26 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-26.018

Troisième chambre civile - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2023:C300703

Texte de la décision

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2023




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 703 FS-D

Pourvoi n° Q 21-26.018




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023

La [Adresse 5], société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-26.018 contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [T] [L], domicilié [Adresse 1]),

2°/ à la société Famina, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la [Adresse 5], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [L] et de la société civile immobilière Famina, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, M. Echappé conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Pety, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Mme Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 novembre 2021), le 15 mars 2016, M. [L] a procédé à une augmentation de capital de la société civile immobilière Famina (la SCI), par voie d'apport de parcelles agricoles.

2. Le 24 mars 2016, le notaire instrumentaire a notifié l'opération à la [Adresse 5] (la SAFER) sans préciser que l'apport était soumis à la condition suspensive de la renonciation de tout organisme titulaire à l'exercice de son droit de préemption.

3. Le 23 mai 2016, la SAFER a fait connaître son intention d'exercer son droit de préemption.

4. Le 16 juillet suivant, le notaire lui a opposé le défaut de réalisation de la condition suspensive.

5. Le 16 décembre 2016, M. [L] et la SCI ont assigné la SAFER en annulation de la décision de préemption.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La SAFER fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors :

« 1°/ que lorsque le projet d'aliénation entre dans le périmètre de son droit de préemption, la déclaration adressée à la SAFER vaut offre de contracter aux prix, conditions et modalités qui y sont contenues ; qu'en l'espèce, il était constant que la notification du projet d'apport faite le 1er avril 2016, par Me [P], notaire, à la [Adresse 4] ne mentionnait pas de condition suspensive de non-préemption ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer nulle la décision de préemption de la SAFER en date du 23 mai 2016, que M. [L] avait eu la volonté de soumettre son projet d'apport en société à la condition suspensive de non-préemption, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations suivant lesquelles la notification faite à la SAFER ne mentionnait aucune condition suspensive de non-préemption, a violé les articles L. 143-8 et l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que lorsque le projet d'aliénation entre dans le périmètre de son droit de préemption, la déclaration adressée à la SAFER vaut offre de contracter aux prix, conditions et modalités qui y sont contenues ; qu'il appartient au vendeur qui prétend que la notification faite par le notaire à la SAFER ne correspond pas à sa volonté réelle, en raison de l'omission d'une condition suspensive dans la déclaration, de démontrer la réalité de cette condition avant la notification à la SAFER et la connaissance que cette dernière en avait à cette date ; qu'en l'espèce, il était constant que la notification du projet d'apport faite le 1er avril 2016, par Me [P], notaire, à la [Adresse 4] ne mentionnait pas de condition suspensive de non-préemption et que l'information n'a été donnée à la SAFER que postérieurement ; qu'en retenant, pour juger que M. [L] avait eu la volonté de soumettre son projet d'apport en société à la condition suspensive de non préemption avant sa notification à la SAFER par le notaire et déclarer nulle sa décision de préemption du 23 mai 2016, que le procès-verbal de l'assemblée générale de la Sci Famina datée du 15 mars 2016 aurait date certaine, le notaire ayant attesté l'avoir rédigé à cette date, quand ces motifs étaient impropres à démontrer la réalité de cette condition suspensive et à la rendre opposable à la SAFER, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 143-8 et l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime ;

3°/ que les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellés ou d'inventaire ; qu'en l'espèce, il était constant que l'acte sous-seing privé d'apport n'avait été enregistré que le 21 octobre 2016 ; qu'en retenant, pour juger que M. [L] avait eu la volonté de soumettre son projet d'apport à la condition suspensive de non-préemption avant sa notification à la [Adresse 4] par le notaire et déclarer nulle sa décision de préemption du 23 mai 2016, que le procès-verbal de l'assemblée générale de la Sci Famina datée du 15 mars 2016 aurait date certaine, le notaire ayant attesté l'avoir rédigé à cette date, motifs impropres à conférer date certaine au procès-verbal litigieux, la cour d'appel a violé l'article 1328 ancien du code civil devenu l'article 1377 du même code ensemble les articles L. 143-8 et L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime ;

4°/ que lorsque le projet d'aliénation entre dans le périmètre de son droit de préemption, la déclaration adressée à la SAFER vaut offre de contracter aux prix, conditions et modalités qui y sont contenues ; qu'il appartient, au vendeur qui prétend que la notification ne correspond pas à sa volonté, en raison de l'omission d'une condition suspensive dans la déclaration de démontrer la réalité de cette condition avant la notification à la SAFER et la connaissance qu'elle en avait à cette date ; qu'en l'espèce, il était constant que la notification du projet d'apport par le notaire à la SAFER, en date du 1er avril 2016, ne mentionnait pas de condition suspensive de non-préemption et que l'information n'a été donnée à la SAFER que postérieurement ; que la cour d'appel a par ailleurs relevé que la finalité de l'apport projeté par M. [L], soit la transmission des parts à ses enfants pour maintenir le bien dans la famille, avait été rapporté à la SAFER par le notaire dans son courrier du 16 juillet 2016, la notification du 1er avril 2016 n'en faisant aucunement état pas plus que du caractère familial de la Sci Famina ; qu'en retenant, pour annuler sa décision de préemption du 23 mai 2016, que la SAFER, qui l'aurait rappelé elle-même dans son courrier du 29 août 2016, savait qu'une condition suspensive de non-préemption de la SAFER est légale et usuelle lorsque la cession revêt la forme d'un apport en société ayant un caractère familial quand il ressortait de ses propres constatations que la SAFER n'avait été informée de la soi-disant finalité de transmission intrafamiliale du bien préempté que postérieurement à sa décision de préemption du 23 mai 2016 par un courrier du notaire du 16 juillet 2016, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à démontrer tant la réalité de la condition suspensive que sa connaissance par la SAFER avant la notification, a violé les articles L. 143-8 et l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime ;

5°/ que le juge a l'interdiction de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; que dans un courrier du 29 août 2016, la [Adresse 4] s'est bornée à indiquer au notaire qu'il aurait pu faire référence, dans sa notification du 1er avril 2016 qui ne contenait aucune mention relative à une condition suspensive, à l'article L. 143-5 qui permet à un apport en société de se réaliser sous réserve de l'exercice du droit de préemption de la SAFER ; qu'en retenant, pour annuler sa décision de préemption du 23 mai 2016, que la [Adresse 4] avait elle-même rappelé dans son courrier du 29 août 2016 qu'une condition suspensive de non-préemption de la SAFER est légale et usuelle lorsque la cession revêt la forme d'un apport en société ayant un caractère familial quand il n'était aucunement question, dans ce courrier, d'un apport en société ayant un caractère familial et du caractère usuel d'une telle condition suspensive dans cette hypothèse, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de ce courrier, a violé le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

6°/ que le notaire, officier public et ministériel, chargé d'instrumenter est investi d'une mission légale d'information du prix, des charges, des conditions et modalités de la vente projetée ; que la notification est ainsi censée exprimer la volonté du vendeur tant dans son principe que dans ses modalités ; qu'il s'ensuit que l'acceptation par une SAFER des prix et conditions d'une vente de terres agricoles que le notaire instrumentaire lui a notifiés rend la vente parfaite, sauf à démontrer qu'elle ne pouvait légitimement croire que le notaire disposait des pouvoirs nécessaires pour engager le vendeur aux prix, charges, modalités et conditions de la vente projetée tels que notifiés ; qu'en retenant, pour considérer que la [Adresse 4] ne pourrait se prévaloir d'un mandat apparent et annuler la décision de préemption, que l'apparence de ce mandat ne vaudrait que pour les éléments relatifs à la volonté de vendre et au mandat ou pouvoir donné par le vendeur au notaire en charge de la notification mais non pour les conditions particulières de la vente de sorte que la SAFER devrait démontrer une circonstance légitime de nature à l'autoriser à croire dans les pouvoirs du notaire en ce qui concerne l'énoncé des conditions particulières de la vente quand, en raison de la mission légale dont le notaire est investi, la notification est censée exprimer la volonté du vendeur tant dans son principe que dans ses modalités, la cour d'appel a violé les articles L. 143-1, L. 143-8 et L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles 1998 et 1589 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a retenu, à bon droit, qu'une déclaration d'intention d'aliéner affectée d'une erreur portant sur un élément qui a pour conséquence que l'offre ne corresponde pas à la volonté du vendeur ne peut valoir pollicitation.

6. Ayant constaté que le notaire avait attesté avoir rédigé le 15 mars 2016 le procès-verbal d'apport comportant une condition suspensive de non-préemption et que l'opération avait pour but de transmettre les parts de M. [L] à ses enfants afin de maintenir le bien dans la famille, elle en a souverainement déduit que cette condition procédait de la volonté de l'apporteur, de sorte que la notification à la SAFER était entachée d'une erreur.

7. Abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les troisième à sixième branches, elle a pu retenir qu'il était indifférent que l'information donnée sur cette condition par le notaire à la SAFER ait été postérieure à l'exercice du droit de préemption et, que la condition n'ait pas été publiée antérieurement et, en déduire qu'en l'absence de rencontre de volonté concordante de céder et d'acquérir, la décision de préemption devait être annulée.

8. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la [Adresse 5] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la [Adresse 5] et la condamne à payer à M. [L] et à la société civile immobilière Famina la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

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