28 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.577

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01319

Titres et sommaires

LOIS ET REGLEMENTS

Constitue l'infraction d'exercice illégal de l'activité d'exploitant taxi le fait, pour le chauffeur d'une voiture de transport, en méconnaissance de l'obligation qui lui est faite par l'article L. 3122-9 du code des transports, de ne pas regagner, entre deux courses, le lieu d'établissement de l'exploitant de la voiture ou un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, dès lors qu'une telle méconnaissance l'amène nécessairement à stationner ou à circuler sur la voie publique dans l'attente d'une prochaine réservation, ce que l'autorisation de stationnement prévue par l'article L. 3121-1 du même code, ainsi que le précise l'article L. 3121-11 de ce code, réserve aux seuls conducteurs de taxi

Texte de la décision

N° P 22-80.577 FS-B

N° 01319


RB5
28 NOVEMBRE 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 NOVEMBRE 2023



MM. [X] [T], [Y] [H] dit [H]-[Z] et la société [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-15, en date du 17 janvier 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 novembre 2018, pourvoi n° 17-86.879), pour, notamment, complicité d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi, organisation illégale d'un système de mise en relation de clients avec des personnes se livrant au transport routier et enregistrement ou conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté, a condamné le premier, à 20 000 euros d'amende dont 10 000 euros avec sursis, le deuxième, à 30 000 euros d'amende dont 15 000 euros avec sursis, la troisième, à 800 000 euros d'amende dont 400 000 euros avec sursis, une confiscation, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.



Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de MM. [X] [T] et [Y] [H] dit [H]-[Z] et de la société [2], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'[4], les observations de la SCP Richard, avocat de l'[5] et de la [1], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, les avocats ayant eu la parole en dernier après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, M. Samuel, Mme Goanvic, M. Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [2], MM. [Y] [H] dit [H]-[Z] et [X] [T] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs suivants :

- pratique commerciale trompeuse par promotion radiophonique du service [3], faussement présenté comme licite ;

- complicité par aide et assistance de l'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi reproché à soixante-six chauffeurs ;

- organisation illégale d'un système de mise en relation de clients avec des personnes se livrant au transport routier de personnes à titre onéreux en véhicule de moins de dix places ;

- traitement de données à caractère personnel sans déclaration préalable à la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ;

- conservation de données à caractère personnel au-delà de la durée prévue préalablement à la mise en oeuvre du traitement ;

- enregistrement ou conservation de données à caractère personnel concernant une infraction, une condamnation ou une mesure de sûreté.

3. Le tribunal a relaxé les prévenus du chef de conservation illégale de données à caractère personnel au delà de la durée prévue préalablement à la mise en oeuvre du traitement, relaxé MM. [H]-[Z] et [T] du chef de traitement automatisé de données à caractère personnel sans déclaration préalable à la CNIL et déclaré les prévenus coupables des autres chefs de prévention.

4. Plusieurs particuliers, chauffeurs de taxi, et groupements professionnels, dont l'[4] ([4]), l'[5] ([5]) et la [1] ([1]) ont été reçus en leur constitution de partie civile, et il a été prononcé sur les intérêts civils.

5. Les trois prévenus, le ministère public et certaines parties civiles ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, le troisième moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, et le quatrième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches


6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2], MM. [H]-[Z] et [T] complices d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi et a, en cet état, prononcé sur les peines et sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que la circulation ou le stationnement sur la voie publique dans la quête de clients, c'est-à-dire la maraude, par une personne dépourvue de l'autorisation pour ce faire visée par l'article L. 3121-1 du code des transports, est un élément constitutif de l'infraction d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi réprimée par l'article L. 3124-4 du même code ; que l'existence d'une réservation préalable pour la prise en charge de clients sur la voie publique exclut toute maraude, la circulation ou le stationnement sur la voie publique étant en ce cas justifiée, non par la quête de clients, mais par ladite réservation préalable ; qu'en retenant en l'espèce que la société [2] s'était rendue complice de l'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi reproché à de nombreux chauffeurs ayant utilisé le service [3], cependant qu'elle avait constaté que « l'ensemble des chauffeurs mentionnés dans la prévention [avaient] pris en charge des clients suite à une réservation préalable passée via le service [3] » (arrêt attaqué, p. 52, § 1), circonstance exclusive de maraude et, partant, de l'existence d'un fait principal punissable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 3124-4 du code des transports, dans sa rédaction applicable aux faits, ensemble l'article 121-7 du code pénal ;

2°/ en tout état de cause, que la méconnaissance de l'obligation faite, par les dispositions de l'article L. 3122-9 du code des transports, aux conducteurs d'une voiture de transport avec chauffeur, dès l'achèvement de la prestation commandée au moyen d'une réservation préalable, de retourner au lieu d'établissement de l'exploitant de cette voiture ou dans un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, sauf s'il justifie d'une réservation préalable ou d'un contrat avec le client final, ne constitue pas une circulation ou un stationnement en quête de clients, et ne saurait dès lors caractériser l'élément matériel de l'infraction d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'en incitant les chauffeurs visés par la prévention ayant eu recours au service [3], à contrevenir aux dispositions de l'article L. 3122-9 du code des transports en leur conseillant de se positionner dans des secteurs à fortes demande, la société [2] et MM. [H]-[Z] et [T] s'étaient rendus coupables de complicité d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi (arrêt attaqué p. 52, §§ 1-4), cependant qu'une telle méconnaissance de l'obligation dite de « retour à la base » prévue par les dispositions de l'article L. 3122-9 du code des transports par les chauffeurs concernés ne pouvait caractériser de fait principal pénalement punissable au sens de l'article L. 3124-4 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits, la cour d'appel a violé ledit article et les articles 111-3 et 111-4 du code pénal, ensemble l'article 121-7 du code pénal. »

Réponse de la Cour

8. Pour dire établie l'infraction principale d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que soixante-six procès-verbaux ont été dressés de ce chef, entre les 25 mai 2014 et 8 avril 2015, à l'encontre de chauffeurs dont le tableau récapitulatif des déclarations établit qu'ils prenaient en charge des clients suite à des réservations préalables passées via le service [3], sans rentrer au lieu d'établissement entre deux courses.

9. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

10. En effet, constitue l'infraction d'exercice illégal de l'activité d'exploitant taxi le fait, pour le chauffeur d'une voiture de transport, en méconnaissance de l'obligation qui lui est faite par l'article L. 3122-9 du code des transports, de ne pas regagner, entre deux courses, le lieu d'établissement de l'exploitant de la voiture ou un lieu, hors de la chaussée, où le stationnement est autorisé, dès lors qu'une telle méconnaissance l'amène nécessairement à stationner ou à circuler sur la voie publique dans l'attente d'une prochaine réservation, ce que l'autorisation de stationnement prévue par l'article L.3121-1 du même code, ainsi que le précise l'article L.3121-11 de ce code, réserve aux seuls conducteurs de taxi.


11. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2], MM. [H]-[Z] et [T] coupables d'enregistrement ou de conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté, pour avoir constitué et conservé une base de données sur les interpellations de chauffeurs, et a, en cet état, prononcé sur les peines et sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; que la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles a, par son article 13, introduit à l'article 9, 3°, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, des dispositions autorisant le traitement de données à caractère personnel concernant des condamnations pénales, des infractions ou des mesures de sûreté connexes, lorsqu'il est effectué par une personne physique ou morale aux fins de lui permettre de préparer et, le cas échéant, d'exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mis en cause, ou pour le compte de ceux-ci, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités ; que ces dispositions nouvelles, transférées à l'article 46, 3°, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, par l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, font échapper à l'incrimination, prévue à l'article 226-19, alinéa 2, du code pénal, de mise ou de conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel concernant des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté, les traitements de données destinées à préparer une action en justice, même purement éventuelle ; que, comme le faisaient valoir les prévenus, les fichiers informatiques trouvés dans les ordinateurs de la société [2], relatifs aux poursuites engagées contre les chauffeurs utilisant le service [3], étaient destinés à préparer la défense de ladite société sur les poursuites à venir contre elle ; qu'en jugeant au contraire que la constitution et la conservation de ces fichiers ne relevaient pas du cas prévu à l'article 46, 3°, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, au motif que la préparation d'une action en justice, au sens envisagé par ce texte, renverrait à « une procédure précise » et non à « une défense éventuelle » (arrêt attaqué, p. 55, § 4), la cour d'appel a violé l'article 46, 3°, de la loi du 6 janvier 1978, ensemble les articles 112-1, alinéa 3, et 226-19, alinéa 2, du code pénal. »



Réponse de la Cour

Vu les articles 46 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 et 112-1, alinéa 3, du code pénal :

13. Il résulte du premier de ces textes que, depuis le 25 mai 2018, les traitements de données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes peuvent être effectués par les personnes physiques ou morales, aux fins de leur permettre de préparer et, le cas échéant, d'exercer et de suivre une action en justice en tant que victime, mise en cause, ou pour le compte de ceux-ci et de faire exécuter la décision rendue, pour une durée strictement proportionnée à ces finalités.

14. Selon le second, les dispositions nouvelles de la loi s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.

15. Pour dire établie l'infraction d'enregistrement ou de conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions susmentionnées de l'article 46, 3°, de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 renvoient à une procédure précise et excluent la préparation d'une défense éventuelle.

16. Les juges en déduisent que l'exception prévue par ce texte ne s'applique pas au recensement des interpellations des chauffeurs et des sanctions prononcées contre ces derniers mis en oeuvre par la société [2] et par ses représentants.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

18. En effet, l'enregistrement et la conservation, entre février 2014 et juin 2015, des données à caractère personnel afférentes aux infractions reprochées aux chauffeurs de la société [2] et aux suites données à ces dernières a eu pour objet la préparation et le suivi, par ladite société et par ses représentants, d'une action en justice qui les a effectivement mis en cause à compter du 30 juin 2015, date à laquelle leur a été délivrée une convocation par procès-verbal devant le tribunal correctionnel.

19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation à intervenir ne concerne que, d'une part, la déclaration de culpabilité du chef d'enregistrement ou de conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté, d'autre part, les peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.

Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

21. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité du chef de complicité d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi étant devenue définitive, par suite du rejet du troisième moyen de cassation, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande des parties civiles.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 janvier 2022, mais en ses seules dispositions ayant statué sur la culpabilité du chef d'enregistrement ou conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté et sur les peines, les autres dispositions, relatives à la déclaration de culpabilité des chefs de pratique commerciale trompeuse, de complicité d'exercice illégal de l'activité d'exploitant de taxi et d'organisation illégale d'un système de mise en relation de clients avec des personnes se livrant au transport routier, ainsi que celles relatives aux intérêts civils, étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [X] [T], [Y] [H] dit [H]-[Z] et la société [2] devront payer à l'[5] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que MM. [X] [T], [Y] [H] dit [H]-[Z] et la société [2] devront payer à la [1] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-trois.

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