18 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-18.926

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C100556

Titres et sommaires

POSTES ET COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES - communications électroniques - communication au public en ligne - prestataires techniques - fournisseurs d'accès - contenus de nature à causer un dommage - mesures propres à le prévenir ou le faire cesser - recevabilité - mise en cause préalable des prestataires d'hébergement - impossibilité d'agir contre eux - indifférence

Il résulte de l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'internet aux fins de prescription de mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par le contenu de tels services de communication n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 octobre 2023




Cassation partielle


Mme CHAMPALAUNE, président



Arrêt n° 556 FS-B

Pourvoi n° B 22-18.926




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 OCTOBRE 2023

1°/ L'association e-Enfance, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ l'association La Voix de l'enfant, dont le siège est [Adresse 8],

ont formé le pourvoi n° B 22-18.926 contre l'arrêt rendu le 19 mai 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Outremer Télécom, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11],

2°/ à la société SFR fibre, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la Société française du radiotéléphone (SFR), société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],

4°/ à la Société réunionnaise du radiotéléphone (SRR), dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à la société Free, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 10],

6°/ à la société Bouygues Télécom, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9],

7°/ à la société Orange, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

8°/ à la société Orange Caraibes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

9°/ à la société Colt Technology services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations orales de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat des associations e-Enfance et La Voix de l'enfant, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Outremer Télécom, SFR fibre, Société française du radiotéléphone et Société réunionnaise du radiotéléphone, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Free, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Bouygues Télécom, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Orange et Orange Caraibes, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Colt Technology services, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 septembre 2023 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes de Cabarrus, Dumas, Feydeau-Thieffry, Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2022), rendu en référé, l'association e-Enfance, qui a pour objet la protection des enfants et des adolescents contre les risques liés à tous moyens de communication interactifs, et l'association La Voix de l'enfant, qui a pour objet d'agir en justice et de représenter les intérêts d'enfants victimes ou en danger (les associations), ont assigné les sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Free, Bouygues Télécom, Colt Technologyservices et Outremer Télécom ainsi que la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Société réunionnaise du radiotéléphone afin qu'il soit enjoint à ces sociétés de mettre en oeuvre ou de faire mettre en oeuvre toute mesure appropriée de blocage pour empêcher l'accès à partir du territoire national à différents sites pornographiques et de justifier des mesures prises et mises en oeuvre à cette fin.

Examen des moyens

Sur le second moyen


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

3. Les associations font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors :

« 1°/ que n'étant pas subordonnée à la mise en cause des prestataires d'hébergement, la prescription par le juge des référés, sur le fondement de l'article 6-I.8 de la loi du 21 juin 2004 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, de mesures de prévention ou de cessation mises à la charge des fournisseurs d'accès n'est subordonnée ni à une vaine tentative de mise dans la cause du prestataire d'hébergement du contenu illicite, ni à la démonstration d'une impossibilité d'agir contre ce dernier ; qu'en décidant le contraire, s'agissant au surplus de mesures destinées à faire cesser l'accessibilité de contenus à caractère pornographique par des mineurs, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble les articles 24 de la Charte des droits fondamentaux, 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ qu'en soumettant la recevabilité de l'action en référé à la condition d'une mise en cause ou d'une tentative de mise en cause de l'éditeur ou de l'auteur du contenu illicite, ou d'une démonstration de l'impossibilité d'agir contre ces derniers, la cour d'appel a violé l'article 6-I.8 de la loi du 21 juin 2004 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, ensemble les articles 24 de la Charte des droits fondamentaux, 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6-I.8 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 :

4. Selon ce texte, l'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ou, à défaut, à toute personne dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un tel service de communication.

5. Il en résulte que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'Internet aux fins de prescription de ces mesures n'est subordonnée ni à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux.

6. Pour déclarer irrecevables les demandes des associations, l'arrêt retient que les requérants à une mesure de blocage auprès des fournisseurs d'accès à l'Internet doivent établir l'impossibilité d'agir efficacement et rapidement contre l'hébergeur, l'éditeur ou l'auteur et que les associations n'en rapportent pas la preuve, que l'ensemble des sites litigieux mentionne une société éditrice ayant une adresse située sur le territoire de l'Union européenne et qu'une démarche aurait également été possible auprès des hébergeurs, identifiables pour certains des sites par des services gratuits « Who Host This ? » ou par une requête « Whois ».

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action de l'association e-Enfance et de l'association La Voix de l'enfant, fondée sur l'article 6-I.8 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, l'arrêt rendu le 19 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne les sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Free, Bouygues Télécom, Colt Technology services et Outremer Télécom ainsi que la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Société réunionnaise du radiotéléphone aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Colt Technology services et Outremer Télécom ainsi que de la Société française du radiotéléphone (SFR) et de la Société réunionnaise du radiotéléphone et condamne les sociétés SFR fibre, Orange, Orange Caraïbe, Free, Colt Technology services et Outremer Télécom ainsi que la Société française du radiotéléphone (SFR) et la Société réunionnaise du radiotéléphone à payer à l'association e-Enfance et à l'association La Voix de l'enfant la somme globale de 5 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre deux mille vingt-trois.

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