21 septembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-19.776

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200862

Titres et sommaires

ASSURANCE (RèGLES GéNéRALES) - Garantie - Exclusion - Exclusion formelle et limitée - Définition

Est formelle, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, la clause excluant de la garantie responsabilité civile professionnelle d'une entreprise "les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés"


ASSURANCE RESPONSABILITE - Garantie - Exclusion - Exclusion formelle et limitée - Préjudice spécifique d'anxiété

Dénature cette clause la cour d'appel qui retient qu'elle ne peut recevoir application que pour les dommages causés directement par l'amiante et que tel n'est pas le cas du préjudice d'anxiété subi par les salariés d'une entreprise inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2023




Cassation partielle


Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 862 FS-B


Pourvois n°
et
H 21-19.801
E 21-19.776 Jonction





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2023

I. La société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° H 21-19.801 contre l'arrêt n° RG : 19/03634 rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société ACH construction navale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], représentée par son liquidateur amiable, M. [D] [K], domicilié en cette qualité [Adresse 3]

2°/ à la société Helvetia assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

4°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 2], et toutes deux venant aux droits de la société Covea Risks,

défenderesses à la cassation.

La société Helvetia assurances a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

II. 1°/ la société MMA IARD, société anonyme,

2°/ la société MMA IARD assurances mutuelles,

toutes deux venant aux droits de la société Covea Risks,

ont formé le pourvoi n° E 21-19.776 contre le même arrêt, dans le litige les opposant :

1°/ à la société ACH construction navale, société anonyme, représentée par son liquidateur amiable, M. [D] [K],

2°/ à la société Helvetia assurances, société anonyme,

3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse au pourvoi principal n° H 21-19.801 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident éventuel n° H 21-19.801 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demanderesses au pourvoi n° E 21-19.776 invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Allianz IARD, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société ACH construction navale, représentée par M. [K], en qualité de liquidateur amiable, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Helvetia assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, M. Martin, Mme Chauve, M. Pedron, conseillers, M. Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte aux sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Helvetia assurances.

2. Il est donné acte à la société Allianz IARD de ce qu'elle renonce à la deuxième branche du moyen de son pourvoi.

Jonction

3. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 21-19.801 et E 21-19.776 sont joints.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 mai 2021), la société ACH construction navale (la société ACH), qui avait pour activité principale la construction et la réparation navales, a été en activité du 31 décembre 1970 au 31 juillet 2000, date de sa dissolution anticipée.

5. La société ACH a souscrit plusieurs contrats d'assurances garantissant sa responsabilité civile : deux contrats auprès de la société Helvetia assurances (la société Helvetia), dont le second a pris fin le 31 décembre 1999 ; un contrat auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz), à effet du 1er janvier 2000 au 21 janvier 2008, et un contrat auprès de la société Covea Risks, aux droits de laquelle se trouvent les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), à effet du 3 mars 2008.

6. Se prévalant de l'inscription, par arrêté du 7 juillet 2000 publié au Journal officiel du 22 juillet 2000, sur le fondement de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de la société ACH sur la liste des établissements ouvrant droit au versement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) aux salariés et anciens salariés y ayant travaillé pendant des périodes où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, 150 anciens salariés de la société ACH ont engagé, à compter du 6 juillet 2009, plusieurs procédures à son encontre, afin d'être indemnisés de leur préjudice spécifique d'anxiété.

7. Plusieurs arrêts irrévocables ont condamné la société ACH à verser, à chacun d'entre eux, une certaine somme en réparation de ce préjudice.

8. La société ACH a ensuite assigné les sociétés Allianz, Covea Risks et Helvetia devant un tribunal de grande instance afin qu'elles la garantissent des condamnations mises à sa charge.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal n° H 21-19.801 de la société Allianz et sur le moyen du pourvoi n° E 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa première branche


9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le moyen du pourvoi n° E 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. Les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner, in solidum avec la société Allianz, à payer à la société ACH la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, alors « qu'est formelle et limitée la clause d'exclusion qui permet à l'assuré de déterminer clairement quels dommages sont placés hors du champ de la garantie ; qu'en jugeant que la clause visant « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne serait pas formelle et limitée et nécessiterait d'être interprétée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :

11. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

12. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

13. Pour dire que la clause excluant de la garantie « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l'amiante et ses dérivés » ne peut recevoir application, l'arrêt énonce que la seule lecture de cette clause ne permet pas de connaître avec certitude son étendue et, notamment, si elle vise seulement les maladies causées par l'amiante.

14. Il retient que les sociétés MMA, qui recourent à la notion de « cause technique », à savoir l'exposition des salariés à l'amiante, sont contraintes d'interpréter la clause et d'expliquer la nature du lien de causalité qui relie le préjudice spécifique d'anxiété subi par les anciens salariés de la société ACH à l'amiante.

15. En statuant ainsi, alors que la clause, qui excluait de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l'amiante, ne requérait pas interprétation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen du pourvoi n° E 21-19.776 des sociétés MMA, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

16. Les sociétés MMA font le même grief à l'arrêt, alors « qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ; qu'en jugeant que « la clause d'exclusion […] ne pourrait recevoir effet que pour les dommages causés directement par l'amiante, puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante serait indirectement à l'origine du préjudice indemnisable », cependant que cette clause claire et précise excluait les dommages « causés par l'amiante », sans distinguer entre les dommages directs et indirects, de sorte que tous étaient exclus, la cour d'appel l'a dénaturée, violant les articles 1134, devenu 1103 et 1192 du code civil, ensemble le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

17. Pour dire que la clause d'exclusion ne peut recevoir application et que les sociétés MMA sont tenues à garantie, l'arrêt énonce encore, qu'à supposer cette clause d'exclusion formelle et limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, elle ne pourrait recevoir application que pour les dommages directement causés par l'amiante puisqu'elle ne vise pas les cas où l'amiante est indirectement à l'origine du préjudice.

18. Il ajoute que le préjudice spécifique d'anxiété ne se rattache à l'amiante que par un lien de causalité indirect, puisque le lien de causalité direct ne relie ce préjudice qu'au fait d'inscription de l'établissement sur la liste de l'arrêté du 7 juillet 2000 matérialisant, à lui seul, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

19. En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion précitée excluait tous les dommages qu'elle énumérait, causés par l'amiante, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et sur le pourvoi incident de la société Helvetia assurances, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi n° H 21-19.801 formé par la société Allianz IARD ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société MMA IARD et la société MMA IARD assurances mutuelles, venant aux droits de la société Covea Risks à payer à la société ACH construction navale la somme de 2 115 794,45 euros au titre des garanties responsabilité civile et frais de défense, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;

Condamne la société ACH construction navale, représentée par M. [K], en qualité de liquidateur amiable, et la société Allianz IARD aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-trois.

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