28 novembre 2023
Cour d'appel de Lyon
RG n° 21/04785

CHAMBRE SOCIALE D (PS)

Texte de la décision

AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE





COLLÉGIALE



RG : N° RG 21/04785 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVGO





[L]



C/

CPAM DU RHONE

Société [7]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 10 Mai 2021

RG : 17/02447





AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE D



PROTECTION SOCIALE



ARRÊT DU 28 NOVEMBRE 2023

















APPELANT :



[B] [L]

né le 05 Juin 1959 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Ouarda TABOUZI, avocat au barreau de LYON





INTIMÉES :



CPAM DU RHONE

Service contentieux général

[Localité 5]



représenté par Mme [X] [K] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général



Société [7]

Sise [Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Frédéric RENAUD de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON







COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente et Nabila BOUCHENTOUF, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Anaîs MAYOUD, greffière.





COMPOSITION DE LA COUR:

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate

Vincent CASTELLI, Conseiller

Nabila BOUCHENTOUF, Conseillère



Assistés pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière.



ARRÊT : CONTRADICTOIRE





Prononcé publiquement le 28 Novembre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;



Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






*************



FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS





M. [L], salarié peintre de la société [7] ([7]) depuis le 17 septembre 2007, a déclaré avoir été victime d'un accident du travail survenu le 12 novembre 2012 à 10h30 expliquant qu'alors qu'il travaillait sur un chantier situé à [Localité 6], il est tombé en descendant les escaliers.

Le certificat médical,établi le même jour, par un médecin hospitalier a fait état d'un hématome au bras gauche, face antérieure, et d'une contusion antérieure des deux genoux, avec prescription d'un arrêt de travail de deux jours.



Par décision du 19 novembre 2012, la CPAM a notifié la prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.



Les lésions relatives à l'accident du travail ont été déclarées consolidées au 2 avril 2015, avec attribution d'un taux d'IPP de 10%.

Après contestation par la société [7], ce taux a été minoré à 5% dans les relations caisse/employeur.



Le 1er décembre 2015, le docteur [V], médecin généraliste, a établi au profit de M. [L] un certificat médical de rechute, constatant une « tendinopathie épaule gauche ».

Cette rechute a été prise en charge par la CPAM avec attribution, in fine, d'un taux d'IPP de 18%.



Sur contestation de la société [7], la commission de recours amiable de la caisse a, par décision du 13 septembre 2017, confirmé l'opposabilité à l'égard de l'employeur de la décision de prise en charge de la rechute.



Par lettre du 15 septembre 2017, la société [7] a notifié à M. [L] son licenciement pour inaptitude physique médicalement constatée par le médecin du travail.



Par requête du 18 octobre 2017, M. [L] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu tribunal judiciaire, aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [7] dans la survenance de son accident du travail du 12 novembre 2012.

Il a également sollicité, avant-dire-droit sur la liquidation de ses préjudices, une expertise médicale, outre une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.



Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal a rejeté ses demandes après avoir considéré que les circonstances de l'accident dont M. [L] déclarait avoir été victime le 12 novembre 2012 étaient indéterminées.





Par déclaration du 1er juin 2021, M. [L] a relevé appel de cette décision.



Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 7 mars 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, il demande à la cour de :



Infirmer le jugement déféré et :

- dire et juger que l'accident du travail dont il a été victime est imputable à la faute inexcusable de la société [7],

En conséquence :

- ordonner une expertise médicale, avant-dire-droit, afin d'évaluer l'ensemble de ses préjudices,

- condamner la société [7] et fils à lui verser la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle,

En tout état de cause :

- condamner la société [7] et fils à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 26 mai 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la société [7] demande à la cour de :



Confirmer en tous points le jugement déféré,

Par conséquent,

A titre principal,

- juger que M. [L] ne rapporte pas la preuve des circonstances dans lesquelles est intervenu l'accident de travail du 12 novembre 2012,

- juger que la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de l'accident du travail du 12 septembre 2012 n'est pas caractérisée,

En conséquence,

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à infirmer le jugement et juger la faute inexcusable caractérisée,

- limiter le montant de la majoration de rente allouée en fonction du taux d'IPP de M. [L] fixée à 5% pour les séquelles résultant de l'accident du travail du 12 novembre 2012,

- ordonner une expertise judiciaire,

- définir la mission de l'expert de la façon suivante :

* se faire communiquer l'entier dossier médical de M. [L],

* examiner M. [L] et décrire son état médical,

* établir l'existence ou non des préjudices visés par M. [L],

* dire si ces préjudices sont en lien direct et exclusif avec l'accident du travail du 12

novembre 2012 ou s'ils peuvent trouver leur origine dans d'autres causes, et notamment dans un état antérieur,

* distinguer et écarter ce qui relève d'un état antérieur,

* évaluer parmi ces préjudices les seuls préjudices en lien direct et exclusif avec l'accident du 12 novembre 2012,

* déposer un pré-rapport qui sera soumis au contradictoire afin que les parties puissent déposer des dires,

* déposer un rapport adressé aux parties,

- débouter M. [L] de sa demande de provision, faute de justifier d'un quelconque préjudice,

- juger qu'il appartiendra à la CPAM de faire l'avance des frais d'expertise et des éventuelles sommes allouées à titre de provision,

A titre reconventionnel,

- condamner M. [L] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.



Par ses écritures reçues au greffe le 1er août 2023 et reprises oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, la CPAM demande à la cour de :



- statuer ce que de droit sur l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur,

Dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait reconnue, prendre acte :

* qu'elle fera l'avance des sommes allouées à la victime au titre de la majoration de la rente et de l'indemnisation des préjudices,

* qu'elle procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes dont elle serait à faire l'avance auprès de l'employeur, soit la majoration de la rente sur la base du taux de 5% dans ses rapports avec l'employeur, des préjudices, y compris des frais d'expertise.



En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.






MOTIFS DE LA DÉCISION





SUR LA FAUTE INEXCUSABLE



M. [L] soutient que la société [7] a manqué à son obligation de sécurité de moyen renforcée et se prévaut notamment, à ce titre, de la décision rendue par le conseil de prud'hommes et de l'arrêt confirmatif de la cour d'appel.



En réponse, la société [7] fait valoir que M. [L] ne rapporte pas la preuve des circonstances de son accident, ni de la réunion des conditions cumulatives (conscience du danger et absence de mesure prise pour en préserver le salarié) permettant de caractériser sa faute inexcusable.



En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de moyen renforcée en ce qui concerne les accidents du travail.

Il appartient à l'employeur de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, qu'elle en soit la cause nécessaire, alors même que d'autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du dommage.

Le manquement à l'obligation de moyen renforcée précitée a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la conscience du danger s'appréciant au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Il est constant que lorsque l'entreprise pouvait ne pas avoir conscience du danger, par référence à ce qui peut être attendu d'un employeur normalement diligent, la faute inexcusable n'est pas caractérisée.

Il revient à la victime d'apporter la preuve de l'existence de cette conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur auquel il exposait son salarié et, dans ce cas, l'absence de mesures de prévention et de protection. Il lui revient également d'établir précisément les circonstances de l'accident lorsqu'elle invoque l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la recherche d'une telle faute étant, de surcroît, limitée aux circonstances dans lesquelles s'est produit l'accident en cause.

Par ailleurs, l'opposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle ne prive pas celui-ci de la possibilité de contester le caractère professionnel de l'événement à l'occasion de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable engagée à son encontre par la victime.



Ici, la déclaration d'accident du travail du 12 novembre 2012, établie par le salarié, ne fait pas état de la présence de témoin. M. [L] se prévaut de l'attestation de trois salariés mais qui n'étaient pas présents le jour de l'accident litigieux et qui se contentent de décrire de manière générale les conditions de travail au sein de la société [7], sans rapport avec les circonstances de l'accident. Quant au médecin du travail qui a examiné M. [L] le jour des faits allégués, à son départ du service à 12h20, soit environ deux heures plus tard, il le déclare certes inapte sans pour autant faire état d'un accident du travail. M. [L] n'établit pas, au demeurant, avoir évoqué avec lui les circonstances de son accident.

Le premier juge a en outre à juste titre relevé que M. [L] avait déjà fait l'objet d'un certificat médical du 27 octobre 2010 qui faisait état d'une tendinopathie de l'épaule droite et de gonalgie. Or, les préconisations du médecin du travail coïncident avec les lésions antérieures à l'accident du 12 novembre 2012.

M. [L] a, de plus, été reconnu travailleur handicapé par la MDPH par décision du 29 février 2012, soit avant l'accident litigieux.

De surcroît, le dossier médical de M. [L] se contente de retranscrire ses déclarations en émettant l'hypothèse d'une chute dans les escaliers (« aurait fait une chute »).

Par ailleurs, les photographies produites par le salarié sur l'escalier qui serait en cause sont sans emport sur la démonstration du dit accident. Leur date est au surplus ignorée et aucun collègue n'a été avisé par M. [L] dans les suites immédiates de sa prétendue chute.



Ainsi, le salarié n'établit pas les circonstances de l'accident déclaré alors que la société [7] verse aux débats les attestations de deux salariés (pièces 6et 7), présents sur le chantier de [Localité 6] le 12 novembre 2012, qui déclarent n'avoir entendu aucun bruit, aucun cri et n'avoir jamais été sollicités ni alertés par M. [L] en suite de la chute alléguée.



Il convient, enfin, de rappeler l'indépendance du droit de la sécurité sociale et du droit du travail impliquant que la décision du conseil de prud'hommes qui retient un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en lien avec l'inaptitude du salarié est sans emport sur la reconnaissance de la inexcusable de l'employeur dès lors que les circonstances mêmes de l'accident déclaré restent indéterminées.



En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il écarte la faute inexcusable de la société [7], ainsi que les demandes subséquentes d'expertise et de provision de M. [L].





SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES



La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile mais réformée en celles relatives aux dépens.

L'abrogation, au 1er janvier 2019, de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale a mis fin à la gratuité de la procédure en matière de sécurité sociale. Pour autant, pour les procédures introduites avant le 1er janvier 2019, le principe de gratuité demeure. En l'espèce, la procédure ayant été introduite le octobre 2017, il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens de première instance.



M. [L], qui succombe, supportera les dépens d'appel et une indemnité au visa de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS :





La cour,



Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,



Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à condamnation aux dépens de première instance,



Condamne M. [L] aux dépens d'appel,



Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [L] et le condamne à payer en cause d'appel à la société [7] la somme de 1 500 euros.







LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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