2023 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mmes Cassignard, Isola, M. Martin, Mme Chauve, conseillers, M. Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2021) et les productions, Mme [Z] a déposé plainte, le 1er avril 2014, pour des faits de violences volontaires commis à son encontre le 29 mars 2014 alors qu'elle était passagère d'un autobus.

2. L'unité médico-judiciaire du centre hospitalier intercommunal de [Localité 7] l'a examinée le 2 avril 2014 et a conclu à une incapacité temporaire totale de 45 jours.

3. Par requête déposée le 14 mars 2019, Mme [Z] a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) pour obtenir la réparation de son préjudice et a déposé une plainte avec constitution de partie civile le 29 juin 2020 qui a donné lieu à une ouverture d'information le 20 octobre 2020.

4. Mme [Z] a interjeté appel de la décision qui a déclaré sa requête irrecevable comme ayant été formée après l'expiration du délai de forclusion prévu à l'article 706-5 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de déclarer forclose sa requête en indemnisation devant la CIVI, alors « que l'article 706-5 du code de procédure pénale relatif à la procédure d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction dispose que « à peine de forclusion, la demande d'indemnisation doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ; lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive » ; qu'aux termes de l'article 8 du code de procédure pénale, « l'action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise » ; que selon l'article 3 de l'Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid 19, « les délais de prescription de l'action publique et de prescription de la peine sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu'au terme prévu à l'article 2 » ; que l'article 2 prévoit : « les dispositions de la présente ordonnance sont applicables (?) jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 » ; que l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions prévoit : « l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid 19 est prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 inclus ; qu'en l'espèce Mme [Z], victime d'une infraction le 29 mars 2014 disposait d'un délai [expirant] au 10 août 2020 inclus pour déposer plainte avec constitution de partie civile ; que pour déclarer la demande de Mme [Z] irrecevable, la cour d'appel a retenu qu'aucune poursuite pénale n'ayant été exercée en dépit de la plainte déposée le 1er avril 2014 et de l'ouverture d'une enquête préliminaire pour faits de violences aggravés, cette demande devait être présentée dans le délai de trois ans à compter de l'infraction, soit au plus tard le 29 mars 2017 ; qu'en statuant ainsi quand l'action publique était toujours en cours, la cour d'appel qui n'a constaté l'existence d'aucune décision ayant statué définitivement sur cette action a violé les articles 8 et 706-5 du code de procédure pénale, ensemble les articles 2 et 3 de l'Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 et l'article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 706-5, alinéa 1er, du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-833 du 2 juillet 2020, à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction. Lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé et n'expire qu'un an après la décision de la juridiction qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile engagée devant la juridiction répressive ; lorsque l'auteur d'une infraction mentionnée aux articles 706-3 et 706-14 est condamné à verser des dommages-intérêts, le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction en application de l'article 706-15. Toutefois, la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.

7. Il en résulte que le délai de forclusion prévu par ce texte ne peut être prorogé que s'il n'a pas déjà expiré au jour où des poursuites pénales sont exercées.

8. Ayant relevé qu'aucune poursuite pénale n'avait été exercée avant le 29 mars 2017, terme du délai de forclusion de trois ans, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les poursuites pénales exercées après cette date étaient sans incidence sur la forclusion déjà acquise.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Mme [Z] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que selon l'article 706-5 du code de procédure pénale, la commission relève le requérant de la forclusion lorsqu'il n'a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu'il a subi une aggravation de son préjudice ; que pour dire n'y avoir lieu à relever Mme [Z] de forclusion la cour d'appel retient que l'existence d'une aggravation de son préjudice n'est pas établie ni même invoquée ; qu'en statuant ainsi quand dans ses conclusions notifiées le 26 novembre 2020, Mme [Z] faisait valoir que les séquelles psychologiques étaient réapparues plus vives, qu'elle souffrait depuis quelques mois de cauchemars et de réminiscence de l'agression et avait développé plusieurs phobies handicapantes au quotidien, que la nécessité d'un suivi psychiatrique s'était imposé en 2019 et versait aux débats les attestations du médecin psychiatre, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

11. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

12. Pour dire n'y avoir lieu à relever Mme [Z] de forclusion, l'arrêt retient que l'existence d'une aggravation du préjudice n'est pas établie ni même invoquée par la requérante.

13. En statuant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, Mme [Z] s'était prévalue d'une aggravation de son préjudice, et sans analyser, même de façon sommaire, les attestations qu'elle produisait au soutien de cette allégation, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme la décision du 24 juillet 2019 en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à relever Mme [Z] de forclusion, l'arrêt rendu le 4 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-trois.

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