22 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-86.713

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01287

Titres et sommaires

INSTRUCTION - Expertise - Expertise médicale ou psychologique - Recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle - Nullité - Modalités

L'article 706-71 du code de procédure pénale, qui s'applique à tous les actes accomplis au cours de la procédure, limite l'usage de la télécommunication audiovisuelle aux cas qu'il prévoit. Il en résulte qu'à l'occasion de l'examen par un expert auquel se réfère l'article 164, alinéa 3, du code de procédure pénale, l'usage de la visioconférence est interdit. La méconnaissance de cette règle, relative à l'établissement et à l'administration de la preuve, est une cause de nullité de l'expertise que toute partie a qualité pour invoquer, et qui fait nécessairement grief. Méconnait l'article 706-71 du code précité la chambre de l'instruction qui rejette l'exception de nullité, présentée par la personne mise en examen, de l'expertise psychiatrique qui la concerne, qui fait valoir que l'examen été réalisé par un moyen de télécommunication audiovisuelle

Texte de la décision

N° K 22-86.715 F B
G 22-86.713
N° 01287


GM
22 NOVEMBRE 2023


CASSATION

M. BONNAL président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2023


M. [E] [L] a formé des pourvois contre les arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 28 octobre 2022, dans l'information suivie contre lui du chef de meurtre :

- l'arrêt n° 997, qui a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;

- l'arrêt n° 1002, qui a confirmé l'ordonnance de refus de mesure d'instruction complémentaire rendue par le juge d'instruction.

Par ordonnance du 16 janvier 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [E] [L], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Labrousse, Leprieur, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, MM. Laurent, Gouton, Brugère, Mme Chaline-Bellamy, MM. Hill, Tessereau, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Mallard, Mmes Merloz, Guerrini, M. Michon, Mme Diop-Simon, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. [F] [Y] a été victime de violences le 21 juillet 2021, dont il est décédé trois jours plus tard.

3. Une information a été ouverte. M. [E] [L] et quatre autres personnes ont été mis en examen, pour meurtre, le 30 juillet 2021.

4. Le juge d'instruction a ordonné des expertises psychiatriques des personnes mises en examen. Les entretiens entre l'expert et ces dernières se sont déroulés en visioconférence.

5. M. [L] a sollicité une contre-expertise.

6. Par ordonnance du 3 mai 2022, le juge d'instruction a rejeté cette demande.

7. M. [L] a relevé appel. Il a déposé, en outre, le 16 mai suivant, une requête en annulation de toutes les pièces relatives à l'expertise susvisée.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen, dirigé contre l'arrêt n° 997, le critique en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que le procureur général doit déposer ses réquisitions au plus tard la veille de l'audience de la chambre de l'instruction devant laquelle la procédure est écrite ; que le ministère public étant une partie nécessaire au procès pénal, le respect de cette exigence s'impose à peine de nullité, et sa méconnaissance peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation ; qu'en l'état des mentions de l'arrêt, qui se limitent à faire état des réquisitions écrites du procureur général en date du 9 juin 2022 sans préciser que ces réquisitions ont été déposées au dossier de la procédure au plus tard la veille de l'audience, la chambre de l'instruction a violé les articles 194 et 197 du code de procédure pénale. »

9. Le troisième moyen fait le même reproche à l'arrêt n° 1002.

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Il résulte des articles 194, alinéa 1er, et 197, alinéa 3, du code de procédure pénale que le procureur général doit déposer ses réquisitions au plus tard la veille de l'audience de la chambre de l'instruction, devant laquelle la procédure est écrite.

12. Cette exigence s'impose à peine de nullité et sa méconnaissance peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation.

13. Les arrêts attaqués visent les réquisitions du procureur général en date du 9 juin 2022 et les avis, adressés par ce magistrat, respectivement les 22 et 25 juillet, aux avocats et aux parties, les informant de ce que le dossier de la procédure sera examiné par la chambre de l'instruction à son audience du 18 octobre 2022.

14. Malgré ces mentions incomplètes, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par ailleurs, que le greffe de la chambre de l'instruction a adressé à l'avocat de M. [L], sur sa demande, le 17 octobre 2022, la copie des deux réquisitoires du 9 juin 2022.

15. Si les mentions de l'arrêt attaqué et les constatations qui précèdent n'établissent pas que les réquisitions du procureur général ont été déposées au dossier de la procédure la veille de l'audience, le demandeur ne saurait s'en faire un grief dès lors qu'il en a eu connaissance en temps utile.

16. Les moyens ne sont en conséquence pas fondés.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

17. Le deuxième moyen, dirigé contre l'arrêt n° 997, le critique en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors :

« 1°/ qu'il ne peut être recouru au cours de la procédure pénale à un moyen de communication audiovisuelle que dans les cas et selon les modalités prévues par la loi ; que si les médecins ou psychologues experts chargés d'examiner la personne mise en examen, le témoin assisté ou la partie civile sont autorisés par l'article 164 du code de procédure pénale à leur poser des questions pour l'accomplissement de leur mission hors la présence du juge et des avocats, aucune disposition légale ne leur permet d'avoir recours pour ce faire à un moyen de télécommunication audiovisuelle ; qu'est par suite entachée d'une irrégularité qui fait nécessairement grief l'expertise psychiatrique au cours de laquelle l'entretien avec le mis en examen a eu lieu au moyen d'un procédé de communication audiovisuelle ; qu'en écartant la nullité de l'expertise dont elle constatait qu'elle n'avait donné lieu à un entretien avec le mis en examen que par visioconférence, la chambre de l'instruction a violé les articles 164, 706-71 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'eu égard à l'importance que représente dans le cadre d'une expertise psychiatrique et pour les droits de la défense l'entretien prévu par l'article 164 du code de procédure pénale au cours duquel l'expert peut poser des questions au mis en examen, est entachée d'une irrégularité qui fait nécessairement grief l'expertise psychiatrique au cours de laquelle cet entretien a eu lieu par un moyen de communication audiovisuelle ; qu'en écartant la nullité de l'expertise au motif inopérant que l'entretien entre un expert psychiatre et la personne mise en examen ne constitue pas un acte de procédure, la chambre de l'instruction a violé les articles 164 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que les parties ne peuvent, à compter de la notification de la décision ordonnant une expertise, que demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; qu'en retenant qu'aucune atteinte à l'exercice des droits de la défense ne peut résulter de ce que l'entretien entre l'expert psychiatre et son client a eu lieu par un moyen de communication audiovisuelle dès lors que la défense n'a émis aucune observation ou protestation lorsque lui a été notifiée la décision ordonnant l'expertise et mentionnant l'autorisation donnée à l'expert de procéder à l'examen du mis en examen par visioconférence, la chambre de l'instruction a violé les articles 161-1 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 706-71 du code de procédure pénale :

18. Selon le premier alinéa de ce texte, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, il peut être recouru au cours de la procédure pénale, aux fins d'une bonne administration de la justice, si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction l'estime justifié, dans les cas et modalités prévus par cet article, à un moyen de télécommunication audiovisuelle.

19. Il s'ensuit, d'une part, que l'usage d'un moyen de télécommunication audiovisuelle est limité aux cas prévus par le texte.

20. D'autre part, cette disposition s'applique à tous les actes accomplis au cours de la procédure.

21. Dès lors, le texte susvisé interdit le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle à l'occasion de l'examen de la personne mise en examen, du témoin assisté ou de la partie civile par les médecins et psychologues experts, auquel se réfère l'article 164, alinéa 3, du code de procédure pénale.

22. Constitue une violation des règles relatives à l'établissement et à l'administration de la preuve en matière pénale la méconnaissance dudit texte, qui impose que l'examen d'une personne soit réalisé par l'expert, en sa présence, de sorte que toute partie qui y a intérêt a qualité pour invoquer la nullité tirée de la méconnaissance de ces dispositions.

23. Une telle irrégularité fait nécessairement grief aux parties concernées.

24. En écartant la demande d'annulation de l'expertise psychiatrique du demandeur, dont l'examen a été réalisé par visioconférence, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.

25. La cassation est, par conséquent, encourue.

Portée et conséquences de la cassation

26. La cassation de l'arrêt qui a rejeté la demande d'annulation aura pour conséquence d'entraîner celle de l'arrêt qui a confirmé le rejet de la demande de contre-expertise.

27. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le quatrième moyen dirigé contre ce dernier arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt n° 997 susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 28 octobre 2022 ;

CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt n° 1002 de ladite chambre de l'instruction, du même jour ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux novembre deux mille vingt-trois.

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