26 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-19.444

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C300718

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 718 F-D

Pourvoi n° Q 22-19.444




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023

La commune de [Localité 6], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'[Adresse 5], a formé le pourvoi n° Q 22-19.444 contre l'arrêt rendu le 10 mai 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société du Soleil, société civile de construction vente, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à la société Icade promotion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1] et prise en son établissement sis [Adresse 3]

3°/ à la société Vinci immobilier promotion, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 4], prise en son établissement sis [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la commune de [Localité 6], de la SCP Foussard et Froger, avocat des société du Soleil, Icade promotion et Vinci immobilier promotion, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 mai 2022), à l'issue d'une consultation confiée à l'établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d'Azur, la commune de [Localité 6] (la commune) a conclu, le 12 juillet 2019, avec les sociétés Vinci immobilier promotion et Icade promotion (les sociétés) une promesse synallagmatique de vente portant sur deux tènements fonciers relevant de son domaine privé.

2. Au titre des conditions suspensives stipulées comme déterminantes du consentement du vendeur, la convention prévoyait l'engagement des acquéreurs de construire plusieurs logements en mixité sociale, ainsi que la livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix de vente des terrains, d'un local brut et de places de stationnement. La vente devait être réitérée devant notaire le 5 février 2020.

3. Dénonçant des irrégularités dans la procédure de passation de cette convention, le maire de la commune, après prorogation du délai de réalisation des conditions suspensives jusqu'au 30 novembre 2020, a informé les sociétés de son intention de ne plus vendre.

4. Celles-ci ont assigné la commune en réalisation forcée de la vente et paiement de la clause pénale stipulée à l'acte.

Examen des moyens

Sur le second moyen


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La commune fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence des juridictions judiciaires au profit des juridictions administratives, alors :

« 1°/ que la conclusion par des personnes publiques de contrats emportant cession d'un immeuble de leur domaine privé, dont l'objet principal est de confier à un opérateur économique la réalisation de travaux en vue de la construction, selon des spécifications précises imposées par lesdites personnes publiques, d'ouvrages qui, même destinés à des tiers, répondent à un besoin d'intérêt général défini par lesdites collectivités, est soumise aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique ; qu'en retenant, pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par la commune, que cette dernière ''ne démontr[ait] pas la réalisation d'un programme immobilier dont les caractéristiques essentielles auraient été définies par elle et que l'acquéreur avait pour obligation de réaliser des travaux directement pour son compte'', après avoir pourtant constaté que la commune avait décidé de réaliser une opération permettant d'augmenter l'offre de logements sociaux sur son territoire, en établissant un cahier des charges précis, afin que l'opérateur retenu à l'issue de cette procédure édifie des logements sur les parcelles cédées, parmi lesquels un pourcentage déterminé de logements sociaux, ce dont il s'évinçait que la commune avait confié à l'acquéreur la réalisation de travaux répondant à un besoin d'intérêt général préalablement défini, la cour d'appel a violé les principes généraux du droit de la commande publique, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III ;

2°/ qu'il résulte des articles 4, 5 et 23 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics qu'un contrat doit être qualifié de marché public de travaux dès lors qu'il a pour objet principal la réalisation d'un ouvrage répondant aux besoins définis par le pouvoir adjudicateur, lequel objet doit être déterminé dans le cadre d'un examen objectif de l'ensemble du marché sur lequel porte le contrat ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par la commune, que cette dernière ne démontrait pas que l'objet principal de l'opération consisterait à confier à un opérateur privé la réalisation de travaux qui répondraient à un besoin d'intérêt général préalablement défini par la commune et répondant à ses besoins, dès lors qu'elle n'établissait pas que le bien immobilier à construire qui devait lui revenir était affecté ''en particulier à une crèche, c'est-à-dire à un équipement public'', et que cette dation en paiement ne représentait ''qu'un peu plus du quart du paiement'', sans rechercher, comme cela lui était demandé, si le fait que la commune ait imposé à l'acquéreur de construire un local entièrement dédié à celle-ci et conçu en fonction de ses besoins, à titre de condition essentielle et déterminante de la vente, n'établissait pas que le contrat litigieux avait pour objet principal la réalisation d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 4, 5 et 23 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicables au litige, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III ;

3°/ que si les différents volets de l'opération sont liés d'une manière inséparable et forment un tout indivisible, ladite opération doit être examinée dans son ensemble de manière unitaire aux fins de sa qualification juridique ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter l'exception d'incompétence soulevée par la commune, que cette dernière ne démontrait pas que l'objet principal de l'opération consisterait à confier à un opérateur privé la réalisation de travaux qui répondraient à un besoin d'intérêt général préalablement défini par la commune et répondant à ses besoins, sans rechercher si les différents volets de l'opération étaient liés de manière inséparable et formaient un tout indivisible, de sorte que l'opération contractuelle en cause devait être examinée dans son ensemble aux fins de sa qualification juridique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 4, 5 et 23 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicables au litige, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, les marchés publics sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à cette ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services.

8. Selon l'article 5-1 de la même ordonnance, les marchés publics de travaux ont pour objet, soit l'exécution, soit la conception et l'exécution de travaux dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française, soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception.

9. Selon la Cour de justice de l'Union européenne, la notion de « marchés publics de travaux », au sens de l'article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services impose que les travaux faisant l'objet du marché soient exécutés dans l'intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur (CJUE, arrêt du 25 mars 2010, [B] [M] GmbH contre Bundesanstalt für Immobilienaufgaben, C-451/08, point 54).

10. La cour d'appel a relevé, d'abord, que l'appel à candidature initié par la commune mentionnait la réalisation d'environ 190 logements collectifs, avec un taux de 40 % de logements locatifs sociaux, ce qui correspondait à la proportion minimale prévue par le plan local d'urbanisme en vigueur sur la totalité de l'emprise du projet, tout en laissant aux candidats le choix de la répartition entre l'accession libre et le prix maîtrisé.

11. Elle a constaté, ensuite, que le cahier des charges confiait aux opérateurs la mission « de concevoir et réaliser » le programme immobilier, en choisissant, sous réserve du respect de la servitude de mixité sociale, la répartition des différentes catégories de logement et modes d'acquisition, puis a souverainement retenu que les termes de la convention ne révélaient pas que la commune avait défini et imposé les caractéristiques précises du projet litigieux.

12. De ces constatations et appréciations, dont il résultait que la commune n'avait formulé aucune demande portant sur la structure architecturale des bâtiments, elle a pu déduire, d'une part, que les travaux prévus dans la convention, même s'ils comportaient la création de logements sociaux sur le territoire communal, n'avaient pas été exécutés dans l'intérêt économique direct de la commune, d'autre part, que celle-ci n'avait exercé aucune influence déterminante sur leur nature ou leur conception.

13. En second lieu, selon l'article 23 de l'ordonnance précitée, lorsque le contrat unique porte à la fois sur des prestations qui relèvent de celle-ci et des prestations qui n'en relèvent pas, elle n'est pas applicable si les prestations n'en relevant pas constituent l'objet principal du contrat et si les différentes parties au contrat sont objectivement inséparables. Lorsqu'il n'est pas possible de déterminer l'objet principal du contrat, l'ordonnance s'applique.

14. Procédant aux recherches prétendument délaissées, en se livrant à une analyse de l'économie générale de la convention, la cour d'appel a relevé, d'abord, que la promesse de vente conclue entre les parties avait pour objet la vente et l'acquisition de lots d'un lotissement, puis, qu'au titre des conditions suspensives, il avait été stipulé que les acquéreurs s'obligeaient à réaliser, sur les parcelles vendues, un programme de construction de 250 logements collectifs représentant une surface de plancher de 16 350 mètres carrés, dont environ 650 mètres carrés destinés à un local brut et 17 places de stationnement, à remettre à la commune.

15. Elle a retenu, ensuite, qu'aucun élément probant n'établissait que ce local correspondait à la réalisation d'un équipement public, en l'occurrence une crèche, répondant à un besoin spécifiquement défini par cette collectivité, puis relevé que cette obligation de livrer un local, qui constituait une modalité du paiement, ne représentait que 27 % du prix de vente total.

16. De ces constatations et appréciations, dont il résultait que les deux volets de l'opération étaient objectivement indissociables, elle a pu en déduire que la convention, qui n'avait pour objet principal ni la réalisation d'une opération d'aménagement public, ni la fourniture d'un équipement répondant à un besoin spécifiquement défini par la commune, n'était pas soumise aux règles de la commande publique, et que le litige relevait de la compétence du juge judiciaire.

17. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la commune de [Localité 6] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

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