26 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.231

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C300704

Titres et sommaires

BAIL RURAL - Bail à ferme - Contrôle des structures - Refus d'autorisation d'exploiter - Mise en demeure de cesser l'exploitation - Nullité du bail - Prescription - Délai - Point de départ - Détermination

L'action en nullité d'un bail formée sur le fondement de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître qu'était expiré le délai imparti, dans la mise en demeure prévue par l'article L. 331-7 de ce code, au preneur contrevenant au contrôle des structures pour régulariser sa situation


BAIL RURAL - Bail à ferme - Contrôle des structures - Autorisation préalable d'exploiter - Titulaires - Associé d'une société agricole - Rachat de parts dans une autre société - Agrandissement de l'exploitation - Conditions - Détermination

Lorsqu'une personne physique, déjà associé d'une société agricole, devient associé d'une autre société agricole et que la surface cumulée exploitée par les deux sociétés dépasse le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles, la demande d'autorisation d'exploiter doit être présentée par le nouvel associé, qui procède ainsi à un agrandissement de son exploitation, et non par la société dont il a racheté des parts

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 octobre 2023




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 704 FS-B

Pourvoi n° X 21-24.231







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2023

La société Les Forges, société civile d'exploitation agricole, représentée par son gérant M. [Y] [H], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-24.231 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale et baux ruraux), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [T] [L], veuve [U], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à la société GFA CDMO, groupement foncier agricole, représentée par son gérant M. [X] [W], dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Les Forges, de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [L], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, MM. Bosse-Platière, Pety, Mme Proust, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société civile d'exploitation agricole Les Forges (la SCEA) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le groupement foncier agricole CDMO (le GFA).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 septembre 2021) et les productions, l'exploitation agricole à responsabilité limitée Oudart, devenue la SCEA, a conclu deux baux ruraux, l'un, par acte du 30 décembre 2011 avec Mme [L], et, l'autre, par acte du 30 novembre 2012 avec la société civile immobilière CDMO (la SCI).

3. En 2018, M. [H], déjà exploitant et associé de la société à objet agricole du Valquenet, est devenu associé exploitant de la SCEA.

4. Le 2 avril 2019, Mme [L] et la SCI, devenue le GFA, ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en nullité des baux sur le fondement de l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime.

5. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 décembre 2019, l'autorité administrative a mis en demeure « M. [H], la SCEA » de présenter une demande d'autorisation dans un délai d'un mois.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La SCEA fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes de Mme [L], alors « qu'en matière d'action en nullité, le délai de prescription quinquennal commence à courir à compter du jour où l'acte litigieux a été passé ; que s'agissant de l'action tendant à obtenir l'annulation d'un bail rural, faute pour le preneur d'avoir obtenu une autorisation d'exploiter, le point de départ du délai de prescription correspond à la date de conclusion du bail, le preneur étant à cet égard tenu de faire connaître au bailleur, au moment de la conclusion du bail, la superficie et la nature des biens qu'il exploite ; qu'en l'espèce, la SCEA Les Forges faisait valoir que l'action introduite par Mme [L], épouse [U], devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Caen le 2 avril 2019, était irrecevable, le délai de prescription ayant commencé à courir à compter du 30 décembre 2011 date à laquelle le bail litigieux avait été passé ; qu'en jugeant que le fait générateur constituant le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 29 juin 2016, date à laquelle M. [H], qui exploitait déjà une superficie de 353,85 ha au sein de la SCEA du Valquenet, avait repris l'exploitation des parcelles exploitées par l'EARL Oudart d'une contenance de 30,87 ha, quand le point de départ du délai de prescription correspondait à la date à laquelle le bail rural avait été conclu, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Selon l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2 du même code, la validité du bail est subordonnée à l'octroi de cette autorisation. Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de cet article dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L. 331-7 de ce code emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux.

9. Selon l'article L. 331-7 du même code, lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux règles du contrôle des structures, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine et qui ne saurait être inférieur à un mois. La mise en demeure prescrit à l'intéressé soit de présenter une demande d'autorisation, soit, si une décision de refus d'autorisation est intervenue, de cesser l'exploitation des terres concernées.

10. La Cour de cassation juge, en application de ces deux derniers textes, que l'exercice de l'action en nullité du bail rural, ouverte par l'article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, suppose, dans tous les cas, que le locataire contrevenant au contrôle des structures ait été mis en demeure et que le délai imparti soit expiré (3e Civ., 31 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.350, Bull. 2007, III, n° 186 ; 3e Civ., 12 décembre 2012, pourvoi n° 11-24.384, Bull. 2012, III, n° 184).

11. Il en résulte que l'action en nullité d'un bail formée sur le fondement de l'article L. 331-6 précité se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître qu'était expiré le délai imparti au locataire, dans la mise en demeure prévue par l'article L. 331-7 précité, pour régulariser sa situation.

12. En l'espèce, l'arrêt constate que la demande en justice date du 2 avril 2019 et la mise en demeure, qui a nécessairement précédé la date à compter de laquelle Mme [L] a eu connaissance de l'expiration du délai qu'elle impartissait, du 17 décembre 2019. L'action en nullité n'est donc pas prescrite.

13. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

14. La SCEA fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du bail consenti par Mme [L], alors « que l'associé exploitant doit seul demander une autorisation administrative d'exploiter lorsque la surface cumulée de l'exploitation nouvellement exploitée et celle des terres qu'il exploitait seul, quelle que soit la forme juridique de cette exploitation, dépasse le seuil au-delà duquel une autorisation d'exploiter est nécessaire au titre du contrôle des structures ; que, dès lors, en jugeant qu'il appartenait à la SCEA Les Forges et non à M. [H], associé exploitant qui exploitait par ailleurs des parcelles d'une contenance de 353 ha au travers de la SCEA du Valquenet, de solliciter une autorisation d'exploitation, quand il résultait de ses propres énonciations que seul M. [H] devait solliciter une telle autorisation en sa qualité d'associé exploitant, ce que confirmaient du reste les termes de la mise en demeure de la DDTM du Calvados du 17 décembre 2019, qui lui était personnellement adressée, la cour d'appel a violé l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. Mme [L] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau en ce qu'il modifie l'objet des prétentions de la SCEA, celle-ci n'ayant pas sollicité le rejet de sa demande en nullité.

16. Cependant, l'absence de prétention opposée en défense à une demande ne rend pas irrecevable le moyen faisant grief à l'arrêt de l'avoir accueillie.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 331-1, alinéa 1er, L. 331-1-1, 1° et 2°, L. 331-2, I, 1°, dans leur version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, L. 331-6 et R. 331-1, dans sa version issue du décret n° 2015-713 du 22 juin 2015, du code rural et de la pêche maritime :

18. Aux termes du premier de ces textes, le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée.

19. Aux termes du deuxième, est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime. Est qualifié d'agrandissement d'exploitation ou de réunion d'exploitations au bénéfice d'une personne le fait, pour celle-ci, mettant en valeur une exploitation agricole à titre individuel ou dans le cadre d'une personne morale, d'accroître la superficie de cette exploitation.

20. Aux termes du dernier, pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production.

21. Aux termes du troisième, sont soumises à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

22. Le Conseil d'Etat a jugé que le rachat, par une personne physique, de parts d'une société à objet agricole, si elle participe effectivement aux travaux en son sein, constitue un agrandissement de son exploitation, soumis à autorisation préalable si la surface totale qu'elle envisage de mettre en valeur, incluant les surfaces exploitées par cette société, excède le seuil fixé par le schéma directeur des structures (CE, 2 juillet 2021, n° 432801, mentionné aux tables du Recueil Lebon ; CE, 30 novembre 2021, n° 439742, mentionné aux tables du Recueil Lebon).

23. Il en résulte que, dans cette hypothèse, la demande d'autorisation doit être présentée par le nouvel associé, qui procède ainsi à un agrandissement de son exploitation, et non par la société.

24. Selon le quatrième de ces textes, si le preneur est tenu d'obtenir une autorisation d'exploiter en application de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, la validité du bail est subordonnée à l'octroi de cette autorisation. Le refus définitif de l'autorisation ou le fait de ne pas avoir présenté la demande d'autorisation exigée en application de cet article dans le délai imparti par l'autorité administrative en application du premier alinéa de l'article L. 331-7 du même code emporte la nullité du bail que le préfet du département dans lequel se trouve le bien objet du bail, le bailleur ou la société d'aménagement foncier et d'établissement rural, lorsqu'elle exerce son droit de préemption, peut faire prononcer par le tribunal paritaire des baux ruraux.

25. En l'espèce, pour prononcer la nullité du bail consenti par Mme [L], l'arrêt retient qu'en dépit d'une mise en demeure par l'autorité administrative, la SCEA n'a pas présenté de demande d'autorisation à la suite de l'entrée de M. [H] à son capital en 2016, alors qu'il s'agit d'une opération d'agrandissement de son exploitation au sens des dispositions de l'article L. 331-1-1, 2°.

26. En statuant ainsi, alors que la SCEA n'était pas tenue de présenter une demande d'autorisation en raison du rachat par M. [H] de ses parts sociales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de Mme [L] et statue sur les demandes du groupement foncier agricole CDMO, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [L] et la condamne à payer à la société civile d'exploitation agricole Les Forges la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-trois.

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