24 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-85.682

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01226

Texte de la décision

N° N 22-85.682 F-D

N° 01226


ODVS
24 OCTOBRE 2023


CASSATION PARTIELLE


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 OCTOBRE 2023



Mme [J] [C], partie civile, et la société Axa assurances, partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 21 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [M] [L], du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [J] [C], les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa assurances et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [J] [C] a été blessée dans un accident de la circulation causé par M. [M] [L] qui a été déclaré entièrement responsable des dommages.

3. La constitution de partie civile de la victime a été déclarée recevable, la décision a été déclarée opposable à la société Axa assurances, partie intervenante.

4. Par jugement sur l'action civile, le tribunal a alloué diverses sommes à Mme [C] en réparation de ses préjudices et a condamné l'assureur au doublement du taux d'intérêt légal à compter de la date de l'accident.

5. Mme [C] et la société Axa assurances ont formé appel du jugement.

Déchéance du pourvoi formé par la société Axa France

6. La société Axa Assurances n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son conseil, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [L] à payer à Mme [C] la somme de 48 000 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs et incidence professionnelle et l'a débouté du surplus de ses demandes, alors :

« 1°/ qu'en statuant sur les intérêts civils, les juges doivent se prononcer dans la limite des conclusions des parties dont ils sont saisis ; que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ; que Mme [J] [C] demandait l'indemnisation de deux chefs de préjudice distincts : les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle lesquels correspondent à des définitions précises ; qu'en jugeant que « la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle sont constituées par la perte d'un emploi plus valorisant au moins équivalent au salaire minimum à compter de la date de la consolidation sur une période de dix ans. Il y a lieu de retenir une perte de 400 € par mois sur une période de dix ans soit une somme totale de 48 000 € qui sera allouée à la victime au titre de ces deux postes de préjudice » (arrêt p. 5, dernier al.), sans préciser le montant de l'indemnisation accordée au titre des pertes de gains professionnels futurs et celui accordé au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et, en particulier, de s'assurer que l'indemnisation allouée au titre de l'incidence professionnelle n'est pas inférieure à celle de 15 000 euros offerte par l'assureur et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 459, 512 et 593 du code de procédure pénale et le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1240 du code civil et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

9. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour condamner le prévenu au paiement de 48 000 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle, l'arrêt attaqué énonce que le déficit fonctionnel permanent de Mme [C] a été évalué à 10 % chez une personne âgée de vingt ans au moment de la consolidation de ses blessures et qui a été reconnue travailleuse handicapée pour une durée limitée.

11. Il en déduit qu'il y a lieu de retenir une perte de 400 euros par mois sur une période de dix ans, soit 48 000 euros, somme qui sera allouée en réparation de ces deux postes de préjudice.

12. En fixant à une somme globale l'indemnisation des préjudices de perte de gains professionnels futurs et d'incidence professionnelle, dont elle a constaté l'existence, sans préciser le montant accordé au titre de chacun d'eux, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société Axa assurances à payer à Mme [C] les intérêts au double de l'intérêt légal sur la seule somme de 69 822,61 euros et seulement du 30 octobre 2016 au 19 juin 2017, alors :

« 1°/ que même si l'état de la victime n'est pas consolidé, l'assureur est tenu de lui faire une offre d'indemnisation, éventuellement provisionnelle, dans les huit mois qui suivent la date de l'accident ; qu'en cas de manquement à cette obligation, l'assureur est condamné à lui verser des intérêts au double du taux de l'intérêt légal à compter de la date à laquelle il aurait dû lui faire une offre d'indemnisation et jusqu'au jour où il lui a effectivement adressé une offre comprenant tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'en faisant courir les intérêts au double du taux de l'intérêt légal 5 mois après la date à laquelle l'assureur a eu connaissance de la date de consolidation de la victime, jusqu'à la date à laquelle il a formulé une offre à la victime, sans constater que l'assureur lui avait fait une offre provisionnelle dans les 8 mois qui ont suivi l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ;

2°/ que même si l'état de la victime n'est pas consolidé, l'assureur est tenu de lui faire une offre d'indemnisation, qui peut être provisionnelle, dans les huit mois qui suivent la date de l'accident, puis de lui faire une offre définitive dans les cinq mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance de la date de consolidation de ses blessures ; que l'offre pour être valable doit porter sur tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'en affirmant « l'existence d'une offre dans le délai légal » (arrêt p 6, dernier al.), après avoir constaté que l'accident s'était produit le 4 juin 2015, que l'assureur avait été informé de la date de consolidation de la victime le 30 mai 2016 et qu'il ne lui avait fait une offre d'indemnisation que le 19 juin 2017, soit près de deux ans après l'accident et plus d'un an après avoir été informé de la date de consolidation des blessures de la victime, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 211-9 du code des assurances ;

3°/ que même si l'état de la victime n'est pas consolidé, l'assureur est tenu de lui faire une offre d'indemnisation, même provisionnelle, dans les huit mois qui suivent la date de l'accident, puis de lui faire une offre définitive dans les cinq mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance de la date de consolidation de ses blessures ; que l'offre pour être valable doit porter sur tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'en considérant que l'offre était valable sans constater qu'elle portait sur tous les chefs de préjudice indemnisables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ;

4°/ que même si l'état de la victime n'est pas consolidé, l'assureur est tenu de lui faire une offre d'indemnisation, même provisionnelle, dans les huit mois qui suivent la date de l'accident, puis de lui faire une offre définitive dans les cinq mois suivant la date à laquelle il a eu connaissance de la date de consolidation de ses blessures ; que l'offre pour être valable doit porter sur tous les chefs de préjudice indemnisables ; qu'en jugeant que l'offre faite par l'assureur le 19 juin 2017 était valable, bien qu'elle n'ait pas comporté d'offre au titre des pertes de gains professionnels futurs, au motif « que Mme [J] [C] assistée de son conseil n'a fourni à la réception du rapport à l'assureur aucun élément permettant à celui-ci d'apprécier le préjudice professionnel dans le cadre de l'offre légale et que les sommes allouées par le tribunal soit 63 474,01 euros sont proches de l'offre d'indemnisation » (arrêt p. 6, pénultième al.), sans constater que l'assureur avait adressé à la victime une demande de renseignements dans les formes et conditions requises par l'article R. 211-39 du code des assurances, la cour d'appel a violé les articles R. 211-37, R. 211-39, L. 211-9, L. 211-13 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances :

15. Il résulte du premier de ces textes qu'une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident, comprenant tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable, et que cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime, l'offre définitive d'indemnisation devant alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.

16. Aux termes du second, lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article précité, le montant de l'indemnité offerte par l' assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif.

17. Pour limiter la condamnation au doublement des intérêts au taux légal à la période du 30 octobre 2016 au 19 juin 2017, l'arrêt attaqué énonce que l'accident a eu lieu le 4 juin 2015 et que, par une expertise notifiée aux parties le 30 mai 2016, la consolidation a été fixée au 12 avril 2016.

18. Le juge relève que le 19 juin 2017, une offre définitive d'indemnisation de 45 014,35 euros a été proposée par l'assureur à la victime et que la somme allouée par le tribunal en est proche.

19. Il ajoute qu'à la réception du rapport d'expertise, la victime n'a fourni à l'assureur aucun élément permettant à celui-ci d'apprécier le préjudice professionnel dans le cadre de l'offre.

20. Il conclut que, compte tenu de l'existence d'une offre dans le délai légal, la pénalité doit s'appliquer au montant de l'offre du 19 juin 2017 sur la période du 30 octobre 2016 au 19 juin 2017.

21. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'offre de l'assureur, qui n'avait été présentée ni dans le délai de huit mois à compter de la date de l'accident, ni dans celui de cinq mois à compter de la connaissance de la date de consolidation, était tardive, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés.

22. La cassation est encore encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par la société Axa assurances :

CONSTATE la déchéance du pourvoi de la société Axa assurances

Sur le pourvoi formé par Mme [C] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 21 janvier 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la perte de gains professionnels futurs, à l'incidence professionnelle et à l'indemnité allouée sur le fondement de l'article L. 211-13 du code des assurances, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille vingt-trois.

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