16 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-70.011

Autre - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:AV15015

Titres et sommaires

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE - indemnité - préjudice - réparation - réparation en nature - eléments pris en considération - protection des occupants - droit au relogement - acceptation par le propriétaire-occupant

1. Le propriétaire-occupant, qui accepte d'être relogé, bénéficie d'une réparation en nature d'une partie du préjudice résultant de l'expropriation, devant être prise en compte lors de la fixation des indemnités, en application de l'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. 2. Le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié et sa situation n'est pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire. 3. La prise en compte du relogement lors de la fixation des indemnités, déterminée au regard de l'avantage procuré à l'exproprié et non du coût de ce relogement pour l'expropriant, ne donne pas naissance à une créance de l'expropriant sur l'exproprié. 4. Les modalités de prise en compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond

Texte de la décision

Demande d'avis
n°Z 23-70.011

Juridiction : le tribunal judiciaire de Bobigny









Avis du 16 novembre 2023



n° 15015 P+B








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

COUR DE CASSATION
_________________________

Troisième chambre civile


Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mmes Djikpa et Brun, conseillers référendaires, et les observations écrites et orales de Mme Vassallo, premier avocat général ;

Vu les observations écrites et orales de la SARL Cabinet Munier-Apaire ;

Énoncé de la demande d'avis

1. La Cour de cassation a reçu, le 1er septembre 2023, une demande d'avis formée le 19 juillet 2023 par le juge de l'expropriation de la Seine-Saint-Denis, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant l'établissement public foncier Ile-de-France (l'expropriant) à M. et Mme [M].

2. La demande est ainsi formulée :

« L'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose que : Il ne peut être offert un local de relogement à un propriétaire exproprié qui occupe tout ou partie de son immeuble que si cette offre a été acceptée par ce propriétaire avant la fixation des indemnités d'expropriation, afin de permettre au juge, et le cas échéant, à la cour d'appel, de tenir compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités.

Au regard des dispositions précitées et dans le cadre d'une saisine du juge de l'expropriation en fixation des indemnités de dépossession en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique d'un propriétaire occupant lui-même son bien à la date de l'ordonnance d'expropriation et ayant accepté une offre de relogement émanant de l'entité expropriante :

1- Lors de l'évaluation des indemnités de dépossession du propriétaire-occupant exproprié ayant accepté une offre de relogement émanant de l'expropriant :

1.1 - La prise en compte du relogement peut-elle s'analyser en une moins-value affectant la valeur vénale libre des biens expropriés, déterminée selon la valeur du marché de référence ?

1.2 - La prise en compte du relogement peut-elle être un pourcentage fixe de la valeur vénale libre des biens expropriés, faisant du quantum de la prise en compte du relogement une fonction croissante de la valeur de marché des biens expropriés ?

1.3 - La situation juridique d'un propriétaire-occupant ayant accepté une offre de relogement émanant de l'expropriant peut-elle être assimilée à celle d'un propriétaire-bailleur dont le bien est occupé par un tiers titré, pour l'évaluation des indemnités d'expropriation ?

1.4 - La transposition opérée par l'entité expropriante :

- de l'abattement communément appliqué à la valeur libre des biens expropriés d'un propriétaire-bailleur, pour tenir compte de la moins-value générée sur le marché immobilier par une occupation titrée (contrainte de la relation bailleur-preneur, indisponibilité du bien),

- à la situation d'un propriétaire-occupant ayant accepté une offre de logement émanant de l'expropriant, pour tenir compte de ce relogement :

1.4.1 - ne conduit-elle pas à inverser la logique indemnitaire, en faisant de la situation de l'expropriant ayant l'obligation de reloger le locataire du propriétaire-bailleur et le propriétaire-occupant ayant accepté une offre de relogement, la cause de l'application au second de l'abattement « dit pour occupation », usuellement appliqué au premier ?

1.4.2 - la fixation des indemnités de dépossession ne doit-elle pas être guidée par le préjudice subi par le propriétaire ? et par sa réparation intégrale ?

1.5 - L'indemnité principale d'un propriétaire-occupant relogé par l'expropriant, correspondant à la valeur vénale des biens expropriés doit-elle être évaluée en valeur libre, comme sur le marché immobilier et comme en matière de préemption, ou en valeur occupée par un tiers titré, comme en matière de propriétaire-bailleur ?

2 - La prise en compte par le juge de l'expropriation, évoquée à l'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du relogement du propriétaire-occupant par l'expropriant après acceptation par l'exproprié de l'une des offres émanant de l'expropriant :

2.1 - donne-t-elle naissance à une créance de l'expropriant contre l'exproprié, créance correspondant à l'avantage qu'un relogement par l'expropriant procure à l'exproprié, selon une similitude avec le marché immobilier sur lequel le propriétaire-vendeur obtient une valeur vénale libre des biens qu'il occupait et doit prendre à sa charge son relogement ?

2.2 - constitue-t-elle une créance distincte de celle dont dispose l'exproprié contre l'expropriant du fait du transfert de sa propriété par les effets de l'ordonnance d'expropriation ?

2.3 - peut-elle donner lieu à une compensation intervenant lors de la fixation des indemnités entre, d'une part, l'indemnité principale correspondant à l'entière valeur vénale libre des biens et les indemnités accessoires le cas échéant et, d'autre part, l'évaluation de la prestation de relogement délivrée par l'expropriant ? »


Examen de la demande d'avis

I- Sur la recevabilité de la demande d'avis, contestée par l'expropriant

3. Il résulte de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire que la demande d'avis doit porter sur une question de pur droit commandant l'issue du litige, être nouvelle, présenter une difficulté sérieuse et se poser dans de nombreux litiges.

4. En premier lieu, la demande d'avis a été présentée à l'occasion d'un procès en cours et porte sur une règle de droit, le principe de réparation intégrale du préjudice subi par l'exproprié, au regard du droit au relogement de celui-ci.

5. En effet, si le juge de l'expropriation dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation pour choisir la méthode d'évaluation et fixer l'indemnité d'expropriation, la demande d'avis porte, en amont de l'exercice de ce pouvoir souverain, sur la qualification juridique du droit au relogement dont le juge doit tenir compte lors de la fixation des indemnités d'expropriation en application de l'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

6. En deuxième lieu, la Cour de cassation ne s'est jamais prononcée sur le point de droit sur lequel son avis est sollicité et aucun pourvoi en cours ne soulève les questions, objet de la demande.

7. En dernier lieu, ces questions se posent dans de nombreux litiges et sont susceptibles de se présenter plus fréquemment en raison de la fragilisation actuelle de certaines copropriétés.

8. La demande d'avis est donc recevable.

II- Sur le fond

9. Le propriétaire-occupant, qui accepte d'être relogé, bénéficie d'une réparation en nature d'une partie du préjudice résultant de l'expropriation, devant être prise en compte lors de la fixation des indemnités, en application de l'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

10. En effet, même s'il accède à un nouveau logement en qualité de locataire, le relogement qu'il accepte lui évite l'aléa d'une recherche et lui permet de jouir d'un bien décent, en bon état général, adapté à ses besoins personnels et familiaux, à proximité du domicile exproprié et respectant les normes relatives aux habitations à loyer modéré, ainsi que l'exigent les articles L. 314-2 du code de l'urbanisme et L. 423-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

11. En revanche, le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié, dans la mesure où, sur le marché libre, le bien occupé par son propriétaire ne subit pas de moins-value en raison de cette occupation, dès lors qu'il sera libéré à l'occasion du transfert de propriété.

12. La situation de ce propriétaire n'est donc pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire.

13. En outre, en vertu du principe de réparation intégrale du préjudice, le relogement est pris en compte par le juge de l'expropriation lors de la fixation des indemnités, au regard de l'avantage procuré à l'exproprié et non en fonction du coût de ce relogement pour l'expropriant, de sorte que ce relogement ne peut donner naissance à une créance de l'expropriant sur l'exproprié.

14. Enfin, les modalités de prise en compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond et peuvent se traduire, notamment, par un abattement, fixe ou en pourcentage, non pour occupation, mais pour relogement.

EN CONSEQUENCE, la Cour :

EST D'AVIS QUE

1. Le propriétaire-occupant, qui accepte d'être relogé, bénéficie d'une réparation en nature d'une partie du préjudice résultant de l'expropriation, devant être prise en compte lors de la fixation des indemnités, en application de l'article R. 423-9 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

2. Le relogement du propriétaire-occupant ne constitue pas une moins-value affectant la valeur vénale du bien exproprié et sa situation n'est pas assimilable à celle du propriétaire dont le bien est occupé par un locataire.

3. La prise en compte du relogement lors de la fixation des indemnités, déterminée au regard de l'avantage procuré à l'exproprié et non du coût de ce relogement pour l'expropriant, ne donne pas naissance à une créance de l'expropriant sur l'exproprié.

4. Les modalités de prise en compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 16 novembre 2023, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 14 novembre 2023 où étaient présents, conformément à l'article R 431-5 du code de l'organisation judiciare : Mme Teiller, président, Mmes Djikpa et Brun, conseiller référendaires rapporteurs, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Pety, conseillers, M. Zedda, Mmes Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre ;

Le présent avis est signé par les conseillers rapporteurs, le président et le greffier de chambre.

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