11 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-87.401

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01155

Texte de la décision

N° K 21-87.401 F-D

N° 01155


GM
11 OCTOBRE 2023


CASSATION


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2023


Le directeur général des finances publiques, partie civile, et le procureur général près la cour d'appel de Nîmes ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-85.651), a relaxé la société Alliadis du chef de complicité de fraude fiscale, et a débouté l'administration fiscale de ses demandes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande et en défense, et des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur des finances publiques, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Alliadis et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,



la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [L] [O], pharmacienne à [Localité 1] (30), et son mari M. [U] [C], ont fait l'objet d'une enquête et de poursuites à la suite de diverses malversations, dont des fraudes fiscales.

3. Les époux [C] ont été poursuivis pour souscription de déclarations de revenus minorées, et Mme [C] pour souscription de déclarations mensuelles de taxe sur la valeur ajoutée minorées, souscription de déclarations de bénéfices industriels et commerciaux passibles de l'impôt sur le revenu minorées, et omission de passation d'écritures comptables.

4. Cette fraude fiscale a été réalisée par des manipulations informatiques de la comptabilité rendues possibles par l'utilisation d'un logiciel « Alliance Plus » fourni aux époux [C] par la société Alliadis, qui leur a également fourni un mot de passe donnant accès au menu d'administration des données du logiciel, grâce auquel il était possible de supprimer des ventes enregistrées afin qu'elles ne soient pas retranscrites dans la comptabilité de l'officine.

5. La société Alliadis a été poursuivie pour s'être rendue complice des délits de fraude fiscale commis par les époux [C].

6. Par jugement du 24 novembre 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les époux [C] coupables notamment de fraude fiscale, et la société Alliadis coupable de complicité de fraude fiscale. Cette dernière a été condamnée à 187 500 euros d'amende. Le tribunal a ordonné la confiscation des scellés et déclaré recevable la constitution de partie civile du directeur général des finances publiques.

7. La société Alliadis, le directeur général des finances publiques et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Énoncé des moyens

8. Le moyen proposé par le procureur général près la cour d'appel de Nîmes est pris de la violation des articles 470, 427 et 591 du code de procédure pénale, 121-6 et 121-7 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a estimé que l'élément matériel de la complicité de fraude fiscale était insuffisamment constitué, alors :

1°/ que selon les juges du fond, certaines opérations, notamment les opérations donnant lieu à des paiements en espèces, pouvaient être extraites de la comptabilité au moyen du logiciel assorti d'un mot de passe, ce qui permettait la tenue d'une comptabilité non fidèle et le dépôt de déclarations inexactes ; que toujours selon les juges du fond, le dispositif avait manifestement été mis au point dans l'intérêt fiscal des clients ; que ce faisant, ils ont nécessairement caractérisé la complicité par aide et assistance ;

2°/ qu'il importait peu que la disparition définitive des données extraites de la comptabilité soit le fait d'un autre dispositif non fourni, non visé à la prévention, dès lors que le logiciel et son mot de passe fournis par la société prévenue permettaient à eux seuls pour leurs utilisateurs la constitution d'une comptabilité irrégulière et des déclarations inexactes ;

3°/ que le délit prévu par l'article 1743 du code général des impôts est constitué au moment où la comptabilité est établie et le délit de fraude fiscale par dissimulation l'est lui-même au moment où la déclaration est déposée ; qu'en opposant qu'un contrôle fiscal par hypothèse postérieur à l'établissement de la comptabilité et au dépôt des déclarations restait malgré tout possible, et que toute découverte de la fraude n'était pas impossible, les juges du fond se sont déterminés sur la base d'un motif inopérant ;

4°/ que si, mis en possession des éléments matérialisant l'aide et l'assistance, l'auteur principal des délits d'irrégularités comptables et de fraude fiscale par dissimulation pouvait ne pas user de ceux-ci et conservait la faculté, en fin de compte, d'insérer à sa comptabilité l'ensemble des opérations jusque-là occultées et de déposer des déclarations exactes, l'existence de cette option n'est pas de nature à faire disparaître l'élément matériel de la complicité.

10. Le moyen proposé pour le directeur général des finances publiques critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a décidé que l'élément matériel de la complicité était insuffisamment constitué et a renvoyé la société Alliadis du chef de complicité de fraude fiscale et d'irrégularités comptables, alors :

« 1°/ que, premièrement, selon les juges du fond, et au moyen du logiciel assorti d'un mot de passe, certaines opérations, notamment les opérations donnant lieu à des paiements en espèces, pouvaient être extraites de la comptabilité, ce qui permettait la tenue d'une comptabilité non fidèle et le dépôt de déclarations inexactes ; que toujours selon les juges du fond, le dispositif a manifestement été mis au point dans l'intérêt fiscal des clients ; que ce faisant, les juges ont caractérisé la complicité par aide et assistance ; qu'en prononçant néanmoins une relaxe, ils ont violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts ;

2°/ que, deuxièmement, il importait peu que la disparition définitive des données extraites de la comptabilité soit le fait d'un autre dispositif, non visé à la prévention, dès lors que le logiciel et son mot de passe permettaient à
eux seuls la constitution d'une comptabilité irrégulière et l'établissement de
déclarations inexactes ; qu'à cet égard également, les juges ont violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts ;

3°/ que, troisièmement, le délit prévu par l'article 1743 du code général des impôts est constitué au moment où la comptabilité est établie et le délit de fraude fiscale par dissimulation est lui-même constitué au moment où la déclaration est déposée ; qu'en opposant qu'un contrôle fiscal par hypothèse
postérieur à l'établissement de la comptabilité et au dépôt des déclarations était encore possible, et que toute découverte de la fraude n'était pas impossible, les juges du fond se sont déterminés sur la base d'un motif inopérant et ont violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts ;

4°/ que, quatrièmement, si, mis en possession des éléments révélant l'aide et l'assistance, l'auteur du délit principal, qu'il s'agisse des irrégularités comptables ou de la fraude fiscale par dissimulation, peut ne pas user des moyens mis à sa disposition et a la faculté, en fin de compte, d'insérer à sa
comptabilité l'ensemble des opérations et de déposer des déclarations exactes, l'existence de cette liberté n'est pas de nature à faire disparaître l'élément matériel de la complicité ; qu'à cet égard encore, les juges du fond ont violé les articles 121-6 et 121-7 du code pénal, 1741 et 1743 du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 121-7 du code pénal :

12. Aux termes du premier alinéa de ce texte, est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

13. Pour relaxer la société Alliadis du chef de complicité de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des témoignages recueillis et des expertises réalisées que l'opération de déplacement des écritures litigieuses n'entraînait pas l'effacement de ces dernières, le logiciel ne contenant aucune fonctionnalité permettant de supprimer l'enregistrement des opérations dans le fichier « traces », ni aucun moyen de modifier la numérotation séquentielle, et que la fraude était détectable, puisque chaque opération de suppression faite par l'utilisateur était mémorisée dans ce fichier « traces ».

14. Les juges ajoutent que l'utilisation du code fourni par la société Alliadis permettait l'accès à un mode administrateur offrant de nombreuses fonctionnalités, parmi lesquelles celle de déplacer l'écriture dans un fichier « traces », mais non de la supprimer.

15. Ils retiennent que si le déplacement, voire l'enfouissement, de l'information grâce à un dédale de fonctionnalités a rendu plus difficile le contrôle fiscal, cette complexité, manifestement étudiée par la société Alliadis dans l'intérêt fiscal des clients, n'a pas rendu impossible tout contrôle.

16. La cour d'appel relève encore que, si l'utilisation de la commande Linux par le pharmacien était facilitée par sa désignation en clair dans la fenêtre de consultation, cette facilité ne fait pas partie des modes d'assistance expressément listés par la prévention, et que l'obtention de cette commande, d'un accès vulgarisé, n'est ni imputée ni imputable à la société Alliadis.

17. Les juges énoncent que, dès lors qu'à la date des faits, les constructeurs et vendeurs de logiciels ne s'étaient pas vu interdire de commercialiser des potentialités informatiques parmi d'autres fonctionnalités de gestion, il incombait aux utilisateurs de faire usage de ces dernières conformément à la légalité, et que l'utilisateur disposant d'une marge de manoeuvre, ses « choix délictueux » ne peuvent être imputés à l'éditeur.

18. Ils en déduisent que l'élément matériel de la complicité reprochée à la société Alliadis apparaît insuffisamment constitué.

19. En prononçant ainsi, et dès lors qu'elle constate par ailleurs, d'une part, que le logiciel et le mot de passe fournis par la société Alliadis permettaient d'établir une comptabilité incomplète, et donc d'effectuer des déclarations inexactes en déplaçant des écritures relatives à l'encaissement d'espèces dans un fichier, lui-même susceptible d'être aisément supprimé, d'autre part, que la complexité des fonctions rendait difficile la découverte de la fraude en cas de contrôle fiscal, enfin, que selon les salariés de l'entreprise, cette potentialité était connue et recherchée par les clients de la société, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a méconnu le texte susvisé.

20. La cassation est par conséquent encourue.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 28 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille vingt-trois.

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