19 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
23-80.060
Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA
Publié au Bulletin
ECLI:FR:CCASS:2023:CR01164
Titre
Sommaire
Il résulte de l'article 116 du code de procédure pénale que, lorsque la personne a été convoquée en vue de sa première comparution conformément aux prescriptions du premier alinéa de l'article 80-2 dudit code, et que son avocat est absent, notamment en raison d'une désignation tardive, le juge d'instruction ne peut interroger la personne mise en cause, même si celle-ci y consent expressément. Il s'ensuit que le juge d'instruction n'a l'obligation ni d'ordonner le renvoi de cet interrogatoire ni de motiver son refus de faire droit à une demande de renvoi de l'avocat de l'intéresséTexte de la décision
N° M 23-83.983 F-B
N° X 23-80.060
N° 01164
RB5
19 SEPTEMBRE 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 SEPTEMBRE 2023
M. [R] [F] a formé des pourvois :
- contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 16 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de tentatives d'assassinat en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure (pourvoi n° 23-80.060) ;
- contre l'arrêt de ladite chambre de l'instruction, en date du 9 juin 2023, qui, dans la même information, l'a renvoyé devant la cour d'assises de Paris sous l'accusation de tentatives d'assassinats en bande organisée et associations de malfaiteurs, infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, en récidive (pourvoi n° 23-83.983).
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R] [F], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [R] [F], détenu pour autre cause, a été convoqué par le juge d'instruction le 31 mai 2022 pour un interrogatoire de première comparution dans le cadre de la présente procédure, fixé au 15 juin 2022.
3. Le 9 juin 2022, à 18 heures 11, un avocat a écrit au greffe du juge d'instruction pour demander le report dudit interrogatoire. Le greffe a répondu le 10 juin, à 17 heures 06, qu'il n'était pas possible de faire droit à cette demande et qu'aucune désignation régulière de cet avocat n'avait été reçue.
4. Par courrier expédié le 10 juin 2022, M. [F] a écrit à ce même avocat pour lui indiquer son intention de le saisir.
5. Le 13 juin, cet avocat a sollicité à nouveau le report de l'interrogatoire, indiquant avoir reçu une désignation par courrier, sans toutefois la produire.
6. Lors de l'interrogatoire de première comparution, M. [F] a confirmé la désignation de cet avocat, désignation qui, selon mention au procès-verbal, avait été reçue le 13 juin 2022. En l'absence de celui-ci, indisponible, il a indiqué ne pas souhaiter être assisté d'un avocat commis d'office, renoncer à l'assistance d'un avocat, avant d'exercer son droit au silence.
7. Mis en examen des chefs précités, il a, par requête du 16 septembre 2022, demandé la nullité de cet interrogatoire de première comparution.
8. Par ordonnance du 14 février 2023, le juge d'instruction a ordonné sa mise en accusation devant la cour d'assises.
9. M. [F] a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 16 décembre 2022
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce ou d'un acte de la procédure et constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D 884 incluse, alors :
« 1°/ d'une part que lorsque l'interrogatoire de première comparution n'est pas tenu consécutivement au défèrement du mis en cause, l'avocat désigné par ce dernier doit être convoqué au plus tard cinq jours ouvrables avant l'interrogatoire et doit pouvoir consulter le dossier au moins quatre jours ouvrables avant cet acte, à peine de nullité ; que si la désignation par le mis en cause de son avocat choisi intervient tardivement, il appartient au juge d'instruction de reporter l'interrogatoire afin de permettre à la défense de bénéficier de ces délais ; qu'au cas d'espèce, l'avocat de Monsieur [F], officiellement désigné le 13 juin 2022, n'a été convoqué que le 14 juin pour l'interrogatoire de première comparution de l'exposant prévu le lendemain ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler l'interrogatoire de première comparution de Monsieur [F], que « l'absence de convocation régulière de l'avocat résultant d'une désignation ne permettant pas de respecter les délais de l'article 114 du Code de procédure pénale ne constitue pas un obstacle à la tenue de l'interrogatoire de première comparution », quand le respect des délais de l'article 114 du Code de procédure pénale constitue une formalité substantielle dont la violation entache la validité de l'interrogatoire de première comparution, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 80-2, 114, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que la renonciation à un droit ne peut être efficace et valable que dans la mesure où elle intervient en présence de l'avocat ou ce dernier dument appelé ; qu'au cas d'espèce, il résulte de ce qui précède que l'avocat de Monsieur [F] n'a pas été dument appelé en vue de l'interrogatoire de première comparution de l'exposant ; que, constatant l'absence de son avocat, Monsieur [F] a refusé d'être assisté par un autre avocat ou un avocat commis d'office ; que ce n'est que devant le refus du juge d'instruction de procéder au report de l'interrogatoire – pourtant imposé par la loi – que l'exposant a été contraint de renoncer à l'assistance de son avocat ; qu'en retenant toutefois, pour refuser d'annuler l'interrogatoire de première comparution de Monsieur [F], que « dès lors que la personne a valablement renoncé à l'assistance de son conseil de manière expresse et préalable à l'acte, le grief tiré de l'absence de ce dernier est sans portée », quand la prétendue « renonciation » de l'exposant à l'assistance de son conseil n'était précisément pas valable, la Chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à écarter le grief subi par Monsieur [F] et résultant de l'atteinte aux droits de la défense causé par le comportement du juge d'instruction, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 80-2, 114, 172, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ enfin et en tout état de cause qu'il appartient au juge d'instruction, saisi d'une demande de report de l'interrogatoire de première comparution fondée sur la méconnaissance des délais de l'article 114 du Code de procédure pénale, de justifier le rejet de cette demande par des circonstances imprévisibles et insurmontables, extérieures aux services de la justice, rendant impossible le report de cet acte ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que dès qu'il a été informé de sa désignation, puis lorsque celle-ci a été régularisée, puis encore le jour de l'interrogatoire, l'avocat de Monsieur [F] a sollicité le report de l'interrogatoire de première comparution de l'exposant, compte tenu de l'impossibilité pour la défense d'assurer son office dans les délais restreints et illégaux qui lui avaient été fixés par le juge ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler l'interrogatoire litigieux, à affirmer qu' « il ne saurait en outre être fait grief au juge d'instruction de ne pas avoir répondu à une demande de report, qui non seulement n'est pas prévue par les textes dans ce cas de figure à ce stade de la procédure, et qui avait été de surcroît formulée par un conseil à une date à laquelle il n'était pas encore régulièrement désigné en procédure », quand il appartenait non seulement au juge d'instruction de répondre aux multiples demandes formées par l'avocat de Monsieur [F] antérieurement et postérieurement à sa la régularisation de sa désignation, mais encore d'y répondre par une décision motivée au regard des circonstances imprévisibles et insurmontables, extérieures aux services de la justice, rendant impossible le report de cet interrogatoire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 80-2, 114, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour écarter le moyen de nullité de l'interrogatoire de première comparution de M. [F], l'arrêt attaqué énonce que l'absence de convocation régulière de l'avocat résultant d'une désignation effectuée par le demandeur l'avant-veille de la date prévue ne permettant pas de respecter les délais de l'article 114 du code de procédure pénale ne constitue pas un obstacle à la tenue de cet interrogatoire.
12. Les juges ajoutent que les articles 80-2 et 116, alinéa 4, du code de procédure pénale sanctionnent l'absence de l'avocat par l'impossibilité pour le juge d'interroger la personne mise en cause, mais n'interdisent ni la renonciation par cette dernière à la présence de son avocat ni que le juge d'instruction procède à la mise en examen.
13. Ils énoncent encore qu'il ne saurait être fait grief au juge d'instruction de ne pas répondre à une demande de renvoi non prévue par les textes, de surcroît formulée par un conseil à une date où il n'était pas encore désigné en procédure.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
15. En effet, il résulte de l'article 116 du code de procédure pénale que, lorsque la personne a été convoquée en vue de sa première comparution conformément aux prescriptions du premier alinéa de l'article 80-2 dudit code, et que son avocat est absent, notamment en raison d'une désignation tardive, le juge d'instruction ne peut interroger la personne mise en cause, même si celle-ci y consent expressément. Il s'ensuit que le juge d'instruction n'a ni l'obligation d'ordonner le renvoi de cet interrogatoire ni de motiver son refus de faire droit à une demande de renvoi de celui-ci.
16. Dès lors, le moyen, inopérant en sa deuxième branche, ne peut être accueilli.
Sur le moyen du pourvoi formé contre l'arrêt du 9 juin 2023
17. Le moyen, qui se limite à demander la cassation par voie de conséquence de l'arrêt du 9 juin 2023, est devenu sans objet du fait du rejet du moyen dirigé contre l'arrêt du 16 décembre 2022.
18. Par ailleurs, les arrêts sont réguliers en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf septembre deux mille vingt-trois.