15 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-14.979

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO02125

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - Statuts professionnels particuliers - Journaliste professionnel - Statut - Application - Correspondant de presse - Egalité devant la loi - Article L. 7111-3 du code du travail - Caractères nouveau et sérieux (défaut) - Non-renvoi au Conseil constitutionnel

Texte de la décision

SOC.

COUR DE CASSATION



CH9


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 15 novembre 2023




NON-LIEU A RENVOI


M. SOMMER, président



Arrêt n° 2125 FS-B

Pourvoi n° H 23-14.979





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 NOVEMBRE 2023

Par mémoire spécial présenté le 23 août 2023,

1°/ M. [P] [M], domicilié [Adresse 6],

2°/ le Syndicat national des journalistes, dont le siège est [Adresse 7],

ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° H 23-14.979 qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 23 février 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans une instance les opposant :

1°/ à la société Groupe Nice matin, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Administrateurs judiciaires partenaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de M. [K] [T] en qualité d'administrateur judiciaire de la société Groupe Nice matin,

3°/ à la société [G] - Les Mandataires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], prise en la personne de Mme [N] [G] en qualité de mandataire judiciaire de la société Groupe Nice matin,

4°/ à la société BTSG2, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [J] [O] en qualité de mandataire judiciaire de la société Groupe Nice matin,

5°/ à la société [D] [Y] & associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [D] [Y] en qualité de commissaire à l'exécution du plan et d'administrateur judiciaire de la société Groupe Nice matin,

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [M], du Syndicat national des journalistes, de la SCP Richard, avocat des sociétés Groupe Nice matin, Administrateurs judiciaires partenaires ès qualités et [D] [Y] & associés ès qualités, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Rouchayrole, Flores, Mmes Deltort, Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Techer, Rodrigues, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. A compter du 1er novembre 2011 jusqu'au mois de décembre 2016, M. [M] a fourni à la société Nice Matin, devenue la société Groupe Nice Matin (la société), des reportages photographiques en contrepartie d'une rémunération sous forme d'honoraires dont les relevés portaient la mention "correspondant local de presse".

2. Le 1er mars 2018, M. [M] a saisi la juridiction prud'homale afin que soit reconnue l'existence d'un contrat de travail et que la rupture de la relation soit considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le Syndicat national des journalistes (le syndicat) est intervenu à l'instance.

3. La société a soulevé l'incompétence matérielle du conseil de prud'hommes en soutenant que M. [M] avait le statut de correspondant local de presse et qu'il était à ce titre un travailleur indépendant.

4. Par jugement du 4 décembre 2018, le conseil de prud'hommes de Nice s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties devant le tribunal de grande instance de Nice.

5. Par arrêt du 12 septembre 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nice le 4 décembre 2018, dit que la juridiction prud'homale était compétente, que M. [M] était lié par un contrat de travail, évoqué l'affaire sur le fond et renvoyé à une audience ultérieure.

6. Par arrêt rendu le 23 février 2023, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, statuant sur renvoi après cassation (Soc., 29 septembre 2021, pourvoi n° 19-23.492), a infirmé le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nice le 4 décembre 2018 en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau et y ajoutant, elle a dit que M. [M] avait collaboré avec la société Nice Matin devenue la société Groupe Nice Matin sous le statut de correspondant local de presse, dit qu'il n'avait pas été lié avec la société par un contrat de travail, rejeté l'intégralité des demandes au titre de l'existence d'un contrat de travail, rejeté la demande de dommages-intérêts du syndicat.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

7. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 23 février 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, M. [M] et le syndicat ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « le second alinéa de l'article L. 7111-3 du code du travail n'est-il pas contraire au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'une part, en ce qu'il crée une inégalité de traitement entre le correspondant de presse et le journaliste professionnel en exigeant du correspondant pour qu'il puisse être assimilé à un journaliste professionnel et bénéficier de la présomption de contrat de travail posée par l'article L. 7112-1 du code du travail qu'il justifie non seulement remplir les conditions posées par l'alinéa 1 de l'article L. 7111-3 pour être journaliste professionnel mais aussi de la fixité de ses revenus, et, d'autre part, en ce que, tel qu'il est interprété de façon constante par la Cour de cassation, il crée une inégalité de traitement entre le correspondant local de presse et les personnes physiques dont l'activité donne lieu à immatriculation sur les registres ou répertoires énumérés par l'article L. 8221-6 du code du travail dès lors que le correspondant local de presse ne peut revendiquer l'existence d'un contrat de travail que dans les conditions prévues par l'article L. 7111-3 du code du travail tandis qu'il suffit pour les personnes physiques immatriculées aux registres du commerce ou des métiers de prouver, pour renverser la présomption de non-salariat, qu'elles fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

8. L'article L. 7111-3, alinéa 2, du code du travail qui détermine les conditions dans lesquelles un correspond local de presse est assimilé à un journaliste professionnel est applicable au litige.

9. Il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

10. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

11. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

12. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

13. Concernant la première partie de la question, par la loi du 29 mars 1935 relative au statut professionnel des journalistes, dont sont issues les dispositions contestées, le législateur a mis en place un régime spécifique pour les journalistes compte tenu de la nature particulière de leur travail. Dans ce but, le législateur a entendu réserver la protection qu'offre le statut aux personnes répondant à la définition du journaliste professionnel comme étant toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le législateur a également assimilé aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.

14. Pour ce qui est du correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, le législateur l'assimile à un journaliste s'il perçoit des rémunérations fixes et répond à la définition du journaliste professionnel.

15. Cette différence de traitement tenant à la fixité des rémunérations est justifiée par l'objectif d'exclure du champ de la protection offerte par le statut de journaliste professionnel les correspondants qui n'exercent qu'à titre occasionnel. En cela, la différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

16. Concernant le second aspect de la question, le correspondant local de presse qui revendique l'existence d'un contrat de travail de journaliste n'est pas placé dans la même situation qu'un travailleur indépendant qui revendique l'existence d'un contrat de travail de droit commun lorsqu'il soutient qu'il fournit des prestations dans des conditions qui le placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.

17. En effet, les règles particulières applicables à une personne exerçant en qualité de correspondant local de presse pour invoquer l'existence d'un contrat de travail en qualité de journaliste, sont justifiées par l'objectif poursuivi par le législateur de garantir l'indépendance des journalistes en prenant en compte les conditions particulières dans lesquelles s'exerce la profession ainsi que par celui de réserver la protection offerte par le statut de journaliste professionnel aux personnes qui répondent aux conditions qu'il détermine. En cela la différence de situation se trouve en rapport direct avec la loi qui l'établit.

18. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-trois.

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