8 novembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-12.412

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO02008

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 novembre 2023




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 2008 F-D

Pourvoi n° W 22-12.412




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 NOVEMBRE 2023

M. [I] [M], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 22-12.412 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Bragard, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi de Coutances, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [M], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Bragard, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 21 octobre 2021), M. [M] a été engagé en qualité de représentant de commerce exclusif, le 3 juin 2002, par la société Bragard (la société). Dans le dernier état de la relation contractuelle, son périmètre commercial était composé des départements de la Manche et du Calvados.

2. Par lettre du 25 juillet 2017, l'employeur lui a proposé une modification de son contrat de travail par la réduction de son périmètre au seul département de la Manche, qu'il a refusé le 28 août 2017.

3. Licencié pour motif économique le 29 novembre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses indemnités.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger que son licenciement constitue un licenciement économique et de rejeter ses demandes principales, alors « que la modification du contrat de travail pour motif économique est soumise aux formalités prescrites par l'article L. 1222-6 du code du travail que l'employeur qui ne respecte ces formalités ne peut se prévaloir ni d'un refus ni d'une acceptation de la modification du contrat par le salarié ; qu'à raison de l'ambiguïté sur les motifs de la modification proposée qu'elle comporte, la lettre qui invoque plusieurs motifs non économiques et un motif économique pour justifier la modification du contrat de travail proposée au salarié ne répond pas aux formalités prévues par l'article L. 1222-6 du code du travail ; qu'en l'espèce, la lettre du 25 juillet justifiait la modification du contrat de travail proposée au salarié par l'existence ''d'une réorganisation au sein de la société (…) afin de redéfinir la cartographie des directions régionale et les périmètres commerciaux des VRP'' et précisait que les objectifs étaient de ''simplifier la cartographie et clarifier les périmètres commerciaux des VRP'', ''adapter l'organisation opérationnelle à l'évolution de la demande'', ''améliorer la formation et l'accompagnement des VRP'' et ''préserver la compétitivité de l'activité commerciale'' ; qu'il résultait de la multiplication des motifs avancés que le salarié n'était pas clairement informé du fait que la modification de son contrat de travail reposait sur un motif économique au sens de l'article L. 1233-3 ; qu'en décidant le contraire au seul motif que la préservation de la compétitivité était évoquée, la cour d'appel a violé l'article L. 1222-6 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 1222-6 du code du travail, lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs économiques énoncés à l'article L. 1233-3 du même code, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification informe le salarié qu'il dispose d'un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans le délai d'un mois, le salarié est réputé avoir accepté la modification.

6. Il en résulte que la procédure qu'il prévoit est applicable lorsque l'employeur envisage la modification d'un élément essentiel du contrat de travail pour l'un des motifs énoncés à l'article L. 1233-3 du code du travail.

7. La cour d'appel a constaté, d'une part, que si la lettre adressée le 25 juillet 2017 au salarié ne faisait pas référence à l'article L. 1222-6 du code du travail, elle précisait que la modification du contrat de travail proposée était motivée par une réorganisation en cours, comportant la redéfinition des périmètres commerciaux des VRP, ayant pour objectif de préserver la compétitivité de l'activité commerciale afin de dynamiser les ventes et d'améliorer la situation économique de la société, d'autre part, qu'elle indiquait que le salarié disposait d'un délai de réflexion d'un mois à compter de la date de présentation, silence valant acceptation.

8. Elle en a exactement déduit que cette lettre s'analysait comme une proposition de modification du contrat de travail pour motif économique et que la société pouvait donc se prévaloir du refus du salarié.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors «que lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'existence des difficultés économiques, ou de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de s'apprécie au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient ; que, dès lors que la société Bragard reconnaissait, elle-même, appartenir au groupe Fristads Kansas, il appartenait aux juges du fond d'apprécier la réalité des difficultés économiques au niveau du groupe ; qu'en se bornant à constater que les difficultés économiques de la société Bragard étaient établies, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que, mélangé de fait et de droit, celui-ci est nouveau et qu'il est contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond, le salarié ayant invité la cour d'appel à apprécier la menace sur la compétitivité au niveau de l'entreprise.

12. Cependant, d'une part, la société faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'elle appartenait au groupe Fristads Kansas dont les activités avaient baissé de 28 % entre 2011 et 2017, qui traversait d'importantes difficultés et qui subissait des menaces pesant sur sa situation, son équilibre et sa pérennité et, d'autre part, le salarié contestait dans ses conclusions d'appel la cause économique de son licenciement.

13. Le moyen, qui n'est ni nouveau, ni contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 :

14. Selon ce texte, les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun au sien et à celui des entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national. Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

15. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que les difficultés économiques de la société Bragard étaient établies.

16. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'appartenance de la société au groupe Bragard, la cour d'appel, qui n'a pas vérifié si la réorganisation de la société était justifiée par l'existence de difficultés économiques au niveau du secteur d'activité du groupe auquel elle appartenait, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Bragard aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bragard et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille vingt-trois.

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